Article Énergies Gaz de schistes

Algérie : les opposants en mode résistance

Mehdi Bsikri

Le gouvernement algérien a amendé en janvier 2013 la loi sur les hydrocarbures ouvrant la voie à l’exploitation des gisements non conventionnels (pétrole et gaz de schiste). Mais la résistance s’organise…

Les autorités évoquent un énorme potentiel, mais la question qui s’impose est : comment Alger a-t-elle pu définir la quantité de ses réserves, notamment en gaz de schiste, et placer le pays à la troisième position mondiale ? Ses références trouvent leur origine dans un rapport de l’Agence de l’énergie américaine, mais comment les Américains ont-ils pu estimer ces réserves, puisqu’aucune prospection sur le territoire minier algérien n’a eu lieu ? Spéculation diront certains, surenchère diront d’autres. Les enjeux sont ailleurs.

Réactiver le débat public

Bien avant l’amendement de ladite loi, deux projets d’explorations existaient depuis 2011 à Ahnet 1 et Ahnet 2, périmètres situés à plus de 1600 km au sud de la capitale algérienne.
En octobre 2012, s’est constitué le Collectif national pour libertés citoyennes (CNLC). Ce groupement de citoyens algériens a été fondé pour positionner le sujet de l’exploitation de gaz de schiste dans la sphère publique, pour exiger un débat national et la réactivation du Conseil national de l’énergie, gelé depuis 1999.
Le CNLC a invité en novembre 2012, le professeur Kacem Moussa, expert en énergie et en environnement, à animer une conférence débat à Alger sur les risques écologiques, notamment sur les nappes phréatiques et albiennes (1). L’utilisation de produits chimiques, dont certains hautement toxiques, dans le processus de fracturation hydraulique, est une source de pollution potentielle de ces dernières.
Le mois suivant, le CNLC a fait intervenir l’analyste financier Ferhat Ait Ali qui de son côté a démontré l’incohérence, pour le pays, de s’engager dans l’exploitation de gaz de schiste, dont il ne faut attendre aucune rentabilité financière. De même qu’il a expliqué que, toujours sur le point économique, ce qui est valable aux Etats-Unis ne peut être transposable en Algérie. Seule la contribution de la Réserve fédérale américaine, à titre de subventions, permet de maintenir la production. Après cette intervention de l’expert financier, c’était au tour du Dr Sabrina Rahmani, médecin spécialiste, de citer les multiples risques sur la santé humaine une fois l’exploitation lancée. Dans le Sahara algérien il existe une vie, une faune et une flore, tout un écosystème reposant sur plus de 50 000 milliards de m3 d’eaux souterraines.
Grâce à la médiatisation, même timide, de ces deux conférences, le CNLC a pu s’ériger comme étant un acteur crédible de la société civile pour contrer le gouvernement dans ses projections, aux côtés du Collectif euro-maghrébin anti-gaz de schiste (CEMAGAS).

Sonatrach, un géant au cœur du pouvoir

La radio internationale d’Alger, organe public, s’est intéressée au CNLC. La présentatrice de l’émission « Repères économiques », Ghania Kobbi, a ouvert les portes au collectif pour lui permettre de confronter ses arguments à ceux des représentants des officiels ou des « cadres » pro-exploitation de gaz de schiste, dont des experts libéraux et d’anciens PDG de Sonatrach, la mère nourricière de l’Algérie (2). L’occasion de souligner que les nappes d’eau douce souterraines constituent la véritable richesse de l’Algérie, et son avenir.
Le budget prévu pour cette exploitation (Sonatrach parle de 100 milliards de dollars d’investissement) (3) pourrait être consacré au développement d’une agriculture durable, respectueuse de l’environnement et des humains, au lancement de projets d’énergies renouvelables et pour partie à la revalorisation des gisements d’hydrocarbures conventionnels, qui enregistrent des déperditions conséquentes, comme les gaz émanant de torchères.

Une voix critique inaudible ?

Premier pas franchi, une frange plus large de la société est au moins au courant des dangers de ce projet destructeur, que le CNLC n’hésite pas à qualifier de criminel.
Malgré cela, l’amendement a été voté. Seule une poignée de députés s’est opposée au changement de la loi. (4) L’intérêt du peuple ne peut être défendu dans l’enceinte parlementaire.
Les mois se sont écoulés. Les membres du CNLC, leurs amis et leurs contacts dans les médias et le cercle d’experts indépendants, comme le professeur Chitour Chemessedine (5), s’efforcent jour après jour d’alerter l’opinion.
Mais pour l’heure, il faut reconnaître que malgré tous les efforts, la voix de la société dans son ensemble est inaudible. Inaudible car le pouvoir empêche toute diffusion de l’information objective et citoyenne.
Cependant des voix s’élèvent. Citons le mouvement Barakat, -réprimé lors de sa création en mars 2014 pour s’être opposé au 4e mandat de l’actuel chef d’Etat- qui a organisé le 7 juin 2014 une conférence populaire à Alger Centre. Les membres du mouvement ont successivement pris la parole pour expliquer à la rue algéroise qu’elle doit prendre ses responsabilités. Aussi, n’oublions pas dans ce sillage une partie de la société civile de Ouargla et d’Adrar, deux villes du sud algérien, qui ont organisé de part et d’autre des marches pour dénoncer le projet de l’exploitation de gaz de schiste. Si le gouvernement persiste, un seul espoir demeure. Un changement à la tête de l’Etat pour modification, dans le sens positif, de la loi sur les hydrocarbures. Pour cela, le mot d’ordre est : Résistance.

Mehdi Bsikri
Militant anti-fracturation
Membre du CNLC et du Mouvement Barakat !

(1) La nappe de l’Albien se trouve en grande partie dans le Sahara d’Algérie, elle est la plus grande réserve d’eau douce au monde, équivalente à une demi mer méditerranée.
(2) La Sonatrach est une entreprise publique algérienne et un acteur international dans l’industrie des hydrocarbures, classée première entreprise africaine en 2013. Elle intervient dans l’exploration, la production, le transport par canalisations, la transformation et la commercialisation des hydrocarbures et de leurs dérivés.
(3) C’est le plan d’investissement global pour relancer la production de pétrole et de gaz dans le pays d’ici 2020, gaz de schiste inclus, qui était annoncé pour un montant de 100 milliards de dollars par la compagnie en juillet 2014. Voir par exemple : www.tsa-algerie.com.
(4) Que dire d’une Assemblée Nationale qui se prosterne devant un pouvoir illégitime ?
(5) Professeur de thermodynamique à l’École nationale polytechnique d’Alger.

Collectif national pour libertés citoyennes (CNLC)  : www.cnlc-dz.org.
Mouvement « Barakat »  : www.facebook.com/50snabarakat?ref=ts&fref=ts

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