Dossier Alternatives Esperanto

Pays basque nord : l’enseignement joue un rôle moteur

Peio Jorajuria

En Pays basque nord, la pratique de la langue basque décline. Le nombre de locuteurs baisse, l’euskara s’entend de moins en moins, mais pourtant, l’espoir persiste. Cet optimisme provient notamment des chiffres de l’enseignement bilingue et en basque.

La langue qui s’apprenait avant uniquement à la maison, par transmission familiale, s’apprend désormais également en classe, au même titre que le français. Ce rôle nouveau de l’école permet d’inverser les courbes sociolinguistiques et améliore la maîtrise de l’euskara par les jeunes générations par rapport à celle de leurs parents.
Longtemps interdites et même combattues dans les cours d’école, les langues régionales ont commencé à y retrouver une place à partir de 1951, grâce à la loi Deixonne qui en autorise l’enseignement facultatif, au rythme de quelques heures par semaine. Suivront 60 années d’ordonnances et de décrets qui vont permettre, réglementer, régulariser ou interdire de nouvelles pratiques apparues sur le territoire, jusqu’à la loi Peillon de 2013. Cette « loi de programmation pour la refondation de l’école de la République » cite les deux formes que peut prendre « l’enseignement facultatif de langue et culture régionales » :
1) un enseignement de la langue et de la culture régionales ;
2) un enseignement bilingue en langue française et en langue régionale.

L’ « option basque » ne multiplie pas les locuteurs

L’ « option basque » (enseignement direct facultatif de la langue et de la culture basques), apparu au lendemain de la loi Deixonne, présente un intérêt culturel majeur en offrant aux élèves une initiation à la langue et un aperçu de l’histoire et du patrimoine de leur région. Cependant, la situation de diglossie (coexistence sur le territoire de deux langues aux statuts déséquilibrés) très défavorable à la langue basque et son altérité forte (la structure même de la langue est très différente et ne permet pas à un élève de calquer le français comme il pourrait le faire pour une autre langue latine, par exemple) ne permettent pas à cette forme d’enseignement de rendre les enfants bilingues. Les élèves reçoivent un enseignement de cette langue, mais n’en deviennent pas locuteurs.

L’enseignement immersif, un acteur essentiel

L’enseignement « immersif » est apparu en 1969, avec la création de la première ikastola, sous l’égide de la fédération Seaska. Une ikastola est une école se caractérisant par « l’utilisation du basque comme langue véhiculaire dans l’ensemble des activités ayant lieu au sein de l’établissement, et par un enseignement dispensé intégralement en langue basque jusqu’au cours préparatoire, l’apprentissage du français se faisant de manière progressive à compter de la fin du cycle 2 (CE1) » (2). Ce modèle, créé et porté par des parents d’élèves depuis 45 ans, n’a cessé de monter en puissance. Grâce à une histoire jalonnée de manifestations, d’occupations, de fabrications de talo (galettes de maïs vendues par les parents d’élèves pour financer les établissements), de négociations et de reconnaissance progressive, Seaska est devenu un acteur essentiel de la politique linguistique du Pays basque nord. Avec plus de 3200 élèves, 31 établissements scolaires, dont 3 collèges et un lycée, sous contrat d’association avec l’Education nationale, la fédération est sous convention triennale avec l’Education nationale et l’Office public de la langue basque (OPLB). Son rôle dans la création de locuteurs complets — de bascophones autonomes — est souligné par tous les acteurs politiques du Pays basque (3).

L’enseignement bilingue, dans une école primaire sur deux

L’enseignement bilingue à parité horaire (une moitié des cours est effectuée en langue basque, l’autre en langue française), bien que citée pour la première fois par la loi en 2013, existe depuis 1983 au Pays basque, notamment à l’école publique (4). Répondant à une demande forte de la population, ce modèle s’est aujourd’hui répandu dans 51 % des établissements scolaires publics primaires et 65 % des établissements privés catholiques du premier degré. En accordant le même temps d’apprentissage à chaque langue, le système se veut équilibré. Mais en réalité, les sections bilingues côtoyant les sections francophones au sein du même établissement, tous les temps non purement scolaires (garderie, récréation, cantine, sport...) sont pratiqués en français. Le déséquilibre est finalement important, voire trop important pour les enfants dont les parents ne sont pas bascophones (et qui ne peuvent compenser à la maison). Pour augmenter l’usage de la langue, l’enseignement s’oriente aujourd’hui vers l’immersion, notamment en proposant l’intégralité des cours en langue basque au sein de la maternelle.

Une dynamique fragile

Guidé par les besoins de sa langue, le Pays basque a gardé un temps d’avance sur la loi. Seaska, acteur associatif, a éminemment conscience du rôle locomoteur de toute la filière bilingue et l’assume pleinement. Un travail avec les associations de parents du bilingue à parité horaire public et privé est mené au sein de Hiru sareta (5). Les demandes sont claires : expérimenter ou renforcer l’enseignement immersif (au cas par cas selon les écoles), assurer la continuité entre les cycles primaire et secondaire, valoriser l’usage de la langue basque en proposant les épreuves enseignées en langue basque au baccalauréat, une mise à disposition adéquate de moyens en personnel et, pour le cas des écoles associatives laïques, une possibilité légale de mise à disposition de locaux publics pour les collectivités qui le désirent (sans obligation).
Mais la limite entre absence de loi et action qui transgresse le texte juridique reste fragile, et un simple décret pourrait tout détruire, de même qu’une loi sur les langues régionales pourrait asseoir ces pratiques dans la durée.

Peio Joraguria
Enseignant, membre de Seaska

(1) Le Pays basque nord désigne la partie du Pays basque qui se trouve du côté français, le Pays basque sud désignant le côté espagnol.
(2) Extrait de la convention entre le ministère de l’Education nationale, la fédération Seaska et l’Office public de la langue basque.
(3) Les principales entraves à son développement restent dans l’accès à l’immobilier, la préfecture ayant mis un coup de frein à la mise à disposition de bâtiments publics en demandant l’application stricte d’une loi du XIXe siècle et l’arrêt des habitudes de désobéissance des maires.
(4) Avec l’ouverture de la première section bilingue à Sare, au lendemain de la directive Savary.
(5) Hiru Sareta regroupe les associations Biga Bai, Seaska et Euskal Haziak, œuvrant pour les trois filières d’enseignement proposant du basque, à savoir : public, ikastola et privé.

Pour aller plus loin :
Seaska, fédération des Ikastola, Pouponniere Bidea, 64250 Kanbo, tél. : 05 59 52 49 24, http://seaska.eus
Fédération des Calandretas, Maison de l’Occitanie, Espace Jacques Ier d’Aragon, 117 rue des Etats-Généraux, 34000 Montpellier, tél. : 04 67 06 81 10, www.calandreta.org
Site officiel du Diwan : http://www.diwanbreizh.org

Les calandreta (« écoles » en occitan) représentent 55 écoles et 2 collèges répartis dans 17 départements, pour 3278 enfants scolarisés. Les écoles Diwan scolarisent, en 2013-2014, 3733 élèves de la maternelle à la terminale dans 51 établissements. En Alsace et Moselle, 1211 élèves de maternelle et primaire sont scolarisés dans 11 établissements. Les bressola (« écoles » en catalan) scolarisaient, en 2012-2013, 762 élèves de la maternelle au collège dans 7 établissements. Au Pays basque nord, en 2012-2013, 3072 élèves étaient scolarisés, selon l’Institut supérieur des langues de la République française.

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