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Centre commerciaux : 3 questions à Christian Jacquiau

3 Questions à
Christian Jacquiau
auteur du livre Les coulisses de la grande distribution

1 - Selon les données des centres commerciaux eux-mêmes (1), leur fréquentation a baissé de 40 % entre 2011 et 2014. Comment s’explique une telle baisse ?

Le concept des centres commerciaux a plus de 40 ans. Leur capacité de séduction s’est étiolée avec le temps et il leur devient de plus en plus difficile de conquérir de nouveaux consommateurs.
S’ils séduisent encore une clientèle jeune, les centres commerciaux peinent avec les seniors qui cantonnent leur consommation aux hypermarchés et délaissent le plus souvent les galeries qui en constituent l’environnement.
L’évolution à la baisse du chiffre d’affaires des mastodontes de la grande consommation est intimement liée à la compression du pouvoir d’achat des consommateurs qui les fréquentent. D’autres causes s’y ajoutent : la saturation de l’offre (ce qui n’empêche pas la construction de nouveaux centres commerciaux ajoutant toujours plus de mètres carrés aux mètres carrés existants), la concurrence de l’e-commerce pour le non alimentaire, l’implantation galopante de supermarchés au cœur des villes et des villages depuis le vote de la Loi de Modernisation de l’Économie (LME) d’août 2008 ayant libéralisé l’implantation de surfaces de vente de moins de 1000 m²...

2 - Malgré cette baisse, des projets géants comme celui de Gonesse, en région parisienne, continuent à voir le jour. Comment est-ce possible ?

La saturation de l’espace ne peut rendre les centres commerciaux que de moins en moins rentables. Dans ce contexte, la construction d’un nouveau centre commercial pourrait s’apparenter à une aventure périlleuse et hasardeuse si elle ne s’adossait à une opération immobilière des plus rentables.
Au projet d’implantation d’un nouvel hypermarché s’ajoute en effet de façon quasi systématique la construction de galeries commerciales, de m² de bureaux, de salles de cinéma, de logements locatifs formant un véritable pôle d’attraction régional dont les confortables rendements locatifs constitueront de substantielles nouvelles sources de revenus pour l’enseigne qui le promeut.
Que le trafic aéronautique soit prometteur ou non à Notre-Dame des Landes n’a que peu d’importance pour Vinci. Que des pousseurs de caddies arpentent ou non les galeries de nouveaux temples de la consommation n’en a pas davantage pour les promoteurs de ces grands projets ou travaux qui ne sont pas inutiles pour tout le monde...
Aux bénéfices commerciaux liés à leur activité de distribution, les grandes enseignes ajoutent en effet la rente provenant des autorisations généreusement accordées par un monde politique plus soucieux de son avenir électoral que de l’intérêt collectif.
En s’appropriant des terres agricoles non constructibles qu’ils transforment en gigantesques zones commerciales (dont ils pourront toujours faire évoluer la destination si besoin), les géants de la grande consommation s’assurent à bon compte des lendemains plus que prometteurs...
[1535 si]

3 - La grande distribution multiplie maintenant les moyennes surfaces en ville. Assiste-t-on à une prise de conscience sur la nécessaire relocalisation ou s’agit-il d’autres choses ?

On pourrait être tenté d’y voir une victoire du local et de la proximité sur le centre commercial périphérique déshumanisé. Il n’en est rien.
Les grandes enseignes investissent le cœur des villes pour capter notre consommation en complément du chiffre d’affaires qu’elles réalisent dans les centres commerciaux.
Ce phénomène n’est en rien lié à une quelconque prise de conscience citoyenne des distributeurs. Il résulte avant tout de l’application de la Loi de Modernisation de l’Économie (LME) ayant pratiquement supprimé toutes les entraves à l’implantation de surfaces de vente inférieures à 1000 m² au cœur des villes.
Hypermarchés, supermarchés, supérettes, commerces de proximité exerçant désormais leur talent dans le moindre recoin de nos villes et villages sont approvisionnés par les mêmes prédatrices centrales d’achat qui se sont intercalées entre ceux qui produisent et ceux qui consomment.
Cette concentration leur permet d’accroître encore leur puissance de négociation à l’égard des fournisseurs dont elles exigent des prix toujours plus bas à la production autrement dit aux coûts humains (salaires, cotisations sociales) et écologiques toujours plus allégés.
Au nom d’un libéralisme de façade, l’hégémonie de la grande distribution conforte l’oligopole désormais constitué d’une poignée de puissants groupes captant la plus grande partie de notre consommation.

www.christian-jacquiau.fr

(1) Alternatives Économiques, janvier 2015

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