Dossier Alternatives Esperanto

Ai’ta ! désobéissance civile au service de la langue bretonne

Tristan An Nedeleg

C’est en 2005 qu’un groupe de jeunes du Trégor, petite région brittophone des Côtes-d’Armor, crée le collectif Ai’ta ! (“allons-y !”). Inspiré par d’autres collectifs désobéissants qui émergent alors en Europe, il met en pratique la non-violence active pour dénoncer les discriminations que subissent la langue bretonne et ses locuteurs. Ai’ta ! souhaite ainsi donner à la seule langue celtique parlée sur le continent toute sa place dans la vie publique.

Vêtus de couleur orange pour être vus, ces activistes de la langue bretonne organisent des actions coup-de-poing et autres happenings lorsqu’ils ont une cible en tête.
Ai’ta ! mène sa lutte pour la langue bretonne à travers la stricte application des règles fondamentales suivantes : indépendance par rapport aux partis politiques, non-violence active (1), pas de hiérarchie dans l’organisation, et démocratie directe comme principe de fonctionnement. Enfin, ce collectif exclut toute forme de racisme, d’exclusion et d’intolérance. Par ailleurs, Ai’ta ! n’a aucune structure légale : ce n’est ni une association ni un parti. Ce type d’organisation rend chacun des membres du collectif responsable des actions, mais les protège également.

Des exemples d’actions menées par Ai’ta !

Leur lutte a commencé modestement par la pose de banderoles géantes, à la mode Greenpeace, et a évolué vers des actions telles que l’occupation de la résidence secondaire de Jean-Marc Ayrault, alors Premier ministre. On trouve souvent dans leur mode opératoire cette pointe d’humour inhérente à beaucoup d’organisations de désobéissance civile. On y décèle la patte de leurs formateurs (2). Désormais, forts de neuf ans d’expérience, ils organisent chaque année leurs propres stages de désobéissance nommés mar plij ("s’il vous plaît").
L’une des actions les plus visibles en Bretagne, c’est l’autocollant orange "E brezhoneg !" ("En breton !"), qu’ils ont posé sur des centaines de panneaux, des mairies… Cela leur a valu deux procès fin 2013, qui se sont soldés par des amendes mais ont aussi fait office de tremplins médiatiques. Ces procès ont été marqués par le refus systématique des juges d’entendre la langue bretonne dans les tribunaux, et ce malgré la présence d’interprètes assermentés. Les victoires d’Ai’ta ! sont nombreuses mais encore peu visibles, au vu de l’immense travail qu’il reste à faire dans ce pays qui a subi une assimilation culturelle forcée. Ils ont tout de même obtenu un tramway bilingue à Brest, avec des annonces vocales en breton, et une signalétique bilingue dans certaines gares TER, ainsi que de nombreux services administratifs et des signalétiques bilingues. La Poste commence aussi à s’y mettre, après des années de campagne de votations citoyennes puis d’occupations de locaux. Leur dernier coup d’éclat a été l’organisation de la Marche pour une télévision bretonne bilingue, qui a rassemblé 2000 personnes au sommet des monts d’Arrée (Finistère).

Pour la "dégéthoïsation" de la langue bretonne et son retour à l’espace public

L’objectif principal du collectif est donc de faire vivre la langue bretonne en en développant la place dans la sphère publique, condition sine qua non de sa survie. En effet, une langue que l’on ne peut voir, entendre et parler dans la vie de tous les jours est condamnée à mort. Le collectif se bat donc pour que le breton cesse d’être hors la loi, obtienne un statut légal de coofficialité en Bretagne, auprès du français, et sorte du "ghetto" de la sphère privée, car une demande sociale en ce sens existe. Par leurs actions, les activistes d’Ai’ta ! souhaitent aussi informer et sensibiliser le grand public, dire combien la langue bretonne est menacée mais aussi que rien n’est inéluctable.
Enfin, par leurs actions souvent drôles, impertinentes et colorées, ils veulent contribuer à donner une image moderne de la langue bretonne, notamment en faisant savoir que l’on peut vivre en breton tout en étant jeune, bien dans sa peau et dans son siècle. Dans ce but, ils militent pour la mise en place d’une politique linguistique volontariste et globale prenant en compte chaque aspect de la vie publique (médias, administrations, transports, éducation, grandes entreprises…).

