Dossier Alternatives Esperanto

Mort des langues n’est pas un destin

Divi Kerneis

A l’instar des êtres vivants, les langues naissent, vivent et meurent. Elles connaissent aussi des destins très différents. Voici un petit aperçu de leur situation en France, en Europe et dans le monde.

A ce jour, six mille langues existent à travers le monde. Leur répartition n’est pourtant pas égale car 96 % des langues ne sont parlées que par 4 % de la population mondiale et plus de 90 % des contenus d’Internet sont rédigés en seulement douze langues (1). Ainsi, selon l’UNESCO, la moitié d’entre elles courent le risque de disparaître dans un avenir proche. Le linguiste Michael Krauss estime même que notre siècle verra la disparition de 90 % des langues qui existent actuellement (2). Une crise mondiale touche donc aussi les langues.

Disparition des langues

Vingt-cinq langues disparaissent chaque année. Des facteurs sociaux et culturels expliquent ces extinctions. En effet, la domination culturelle, économique ou politique d’une société sur une autre va engendrer la perte de prestige de la langue minoritaire. Elle sera d’abord abandonnée par les élites urbaines puis par l’ensemble de la population. S’ensuit donc la perte de fonctions et la réduction des domaines d’emploi. La langue est alors exclue de l’administration, de l’école, du lieu de culte, du travail, des maisons, de la famille.

En France, la domination économique et psychologique de Paris, instaurée depuis plus d’un siècle, a beaucoup contribué à la perte de prestige des langues régionales. Le processus politique d’assimilation linguistique et culturelle vigoureusement appliquée par l’Etat (3) a également décimé ces langues en créant notamment un sentiment de honte pour les locuteurs, à qui on a donné l’impression de parler une langue du passé. Ce sentiment destructeur a colonisé la conscience des locuteurs, qui n’ont plus par la suite transmis la langue à leurs enfants, au bénéfice d’une langue considérée comme moderne.

Des statuts différents

Le sort réservé aux langues dépend souvent du statut qui leur est attribué. Lorsqu’on leur reconnaît un statut officiel, leur utilisation devient possible au sein des services publics, et de véritables politiques linguistiques peuvent être menées. C’est le cas par exemple au Pays basque du sud ou en Catalogne du sud (4). Alors qu’elle était interdite en public sous Franco, la langue catalane est aujourd’hui parlée par 85 % des Catalans. Le français est également officiel dans la région italienne du Val d’Aoste aux côtés de l’italien, ce qui permet un enseignement bilingue et la présence facilitée des deux langues dans les médias.

Le déclin n’est pas une fatalité

Contrairement à ce que l’on pourrait être amené à penser, la destinée d’une langue n’est pas figée. Nos voisins européens parviennent en effet, grâce à des politiques linguistiques volontaristes, à ressusciter des langues menacées quelques années auparavant. Le nombre de locuteurs de langue basque, par exemple, est passé de 22 % en 1981 à 36 % trente ans plus tard. Ces résultats ont été obtenus grâce à un taux d’enseignement scolaire de 80 %, dont 40 % par immersion (5), au Pays basque du sud. C’est justement à partir de 40 % de scolarisation bilingue que l’on peut considérer que la langue peut être sauvée. On remarque toutefois que, malgré les taux élevés de connaissance de la langue, son usage dans la vie quotidienne est moins répandu. Il est donc possible de transmettre la connaissance de la langue par l’école mais l’environnement linguistique est également primordial pour favoriser son utilisation.
Au pays de Galles, le nombre de locuteurs du gallois progresse désormais, alors que cette langue était menacée. Cela est dû en partie à la loi de 1993 obligeant les administrations à offrir leurs services en anglais et en gallois, et également aux efforts d’enseignement de la langue.
Au Québec, la vision de la langue française a évolué dans les années 1960 lorsque la société n’a plus accepté son statut de minorité plus ou moins aliénée. Le français se transforma alors en arme de combat et en symbole de libération. La langue française a ainsi accédé au statut de langue officielle, et des lois linguistiques ont permis d’en assurer la promotion (6).

Divi Kerneis

La Charte européenne

La Charte européenne des langues régionales et minoritaires est un instrument juridique consacré à la protection et à la promotion de ces langues. Elle a été rédigée en complément de la Convention européenne des droits de l’homme et considère que le droit de pratiquer une langue régionale ou minoritaire, dans la vie privée et publique, constitue un droit imprescriptible. Sa ratification est désormais obligatoire pour les pays souhaitant intégrer l’Union européenne. Pourtant, la France est l’un des seuls pays de l’Union européenne qui ne l’aient pas ratifiée. Cette charte concerne uniquement les langues historiques, à l’exclusion des langues liées à l’immigration récente. Son but est d’en assurer l’emploi dans l’enseignement, les médias, mais aussi la vie juridique, administrative, économique et culturelle sans pour autant le faire au détriment des langues officielles.

On peut par ailleurs noter que c’est en voulant préserver la langue française contre la domination de l’anglais qu’a été modifié en 1992 l’article 2 de la Constitution française : « La langue de la République est le français. » La protection des langues régionales de France par la ratification de la charte européenne est ainsi devenue inconstitutionnelle. L’emploi du tahitien au sein de l’Assemblée territoriale de Polynésie française est également, de ce fait, devenu illégal.
D. K.

(1) Voir le site internet Sorosoro : « Pour que vivent les langues du monde ! » : www.sorosoro.org/les-langues-en-danger/tout-savoir-sur-les-langues-en-danger
(2) L’UNESCO a ainsi réalisé un classement des langues selon leur niveau de vitalité et leur danger de disparition. Leur survie est considérée comme sûre lorsque la transmission intergénérationnelle est ininterrompue, et menacée lorsque les enfants n’apprennent plus la langue comme langue maternelle, à la maison par exemple. Voir Atlas des langues en danger dans le monde, Unesco, 2010.
(3) Nos grands-parents se souviennent par exemple de l’usage du symbole à l’école. Cet objet était remis par l’enseignant à un élève surpris en train de parler en langue régionale, afin de le punir. Ce dernier devait ensuite dénoncer un camarade pour se séparer de l’objet humiliant porté autour du cou. Le même procédé était utilisé également dans l’empire colonial français.
(4) On parle de Pays basque du sud et de Catalogne du sud pour se référer aux parties de ces territoires qui se trouvent du côté sud de la frontière franco-espagnole, afin de ne pas faire référence à leur appartenance politique à une autre nation, ce qui serait une manière de valider par le langage cette appartenance. Idem pour la Catalogne du nord, par exemple.
(5) On parle d’immersion lorsque ce n’est pas seulement l’enseignement en lui-même qui peut être effectué dans une langue régionale, mais l’ensemble des activités liées à la vise scolaire : cantine, activités sportives et de loisirs...
(6) La loi 63 (Loi pour promouvoir la langue française au Québec, 1969), la loi 22 (Loi sur la langue officielle, 1974) et la loi 101 (Charte de la langue française, 1977).

Pour aller plus loin :

Quand le bilinguisme ouvre des portes, film réalisé par Anne Jochum, 49 min, Production Préparons demain, 2013
Histoire sociale des langues de France, sous la dir. de Georg Kremnitz, 906 pp., Presses universitaires de Rennes, 2013

Silence existe grâce à vous !

Cet article a été initialement publié dans la revue papier. C'est grâce à vos abonnements et à la vente de la revue que nous pouvons continuer à proposer des alternatives à la société consumériste et destructrice actuelle. Sans publicité, sous forme associative, notre indépendance et notre pérennité dépendent de votre engagement humain et financier !

S'abonner Faire un don Participer