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Rwanda : une déclassification en trompe-l’œil ?

Raphaël Doridan, Thomas Noirot

Le 7 avril 2015, l’Élysée annonçait la déclassification de documents émis entre 1990 et 1995 par la présidence de la République concernant le rôle de la France au Rwanda. L’entourage de François Hollande faisait savoir que d’autres archives « classifiées » (c’est-à-dire couvertes par le secret Défense) pourraient suivre, comme celles de l’Assemblée nationale et des ministères des Affaires étrangères et de la Défense… mais sans donner de calendrier.
Pour celles et ceux qui, comme l’association Survie, militent en faveur de la vérité et de la justice sur la complicité de l’État français dans le génocide des Tutsi au Rwanda en 1994, et qui réclament entre autres la déclassification des archives, cela aurait pu sonner comme une victoire. Il est en réalité trop tôt pour le dire, et la communication qui a accompagné cette nouvelle pourrait au contraire signaler une opération d’enfumage. D’une part, la majorité des documents concernés par cette annonce sont déjà connus : ils proviennent d’une sélection faite à l’époque par Françoise Carle, une collaboratrice de François Mitterrand. Divulgué il y a une dizaine d’années, cet ensemble constitué de plusieurs centaines de documents a déjà été pour l’essentiel publié aux éditions Aviso en 2012, sous le titre Rwanda. Les archives secrètes de Mitterrand. Les 28 documents inédits, dont seule la liste a pour le moment été révélée, n’apporteront selon toute vraisemblance aucune information nouvelle sur certaines questions clés (par exemple la formation du gouvernement génocidaire à l’ambassade de France, les livraisons d’armes par la France aux génocidaires pendant toute la durée du génocide, y compris pendant l’opération « Turquoise », l’exfiltration au Zaïre des auteurs du génocide, permise par Turquoise). D’autre part, cette déclassification a été annoncée dans une dépêche d’agence de presse, sans déclaration de Hollande ni même un communiqué officiel de l’Élisée : un ton évoquant implicitement la fin d’un qui pro quo plutôt que la reconnaissance de la moindre erreur politique commise par les autorités de l’époque.
Ce qui permettra de savoir si cette annonce marque un changement réel de la part des dirigeants français, ce sont les étapes suivantes : l’obtention promise d’autres archives déclassifiées plus « sensibles », notamment celles demandées par des magistrats dans le cadre d’enquêtes judiciaires en cours. En effet, dans les dossiers instruits par le pôle « crimes contre l’humanité et génocides » du tribunal de Paris mettant potentiellement en cause des militaires et des responsables français, des demandes de déclassification de documents essentiels n’ont pas abouti. Dans l’enquête sur l’attentat du 6 avril 1994, reprise de 2007 à mars 2015 par le juge Marc Trévidic, le magistrat a demandé avant son récent changement d’affectation la déclassification de documents militaires français. Les Français sont en droit d’attendre que François Hollande s’engage à ce que les documents demandés par des juges leur soient dorénavant systématiquement communiqués, et sans délai.
Quant aux voix qui continuent de clamer que les autorités françaises de l’époque n’ont, en somme, rien à se reprocher, pourquoi ne réclament-elles pas la déclassification exhaustive des archives de l’époque : Élysée, services secrets, forces spéciales, ministères de la Défense, des Affaires étrangères et de la Coopération ?

Thomas Noirot et Raphaël Doridan

Survie, 107, boulevard Magenta, 75010 Paris, http://survie.org

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