En quête de l’équilibre et de l’harmonie

La lutte d’Ai’ta ! pourrait se définir comme la recherche du "Hozhoo"(3) entre l’être humain et sa terre, son substrat. La Bretagne a vu naître une culture et une langue atypiques, transmises depuis 1500 ans sur cette péninsule. En cela, la lutte d’Ai’ta ! pour la langue bretonne fait écho aux luttes d’autres minorités, opprimées elles aussi dans le monde, et qui essayent de cultiver leur langues ancestrales. La rencontre du collectif avec les indiens d’Amérique — Navahos, Mapuches, Choctaws et Sioux —, et leur application du principe du "Hozhoo" nous rappelle que le combat des peuples pour leur dignité et le respect de leurs cultures est universel. Les brittophones qui se mobilisent pour de nouveaux droits politiques et culturels participent ainsi à la décolonisation culturelle de la Bretagne. In fine, Ai’ta ! lutte pour une mondialisation humaine et non capitaliste, alors que l’uniformisation culturelle reste pour l’instant la règle.
En 2015, Ai’ta ! fêtera ses 10 ans et sûrement de nouvelles avancées pour sa langue de cœur.

Tristan An Nedeleg
Activiste de la langue bretonne, membre d’Ai’ta !

(1) Gandhi, Luther King, Greenpeace…
(2) Ils ont en effet suivi des stages avec des anciens membres de Greenpeace, des faucheurs volontaires et, dernièrement, avec les Désobéissants.
(3) Hozhoo, en langue navaho (Amérique du Nord), signifie “équilibre” ou “harmonie” et se traduit par ar c’hempouez ou an heson en breton.

"Une langue que l’on ne peut voir, entendre et parler dans la vie de tous les jours est condamnée à mort."
"Faire savoir que l’on peut vivre en breton tout en étant jeune, bien dans sa peau et dans son siècle."

Texte Photo résidence JM Ayrault : Le 25 mai 2013, à Sarzeau (Morbihan), le collectif a occupé la résidence de Jean-Marc Ayrault. Ils avaient apporté les panneaux des voies express bretonnes (gérées par l’Etat), les seules routes où la langue bretonne était encore interdite. Par ce symbole, ils exigeaient la ratification par la France de la Charte européenne des langues régionales et minorisées, promesse no 56 du candidat Hollande.

Texte photo « marche pour la langue bretonne à la TV » (Crédit : Michel Noen) : Le 8 juin 2014, Ai’ta ! organisa une "Boum !" : après un débat avec les acteurs de l’audiovisuel breton, une marche commémora l’attentat contre le pylône de Roc’h Tredudon, en 1974 (revendiqué par l’organisation indépendantiste Front de libération de la Bretagne, il priva l’ouest de la Bretagne de télévision pendant plusieurs semaines et, indirectement, provoqua un pic de natalité neuf mois plus tard), suivie d’un grand concert festif.

Texte photo "panelloù ha pegsunioù" : Un panneau recouvert des autocollants d’Ai’ta !

Texte Photo Poste Morlaix : Action de désobéissance à coup d’autocollants, et occupation des locaux de la Poste, à Morlaix (Finistère).

Texte Photo Poste de Guingamp : action de désobéissance à la Poste de Guingamp. La police essaye de "démêler" la tortue, technique d’enchevêtrement des militants permettant de bloquer un site.

Texte Photo Die-in gare de Brest : Action de désobéissance par la technique du die-in, en gare de Brest, afin d’obtenir des annonces vocales en breton dans les trains et gares en Bretagne.

Texte Photo collage d’affiche sur TGV : Afin d’exiger la prise en compte de la langue bretonne par la SNCF, le collectif s’attaque régulièrement aux TGV au départ pour Paris afin d’y envoyer son message.

Texte Photo concours "an Alc’wezh aour 13" : Dans le cadre de la grande manifestation de mars 2012 à Quimper, qui avait réuni 12 000 personnes pour le soutien à la langue bretonne, le collectif a souhaité organiser un grand concours de démontage de panneaux non bilingues. La désobéissance civile de masse a porté ses fruits. Des centaines d’anonymes ont démonté les panneaux près de chez eux. Un jury a ensuite classé les panneaux en diverses catégories et remis un trophée à "la plus belle prise" : une grande clé de 13 dorée.

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