Silence : La future loi sur la transition énergétique sera-t-elle « une belle loi » (Jean-Vincent Placé), « un début » (Denis Baupin) ou de la « poudre de perlimpinpin » (Michèle Rivasi) ?
Stéphen Kerckhove : Si on attend d’une loi qu’elle mette en mouvement la société et orchestre la sortie du nucléaire tout en nous permettant de réduire drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre, cette loi sur la transition n’est absolument pas à la hauteur. Si on tient compte du rapport de force et du poids du lobby nucléaire à l’Assemblée nationale et au sein du Gouvernement, il est possible d’affirmer que cette loi est « moins pire » que ce que nous aurions pu craindre. Tout l’enjeu est donc de savoir si nous nous battons collectivement pour le « moins pire » des mondes ; au regard de la couardise de la classe politique, transie d’effroi à l’idée de s’opposer aux lobbies énergétiques (EDF, AREVA, Total...), il est peu de dire que nous partons de loin en matière de transition énergétique. Un autre système énergétique présupposerait que les producteurs s’adaptent aux exigences des consommateurs et non l’inverse. Même si la loi énonce un certain nombre d’objectifs, louables en soi, notamment en matière d’efficacité énergétique et de développement des énergies renouvelables, tout ceci n’est compatible qu’à la seule condition de bouter, des enceintes démocratiques, les producteurs d’énergie et leurs porte-paroles « démocratiquement » élus.
Concrètement, quelles sont les avancées, les reculs, les oublis ?
La loi peut être résumée en une phrase : « On ne sort de l’ambiguïté qu’à son détriment ». De fait, cette loi sur la transition énergétique fait le choix du non-choix, tentant de concilier l’inconciliable. Comme toujours avec certains décideurs politiques, la loi doit répondre à des clientèles et faire plaisir à tout le monde. La stratégie du « gagnant-gagnant » est ainsi en passe de devenir l’alpha et l’oméga du Gouvernement. C’est ainsi que la loi peut tout à la fois fixer des objectifs de développement des énergies renouvelables, stimuler la sobriété et l’efficacité énergétique et renoncer à réduire la part du nucléaire ; équation impossible !
Le cas du nucléaire est édifiant. Pour ménager la chèvre écologique et le choux radioactif, la loi affirme que la part du nucléaire dans le mix électrique passera de 75 % à 50 % d’ici à 2025 ; quelques articles plus loin, elle indique aussi que la puissance installée ne pourra dépasser les 63 200 GW, soit la capacité actuelle du parc électro-nucléaire. Soit les deux objectifs sont contradictoires, soit les parlementaires espèrent que la consommation électrique augmentera fortement dans les prochaines années, afin que ces 63 200 GW de nucléaire représentant actuellement 75 % ne représentent plus que 50 % en 2025. Augmentation totalement contradictoire avec cette fameuse sobriété énergétique qui irrigue les discours de tout responsable politique qui se respecte.
De même, la fermeture des réacteurs après 40 ans de service n’a pas été retenue par les députés qui lui ont préféré une enquête publique. Certes, il s’agit d’un nouvel outil « démocratique » ; mais face à la menace nucléaire, tout ceci est bien faible !
Enfin, la loi sur la transition énergétique aurait dû se nommer « loi sur la transition électrique ». Comme de mauvaise coutume, les parlementaires subissent l’influence du lobby nucléaire, au point d’en oublier la question des transports. La vacuité de cette loi en matière de mobilité est édifiante. Seule la voiture électrique est abordée et soutenue. Or, le bilan énergétique de la voiture électrique est très loin de l’optimal et aurait dû faire l’objet d’une véritable étude amont avant d’être soutenu. La voiture électrique est à la mobilité ce que le convecteur électrique fut au chauffage individuel. Une façon assez peu habile d’écouler la surproduction électro-nucléaire.
Qu’est-ce que des groupes de pression comme Agir pour l’environnement peuvent faire pour que l’on progresse vers une vraie transition énergétique (en finir avec les énergies fossiles, nucléaire compris) ?
Tout comme la démocratie ne peut se résumer à une élection, la transition énergétique ne pourra se limiter à une loi. Comme de mauvaises coutumes, une grande partie des décideurs ne font que valider les évolutions sociales. C’est peut-être regrettable mais les députés et sénateurs ne voteront une loi de sortie du nucléaire que lorsque les consommateurs auront abandonné EDF pour lui préférer Enercoop. Les parlementaires ne soutiendront les énergies renouvelables que lorsqu’ils auront constaté que des milliers de citoyens ont mobilisé leur épargne avec Énergies partagées pour soutenir des projets d’énergies renouvelables.
Même s’il ne faut pas renoncer à changer le monde par le haut (via un engagement politique et via les élections), il faut surtout montrer jour après jour, dans les territoires, que des alternatives existent et qu’elles sont viables et mobilisatrices. Si nous réussissons localement, nous réussirons globalement.