Dossier Alternatives Habitat

Habitats mobiles et éphémères : la reconnaissance par la loi n’est pas forcément source de simplification

Bérénice Lemba

Plusieurs dizaines de milliers de personnes vivent dans des habitats légers, par choix ou non. Leur statut juridique reste flou. La loi ALUR a permis quelques avancées… mais il n’est pas sûr que cela améliore la situation sur le terrain. Il faudra attendre un peu pour connaître les décrets qui devront préciser bon nombre de points.

Sous le titre « Créons les réseaux de l’auto-écoconstruction », une première rencontre nationale a été organisée à Saint-Jean-du-Gard le 31 mars 2005 par Christian Sunt afin de promouvoir les droits « à l’installation, à l’habitation hors norme, à l’autoconstruction ». Ces premiers échanges, qui ont conduit à dresser un état des lieux de la diversité des formes d’habitats et des modes d’habiter, ont permis de fédérer les initiatives associatives et collectives dispersées sur le territoire national.

Défendre les habitants de logements éphémères

Ce fut l’occasion de découvrir l’association des habitants de logements éphémères et mobiles (HALEM), créée à l’initiative de Joe Sacco (1), résident à l’année dans un bus aménagé dans le camping de la Sablière à La Ferté-Alais (Essonne). Les statuts de l’association HALEM ont été déposés le 26 avril 2005 à la sous-préfecture d’Etampes, avec pour objectif de représenter et défendre les habitants de logements éphémères ou mobiles vis-à-vis des pouvoirs publics et des administrations. Son objet a été modifié et précisé le 5 avril 2008, dans le but de « favoriser par tous les moyens la reconnaissance du mode de logement éphémère ou mobile et notamment les droits fondamentaux tels le droit à la subsistance et à l’accès au foncier ; favoriser la solidarité matérielle, morale et juridique afin d’obtenir la reconnaissance d’une grande diversité d’habitats, garantissant un droit au logement et un mode de vie librement choisis ; soutenir des projets d’installation et défendre, dans une démarche non-violente et après étude de leur situation, les personnes et les lieux menacés » (2). Les mobilisations se sont poursuivies de 2005 à 2014 dans trois directions : le conseil et la défense juridique des habitants incriminés, la promotion d’éco-logis éphémères et réversibles, l’expérimentation de modes d’habitat économes, économiques et écologiques, la visibilité des revendications portées dans l’espace public (municipales 2008, loi LOPPSI 2…).

Combien font le choix de ce type de logement ?

Il n’est pas possible de quantifier l’habitat léger et mobile en raison d’une classification imprécise et biaisée de l’INSEE, qui le recense dans deux catégories distinctes : « Logements ordinaires » (mobile homes, caravanes, habitations de fortune et constructions provisoires) et « logements non ordinaires » (habitations mobiles terrestres, sans-abris, mariniers, individus en foyers, centres d’hébergement et d’accueil) (3). Le rapport d’information Got et Léonard de 2010, qui porte sur le statut et la réglementation des habitats légers et de loisirs (4), apporte quelques précisions sériées : l’habitat léger et mobile permanent et l’hébergement en camping concerneraient entre 70 000 et 120 000 personnes (étudiants, travailleurs saisonniers, ouvriers de chantiers, demandeurs d’emplois…), tandis que sont dénombrées 250 000 parcelles privées sur lesquelles se pratique le camping, dont 80 % seraient en infraction au code de l’urbanisme et de l’environnement. D’autres chiffres sont apportés par le rapport 2014 de la fondation Abbé-Pierre sur le mal-logement, qui dénombre 141 500 personnes sans domicile et 85 000 dans des habitations de fortune ou vivant à l’année en camping.

Les résidences mobiles et démontables reconnues par la loi

La loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR), adoptée le 24 mars 2014, consacre l’entrée dans le droit commun des résidences mobiles ou démontables « qui constituent l’habitat permanent de leurs utilisateurs ». L’article 59 rend obligatoire la prise en compte de l’ensemble des modes d’habitat installés de façon permanente dans les documents d’urbanisme (5). Il est précisé que l’aménagement de terrains pour permettre l’installation de ces résidences mobiles ou démontables peut être autorisé dans des secteurs de taille et de capacité d’accueil réduites, précisés par le règlement du plan local d’urbanisme sous forme de « secteurs de taille et de capacité d’accueil limitées ». En contrepartie, les habitats démontables devront répondre à un cahier des charges démontrant leur réversibilité, leur autonomie vis-à-vis des réseaux (eau, électricité et assainissement), ainsi que leur mise en sécurité par l’usager, qui devra veiller à l’entretien des espaces. Ces projets ne devront ni porter atteinte à la sauvegarde des espaces naturels et des paysages, à la salubrité et à la sécurité publique, ni entraîner un surcroît important de dépenses publiques.
Les craintes légitimes relèvent du renforcement de l’encadrement des installations, placé sous la tutelle des maires, des préfets et des commissions départementales de la préservation des espaces agricoles, naturels et forestiers. Des autorisations à caractère exceptionnel peuvent être délivrées à des fins spécifiques, en particulier pour éviter une diminution de la population communale.

