Article Eau Environnement

Algérie : l’eau se fait de plus en plus rare

Mohamed Anouar Khelil, Mohamed Nichane

À l’horizon 2020 l’Algérie connaîtra une réduction des précipitations de l’ordre de 5 à 13% et une augmentation des températures de 0,6 à 1,1°C. À cet horizon, le pays subira des sécheresses et des inondations et les besoins en eau doubleront de volume sous la pression de la croissance démographique et de l’urbanisation continue.

Le pays connaît déjà une accentuation des sécheresses et donc l’aggravation des phénomènes de désertification, salinisation des sols, pollution des eaux superficielles et par conséquent une dégradation progressive des ressources en eau. De même les inondations qui continuent à sévir au nord comme au sud, seront plus importantes et fréquentes.

Comment l’eau en vient à manquer

En Algérie, la vulnérabilité hydrique due aux changements climatiques s’exprime à travers plusieurs aspects :
• la rareté des ressources : le pays se situe en dessous du seuil théorique de rareté fixé par la Banque Mondiale à 1000 m3 par habitant et par an (1),
• la demande, en croissance permanente, en eau potable, en eau agricole et en eau industrielle, générée par une démographie et un développement industriel sans cesse croissants,
• la diminution des écoulements des eaux et l’évaporation des eaux de surface,
• une dégradation rapide des infrastructures hydrauliques due à la qualité médiocre de gestion technique des ouvrages, ce qui provoque des pertes d’eau énormes,
• les inondations et divers phénomènes extrêmes qui ont d’ores et déjà touché plusieurs parties du territoire national : Bab El Oued à Alger en mai 2001, ainsi que d’autres au sud du pays : Tamanrasset, Ain Guezzam et Ghardaïa,
• les menaces sur les zones humides : pompage excessif, construction irréfléchie de barrages qui drainent au profit de l’agriculture.

Les impacts du changement climatique

Le Maghreb a connu un réchauffement de plus de 1°C durant le 20e siècle. Le réchauffement probable de la région sera de l’ordre de 2° a 4° durant le 21e siècle. Il en résultera des impacts significatifs : augmentation des températures et des précipitations, raréfaction des ressources en eau, hausse de la fréquence des tempêtes. (2)
La sécheresse intense et persistante, observée en Algérie durant les 30 dernières années et caractérisée par un déficit pluviométrique évalué à 30 % −(50 % durant l‘année l’année 2001- 2002)− a eu un impact négatif sur les régimes d’écoulement des cours d’eau, entraînant des conséquences graves sur l’ensemble des activités socio-économiques du pays. Le changement climatique affecte aussi les eaux de barrage, principalement par envasement et diminution du ruissellement. (3)
La diminution des pluies due aux sécheresses qui sévissent depuis le début des années 1970 a entraîné une baisse constante des réserves d’eaux souterraines des principales nappes aquifères du nord du pays. Dans beaucoup de plaines, le niveau des nappes phréatiques a déjà chuté dans des proportions alarmantes (plus de 20 m). Le taux moyen d’utilisation des nappes phréatiques est de 79 % dans la région Nord, il peut parfois atteindre et dépasser les 90 % dans certaines zones. Dans les régions côtières, la baisse des niveaux de pression hydrostatique a d’ores et déjà entraîné la pénétration d’eau de mer dans les réserves d’eau douce des nappes aquifères côtières des régions de la Mitidja, d’Oran, de Terga et d’Annaba.

Désertification, maladies, inondations

Les récentes fluctuations climatiques et les sécheresses ont accentué le phénomène de dégradation des sols, engendrant ainsi la désertification des zones vulnérables comme les steppes et les hautes plaines. La tendance actuelle à des inondations plus intenses pourrait entraîner une érosion et une dégradation des sols plus importantes. Ces terres constituent de véritables potentiels agricoles et doivent assurer la sécurité alimentaire du pays ainsi que la protection de la frange côtière (4).
Le changement climatique a des répercussions sur la santé publique. La facture des épidémies de MTH (maladie à transmission hydrique) est lourde pour l’État algérien. Le coût de ces épidémies a été évalué à l’équivalent du budget de construction de plus d’une dizaine de stations de traitement des eaux.
Concernant les risques d’inondations, des pluies torrentielles et des orages comme ceux qui ont ravagé les régions de Bab El Oued, Ghardaïa ou Béchar seront de plus en plus fréquents.

Quelles stratégies d’adaptation ?

En Algérie, des pratiques d’adaptation sont déjà utilisées, car les épisodes de sécheresse, d’inondation, d’augmentation anormale de la température de l’air se manifestent continuellement.
Au niveau des mesures quantitatives, on peut évoquer le recours aux techniques d’économie d’eau en agriculture telles que l’irrigation au goutte à goutte et le choix de cultures moins consommatrices d’eau. Ou encore la valorisation des eaux usées traitées, l’accélération de construction de barrages, le lancement de programmes de forage supplémentaires, la réglementation du prélèvement d’eau au niveau des nappes souterraines, la réhabilitation des réseaux de distribution d’eau, l’amélioration des modes de gestion d’eau industrielle (recyclage, réutilisation)...
Au niveau qualitatif, citons la protection des eaux contre la pollution agricole, industrielle et humaine, la protection des zones humides, etc.
En Algérie, des mesures préventives, pour lutter contre les effets néfastes des phénomènes extrêmes, sont aussi au centre des préoccupations de l’État depuis l’adoption de la loi relative aux risques naturels et technologiques majeurs en 2004 (5).
Les changements et les imprévus climatiques vont rendre la gestion de l’eau de plus en plus difficile. Une action rapide destinée à adapter le secteur au changement climatique sera beaucoup moins coûteuse que les dommages qui résulteront de ce phénomène. L’adaptation doit donc commencer dès maintenant.

Mohamed Nichane et Mohamed Anouar Khelil
Département d’Écologie et Environnement
Faculté des Sciences de la Nature et de la Vie et des Sciences de la Terre et de l’Univers.
Université Abou Bekr Belkaid, Tlemcen (Algérie)
E mail : nichanedz@gmail.com

(1) Si en 1962, la disponibilité en eau théorique par habitant et par an était de 1500 m3, elle n’était plus que de 720 m3 en 1990, 680 m3 en 1995, 630 m3 en 1998, elle ne sera que de 430 m3 en 2020. La disponibilité en eau potable en Algérie en m³/habitant/an dépassera légèrement le seuil des 400 m3/ha.
(2) D’autres impacts sont à prendre en compte : la perte de biodiversité et la dégradation d’écosystèmes, la hausse du risque de famines, les mouvements de populations, ainsi que les incidences sur la santé.
(3) Kadi A., 1997, « La gestion de l’eau en Algérie », Hydrological Sciences-Journal-des Sciences Hydrologiques, 42(2) (1997) : 191 – 197.
(4) Arrus R. et Rousset N., 2006, L’agriculture du Maghreb au défi du changement climatique : quelles stratégies d’adaptation face à la raréfaction des ressources hydriques ? Tripoli, Laboratoire d’Économie de la Production et de l’Intégration Internationale. Groupe Énergie et Politiques de l’Environnement, 10 p.
(5) Meddi M. et Hubert J., 2002, Changements climatiques et leurs impacts sur les ressources en eau. Forum international organisé par ACMAD sur les changements climatiques dans les pays méditerranéens de l’Afrique. Alger.

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