Brève Chronique En direct de nos colonies Nord-Sud

Burkina-Faso : un régime françafricain renversé par son peuple

Thomas Noirot

En 27 ans de pouvoir, Blaise Compaoré était devenu un pilier régional de la Françafrique. Une façade démocratique et de puissants soutiens, tels une Ségolène Royal assurant en 2011 que le Burkina pouvait « compter sur [elle] pour redorer son image » ou un Laurent Fabius vantant en 2012 les « relations excellentes » entre les deux pays, étaient suffisants pour le rendre fréquentable en France. Dans la crise en cours au Mali, cet allié fut reçu par François Hollande dès septembre 2012.
Compaoré pensait donc pouvoir modifier la Constitution afin de se présenter à sa succession en 2015. Mais des associations de jeunes et l’opposition structuraient depuis des mois le rejet populaire de ce projet et multipliaient les manifestations depuis 2013. L’annonce officielle du projet de révision constitutionnelle, le 21 octobre 2014, mit le feu aux poudres. Dès le 28, le nombre de manifestants décupla, dans des marches pacifiques. Cependant la répression policière entraîna des réactions dont s’emparèrent les médias occidentaux, trop contents de parler de « violentes manifestations ». On retiendra pourtant ces images de centaines de milliers de manifestants, les mains nues et avançant parfois les bras en l’air face à une armée qui, très majoritairement, refusa le 30 octobre de tirer sur la foule et se replia. Celle-ci, appelée par certains responsables de la société civile à «  prendre ses responsabilités », poussa Compaoré vers la sortie. Si les tractations au sein de l’État-major laissent planer un risque d’entente entre militaires pour garantir l’impunité à certains d’entre eux, cette stratégie permit de limiter le nombre de victimes (une trentaine de tués selon l’opposition, dont plusieurs par la garde personnelle du frère du despote déchu). Elle a surtout permis d’obtenir le départ de Compaoré (contrairement au Cameroun où, en 2008, malgré plus de 150 morts, le dictateur Biya est parvenu à modifier la Constitution...).
Après dix jours de flou, la transition s’est engagée, toujours sous pression populaire, en vue d’élections en novembre 2015. Les autorités civiles et militaires à la tête du pays devront, d’ici là, conserver la confiance de la rue, notamment en ne protégeant pas les piliers du régime. Mais Compaoré lui-même échappe pour le moment à la justice nationale et internationale : exfiltré par les forces spéciales de l’armée française le 31 octobre, dans une opération dont on ignore le bilan (« il y a eu des attaques, il y a eu des réponses », dira Hollande le 3 novembre), il a trouvé refuge en Côte d’Ivoire puis au Maroc. Paris protége ses affidés, pour éviter le grand déballage sur l’assassinat en 1987 du président Thomas Sankara et sur le soutien à des rébellions criminelles en Sierra Leone, au Libéria, en Angola, en Côté d’Ivoire et au Mali... Autant d’affaires où les services secrets français ont été impliqués. Et, comme après la chute du Tunisien Ben Ali en 2011, les autorités françaises ne tirent cette fois encore aucune leçon : fin novembre, Manuel Valls s’est rendu chez le dictateur tchadien Idriss Déby, au pouvoir depuis 24 ans, confronté lui-aussi à une contestation populaire qu’il venait de réprimer dans le sang.

Thomas Noirot


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