Quelques réponses, encore beaucoup de questions

L’autorisation délivrée à titre exceptionnel (alors qu’elle n’était pas jusqu’alors limitée dans le code de l’urbanisme) porte à redouter une définition restrictive des ayants droit, un choix discrétionnaire des habitants, un tri des demandeurs, mais aussi un renforcement de l’asymétrie de pouvoirs entre élus et agents de l’Etat (6).
Certaines questions se profilent. Quelle inscription de ces habitats dans les plans locaux d’urbanisme, sachant que ceux-ci peuvent fixer les « emplacements réservés » (7), pour les projets « d’équipements », les « espaces verts » ou les programmes de « logement social » ? Le plan local d’urbanisme peut aussi instituer des servitudes à réserver des emplacements en vue de la réalisation, dans le respect des « objectifs de mixité sociale », de programmes de logements qu’il définit, dans les zones urbaines.
D’autres questions subsistent en creux, concernant l’appréhension juridique des biens habités, meubles et immeubles. Est meuble tout bien qui peut « se transporter d’un lieu à l’autre » (8). Sont immeubles, par nature, des biens a priori meubles, rattachés par une fiction de l’esprit à la catégorie des immeubles (9). Tandis que les meubles par anticipation sont des biens, a priori immeubles par nature, rattachés à la catégorie des meubles car leur propriétaire s’est engagé dans un contrat à les détacher du sol à brève échéance (ex. les récoltes). Où se situent les habitats légers ? Ce sont des biens n’ayant qu’une fixité temporaire, qui sont attachés à un immeuble mais ont vocation à en être détachés, soit naturellement, soit par la volonté des hommes.

Habitats légers et procédures lourdes…

En contrepoint, quelles seront les interdictions ou limitations à l’exercice du droit d’occuper ou d’utiliser le sol des propriétaires, quelles servitudes et affectations des terrains (10), comment éviter le mitage et la spéculation à la revente (propriétaires ou usufruitiers), comment relier « emprise » au sol de l’habitat et « empreinte écologique » (11) de l’habiter ?
Beaucoup de questions encore à aborder…

Bérénice Lemha

Association Halem

• Halem, L’Estrade-le-Bas, 09800 Argein, tél : 06 18 94 75 16, www.halemfrance.org
• Réseau d’expérimentation et de liaison des initiatives en espace rural (Relier), 1, rue Michelet, 12400 Saint-Affrique, tél : 05 65 49 58 67

(1) Fondateur et président de HALEM, Joe Sacco est décédé le vendredi 21 mars 2008, après l’incendie du squat artistique L’élaboratoire, plaine du Chardonnet à Rennes.
(2) Disponible dans le Journal officiel : www.journal-officiel.gouv.fr/association/index.php
(3) Analysé dans la thèse de Julie Chapon (INED)
(4) Jean-Louis Léonard et Pascale Got, Rapport d’information sur le statut et la réglementation des habitats légers de loisirs, enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale le 29 septembre 2010, no 2826.
(5) Loi no 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, Journal officiel no 0072 du 26 mars 2014, p. 5809
(6) Voir le projet de vie Terre de vie du Cinoble, www.terredeliens.org/cinoble
(7) Sur le fondement de l’article L111-1-2, les aires de stationnement destinées à l’accueil des gens du voyage pourraient résulter des emplacements réservés.
(8) Article 528 du code civil
(9) Par exemple, une cuisine intégrée ou un placard intégré : vous ne les démonterez pas en cas de déménagement. Comme ils restent sur place, ils sont devenus immeubles. Voir les articles 524 et 525 du code civil.
(10) Le droit du propriétaire de disposer est restreint puisqu’il accepte de restreindre les usages et les utilités des biens.
(11) Non-artificialisation des sols, usage de ressources pérennes, réversibilité des aménagements, autonomie énergétique, biodiversité agricole, stockage de carbone par des plantations pérennes, réduction des gaz à effet de serre, réduction des déchets…

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