Dossier Alternatives Esperanto

Quand la langue corse passe à la télé

Lisa D’Orazio, Monique Douillet

La langue corse, qui a failli disparaître au cours du XXe siècle, reste menacée. Pourtant, elle continue à vivre à travers le chant, la littérature, le théâtre, la presse mais aussi par la télévision.

Aujourd’hui, la télévision est devenue un outil de promotion et de diffusion ainsi qu’un support pédagogique du corse.
Premières apparitions télévisuelles
C’est au tournant des années 60 et 70 que le corse fait son apparition à l’antenne, soutenu par une première impulsion politique. La création de FR3 Corse, dans les années 80, marqua un bouleversement sans précédent dans l’usage du corse. Celui-ci est en effet utilisé dans les programmes les plus divers (actualité, magazines, documentaires). Le journal est bilingue français-corse, son titre Corsica Sera  Corse Soir ») et ses intertitres sont en corse et, au cours de l’émission, les journalistes passent d’une langue à l’autre. Le fait d’utiliser le corse hors d’un usage folklorique séduit le public et la presse.
Mais l’usage de cette langue à l’antenne lui fait subir une mutation qui gêne certains insulaires. Selon eux, le corse ne devrait être utilisé que pour un usage folklorique, culturel, comme ce fut le cas longtemps : « Si l’utilisation de la langue a été aussi fortement contestée, c’est parce qu’y était transgressée la séparation entre la langue officielle et la langue officieuse, entre l’espace public et l’espace privé. Le statut quasi officiel accordé par la télévision publique a contribué à conférer un caractère officiel à la langue dominée. » (1) Face à ces critiques, la direction de FR3 tente rapidement de freiner l’emploi des langues régionales à l’antenne. Dès 1984, Claude Marchand, directeur des programmes de la chaîne, s’oppose à l’usage du corse dans le journal télévisé. Il est donc difficile, au milieu des années 1980, de mener une véritable politique en faveur de la langue face aux pressions de la direction mais aussi de nombre d’insulaires qui critiquent en premier lieu « la qualité du vocabulaire employé ».

Sortir du ghetto

La création, au début des années 1990, d’une antenne régionale spécifique permit de sortir de nouveau le corse du « ghetto ». 1994 voit la création du Ghjurnale journal ») en corse, diffusé à 18h58 et d’une durée de 6 minutes. Le renouveau du magazine en corse est enfin arrivé avec par exemple Da Quì  d’ici »), diffusé à partir de 1993. Jusqu’alors langue du passé, le corse devient la langue des mutations, de l’évolution. L’un des enjeux des informations en corse est de « trouver une formule différente du journal actuel, sans faire tomber la langue corse dans une vision passéiste, purement culturelle ou rurale » (2).
Ces dernières années, le corse est souvent intégré de façon très naturelle dans les programmes régionaux qui ne bénéficient pas de l’étiquette « émission en langue corse ».

Via Stella : un nouveau support pédagogique ?

La Corse possède sa propre chaîne depuis 2007, date de création de France 3 Corse Via Stella  ; cela fut l’occasion de donner enfin à la langue une place de choix. L’émission Par un dettu  par exemple ») traite de culture et de littérature corses. L’émission pour enfants Una canzunetta  une chansonnette ») joue un rôle de transmission entre les générations. L’Hôtel Paradisu, sorte de Plus belle la vie local, alterne avec naturel les deux langues.
Mais si la télévision peut être un outil pédagogique, les émissions ne trouvent pas toujours leur public. Une enquête réalisée par l’INSEE sur la langue corse auprès des étudiants de l’Université de Corse montre l’impact relativement faible des médias (3). Les rapports des étudiants avec le corse, notamment dans le domaine culturel, sont d’autant meilleurs que l’offre est généralisée : fréquents avec la musique, ils deviennent rares avec les médias ou la littérature.
Sortir le corse d’un usage militant
Aujourd’hui, les journalistes ne se positionnent plus comme des militants. Pour faire sortir cette langue corse du ghetto, il faut la considérer comme une langue usuelle et moderne : « D’accord pour défendre la langue, mais nous sommes d’abord là pour informer, rappelle Petru Mari, journaliste à France Bleu Frequenza Mora. Nous ne devons pas non plus être un modèle linguistique. Nous parlons au micro un corse populaire, compréhensible par tous, ce qui n’empêche pas d’essayer de le rendre le plus riche possible. » (4)

