Alternatives Esperanto

Luttes pour les langues régionales en France

Tangi Louran

« La diversité culturelle est, pour le genre humain, aussi nécessaire qu’est la biodiversité dans l’ordre du vivant », affirme la déclaration de l’UNESCO sur la diversité culturelle. La lutte pour les langues dites régionales s’inscrit pleinement dans le combat pour l’avenir de l’humanité.

La reconnaissance des langues obéit aussi à un principe de démocratie. Elle est fondée sur les droits des peuples ou des minorités, le droit des personnes à être reconnues dans leur dignité et leurs identités, dont les langues constituent un aspect fondamental. Il s’agit d’un droit de l’homme promu par les Nations Unies et par la France… à l’extérieur, mais refusé en France, ce qui est régulièrement dénoncé par les instances internationales (1).
Il fallut attendre la loi Deixonne de 1951 en France, pour obtenir de l’Etat colonial (2) une reconnaissance de quatre premières langues dites régionales (basque, breton, catalan, occitan). Cette loi, qui autorisait un usage très limité de ces langues aux enseignants qui le demandaient, n’avait pas pour but d’empêcher le déclin de langues par ailleurs exclues de la vie publique, de la radio et de la télévision. Dévalorisé, interdit, réprimé, leur usage était sanctionné à l’école et elles restaient donc des impasses pour les populations aspirant naturellement à la promotion sociale dans le système dominant.

La lutte sociale pour les langues

Mais c’est aussi la perte de ces langues qui a entraîné dans la société un mouvement de renouveau. C’est la lutte sociale face aux refus de l’Etat qui a permis des avancées : la création, à partir de 1969, des premières écoles associatives Seaska, en basque, a été suivie par les écoles catalanes Bressola (1976), les écoles bretonnes Diwan (1977), les écoles occitanes Calandretta (1979). Il a fallu des manifestations de rue, l’occupation de locaux d’élus, des actions médiatiques comme la « marche pour l’égalité des langues » de Carhaix à l’Elysée, l’envahissement de la célèbre émission de télévision de Michel Polac Droit de réponse en 1984…
Sur le terrain, il a fallu organiser le soutien financier populaire par des fêtes et des souscriptions volontaires. La croissance du nombre de ces écoles — nées pratiquement dans la clandestinité —et la pression ont permis qu’elles soient reconnues sous un statut privé très insatisfaisant. L’ouverture de classes bilingues publiques a suivi (circulaires Savary de 1982), toujours sous la pression de parents regroupés dans des associations locales ou régionales, qui ont ensuite créé, en 1987, la Fédération pour les langues régionales dans l’enseignement public (FLAREP). Jusqu’à la création des écoles associatives alsaciennes ABCM-Zweisprachigkeit (1991), l’Education nationale s’est toujours refusée à ouvrir des classes bilingues, qu’elle combat encore de façon insidieuse.

Le créole aussi

Suivant ce mouvement, les régions d’outre-mer — Réunion, Martinique, Guyane et Guadeloupe — ont obtenu la reconnaissance du créole en 2002 dans la loi de programme pour l’outre-mer.
En 2014, plus de 75 000 élèves, tous systèmes confondus, suivent un enseignement immersif ou paritaire bilingue français-langue régionale grâce à ces mouvements. Cependant, même si, au Pays basque nord, environ le tiers des élèves ont une scolarisation bilingue basque-français, si des lois spécifiques depuis les années 2000 ont permis le développement de l’enseignement du tahitien, des langues mélanésiennes ainsi qu’une généralisation de l’enseignement du corse, cet enseignement reste trop insuffisant pour assurer la survie de ces langues (3).

La langue dans la vie publique

C’est aussi l’action directe qui a fait entrer les langues dans la vie publique. Prenant exemple sur leurs cousins gallois d’outre-Manche, les bretonnants (ou brittophones), avec des organisations comme Skol An Emsav (Ecole de la résistance) puis Stourm Ar Brezhoneg (Combat pour le breton) dans les années 70 et 80, ont mis en œuvre des actions de désobéissance civile, telles que le déboulonnage et le peinturlurage de panneaux de signalisation, ou la fabrication et la pose d’autocollants pour rebretonniser les panneaux routiers.
Au cours des années 2000, les Demo au Pays basque et Ai’ta en Bretagne ont pris le relais. La confédération Euskal Konfederazioa, regroupant les associations culturelles basques, mène la campagne Bai Euskarari (Oui au basque) pour l’usage de cette langue dans les collectivités locales et les entreprises. Actions qui entraînent souvent la répression par la police et les tribunaux.
Mais des résultats sont obtenus : la signalétique bilingue se généralise dans trois départements bretons (4), ainsi qu’au Pays basque nord, en Catalogne nord et en Corse. Elle progresse en Occitanie, par exemple à Toulouse, ainsi qu’en Alsace, sous l’impulsion des associations et de certains élus.

Dans les médias

Face à la très faible place des langues régionales sur les médias publics (5), c’est encore l’action militante qui doit s’exercer. Les radios pirates autrefois, puis les radios associatives (à condition que le CSA parisien soit bien disposé), et les web TV ont dû s’y mettre. L’hebdomadaire La Setmana, d’abord censuré par le fonds d’aide à la presse hebdomadaire régionale parce que rédigé en occitan, a ouvert la voie au journal breton Ya !. Nombre de revues mensuelles existent dans les langues régionales, tenues bénévolement à bout de bras.

Quelles perspectives ?

Dans les années 90, sur la base d’initiatives associatives et politiques locales, des Offices publics ont été créés pour mettre en œuvre des politiques publiques pour ces langues (6) (7). Ces réformes démocratiques ont libéré les initiatives sociales et facilité les coopérations entre les régions d’Europe.
La réforme territoriale ouvre deux voies opposées aux langues régionales, mais aussi à la France : d’un côté, le retour en arrière vers le bonapartisme d’un pouvoir central de type colonial, découpant des régions technocratiques aux mains de métropoles concentrant richesses et pouvoirs ; de l’autre, le progrès d’une démocratie de type fédéral par la constitution de régions aux compétences réelles et fondées sur la volonté d’appartenance, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

Tangi Louarn
Président du Réseau européen pour l’égalité des langues (ELEN-EBLUL-France)
http://eblul-france.eu/www/eblul/

(1) Yves Person, conseiller de François Mitterrand pour son discours « Décolonisation, régionalisme et mythes français », tenu à Dakar en 1970, en faisait le constat : « Au nom de l’universalisme qu’elle revendique pour sa culture particulière, la France, depuis des siècles, s’est efforcée de pratiquer le génocide culturel partout où elle a pu imposer son pouvoir d’État. »
(2) Le mouvement de « décolonisation » commençait à peine.
(3) Voir l’article « En Pays basque nord, l’enseignement joue un rôle moteur », page …..
(4) Finistère, Côtes-d’Armor et Morbihan
(5) Voir le rapport Caron 2013 : 380 heures en 2012 sur France 3, pour toutes les langues, le corse étant le moins mal loti, avec une moyenne de 26 minutes par jour.
(6) Office public de la langue basque en 2001, de la langue bretonne en 2010, de l’occitan en 2014. Lofis la lang Kréol, à la Réunion, a été créé comme association en 2006.
(7) Sans l’élection de François Mitterrand en 1981, et les lois de décentralisation Defferre de 1982 remettant la clause de compétence générale aux régions et départements, aucune de ces avancées n’aurait pu se développer. Cette clause de compétence est remise en cause en 2014.

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