Mais toujours une absence de statut officiel

Désormais, les langues régionales, comme le breton, le basque, le corse ou l’alsacien sont admises à l’antenne (5). Aux termes de la loi du 1er août 2000, relative à la liberté de communication, les sociétés de radio et télévision de service public doivent contribuer à l’expression de ces langues régionales.
En Corse, la demande existe, Via Stella œuvre dans cette perspective. Mais si la place du corse n’est plus contestée à la télévision, elle reste néanmoins bien précaire. Le collectif Parlemu corsu  parlons corse »), regroupant 40 associations et organismes et 22 groupes culturels, évoque « une langue corse sur le fil du rasoir, de par l’absence d’un statut officiel ne lui permettant pas de s’épanouir ». Il en appelle à « une véritable politique pour la langue corse » pour les années à venir. Politique qui, aujourd’hui, est suspendue au bon vouloir politique et institutionnel.
Lisa D’Orazio
Docteure en histoire, animatrice sur la radio corse Alta Frequenza

(1) « Un regard de sociologue sur FR3 Corse : Fabiani », Kyrn, décembre 1987
(2) Jacques Thiers, Papiers d’identité(s), Albiana, 2009, p. 221
(3) Carmen Compte, Un Document télévisuel pour parfaire l’apprentissage des langues ?, Université de Paris-7, 1998
(4) http://www.lexpress.fr/region/au-bout-de-la-langue_474162.html
(5) NDLR : Mais à très petites doses… En France métropolitaine, la langue corse est moins maltraitée que les autres, avec 664 heures d’antenne annuelles. L’alsacien, le basque, le breton, le catalan, l’occitan et le provençal réunis cumulent seulement 316 heures !

Vous avez dit « occitan » ?

La dénomination « occitan » a été adoptée pour désigner un ensemble de dialectes gallo-romans méridionaux (issus du latin populaire), du tiers sud de la France, selon certains chercheurs et de plus de la moitié du pays, selon d’autres (1), à quoi il convient d’ajouter le Val d’Aran, en Espagne, et, en Italie, les vallées du Piémont ainsi que des implantations en Ligurie et en Calabre. Ces dialectes, au nombre de six — auvergnat, gascon, languedocien, limousin, provençal, vivaro-alpin — (quelques linguistes y incluent le catalan), se déclinent eux-mêmes en nombreux idiomes traditionnellement appelés patois (2).
A plusieurs reprises à travers l’histoire, la tentative de créer un « occitan standard », susceptible de devenir langue administrative et véhiculaire de cet ensemble, a échoué pour différentes raisons, essentiellement politiques. Cet effort d’unification a également porté sur la transcription écrite (née un peu avant l’an mil) et s’est développé en deux étapes importantes : en 1935, la publication de La Grammaire occitane, de Louis Alibert, et, à partir de 1945, l’établissement, par l’Institut d’études occitanes, d’une norme orthographique qui fixait la manière d’écrire les sons. Mais la prééminence du languedocien qui en résulte leur est reprochée, d’où la création, en 2009, d’une Alliance des Langues d’oc par des locuteurs de différents dialectes.

Monique Douillet

(1) Il est en effet difficile d’établir des frontières lorsque la langue se compose pour moitié de langue d’oc et pour moitié de langue d’oïl. C’est le cas du francoprovençal, également appelé arpitan.

(2) Le niçard, par exemple, est une variante du provençal.

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