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E.ON, menaces en Cévennes

Laurent Garbonel

Avec son projet de centrale à biomasse de Gardanne, le groupe E.ON veut exploiter les forêts du Gard, de Lozère et d’Ardèche. Le volume est tel qu’il faudra une exploitation intensive et mécanisée.

L’Etat a accordé son aide au groupe E.ON sur ce projet de centrale à biomasse, sous la condition impérative qu’il développe les filières bois régionales dans un périmètre de 400 kilomètres (1). E.ON avance que la centrale de Gardanne consommera principalement des déchets verts, des résidus de plans de défense de la forêt contre les incendies (DFCI), et des bois inutilisables à d’autres fins.
En vérité, le bois de coupe issu de l’exploitation forestière représente plus de 80 % du combustible biomasse, et le groupe a besoin d’aller en chercher en forêt. Au démarrage, 50 % de la ressource forestière nécessaire sera issue de bois venant de l’étranger ; les 50 % restants, soit 420 000 tonnes, seront mobilisés principalement en Provence (Montagne de Lure) et dans les Cévennes. A l’horizon 2025, la ressource en bois, soit 850 000 tonnes, devra être locale à 100 % (2).

Les Cévennes offertes aux gros engins mécaniques

Dans ces deux principales zones d’approvisionnement prioritaires de bois forestiers, E.ON a choisi le territoire cévenol (Nord-Gard, Sud-Lozère, Sud-Ardèche) où la richesse et la diversité apparente des paysages et de la forêt cachent un énorme potentiel de ressource de bois, actuellement inutilisé.
Lors d’une réunion d’information à Saint-Hippolyte-du-Fort (Gard) en 2013, le groupe a évoqué son intérêt pour les châtaigneraies cévenoles.
Quiconque s’est intéressé un tant soit peu aux filières bois-énergie sait que, pour mobiliser du bois en forêt, il faut adapter son exploitation à un procédé industriel. Ce ne sera pas une armée de bûcherons qui se collera à la tâche, tronçonneuses à la main, mais plutôt des têtes abatteuses, des débusqueurs et toute une batterie d’engins permettant de couper et sortir du bois des massifs forestiers, rapidement et à moindre coût. Aussi, en observant les deux principales essences présentes dans les massifs cévenols (pin maritime et châtaignier), on comprend rapidement que le pin maritime est mieux « calibré » pour s’adapter à une exploitation utilisant ces machines : la châtaigneraie, à l’abandon, présente le plus souvent de vieux sujets tordus avec de nombreuses branches charpentières de gros calibre partant en tous sens, alors que le pin maritime a un port relativement droit, avec un houppier haut et des branches régulières le long du tronc.
Toucher les élus au cœur avec le châtaignier

Stratégie d’E.ON pour les Cévennes : toucher les élus au cœur en leur parlant du châtaignier (certains croient d’ailleurs que grâce à E.ON, la châtaigneraie cévenole retrouvera une nouvelle vie) ; ou bien, leur proposer de les débarrasser du pin maritime (espèce envahissante majoritaire qui a contribué au déclin de la châtaigneraie, appauvrit le sol et accroît les risques d’incendie).
C’est sans doute pour ces raisons qu’une majorité des élus des Cévennes, contrairement à ceux de l’autre zone d’approvisionnement, en Provence, a cosigné en août 2013 un appel à initiative avec E.ON afin d’inciter les professionnels de la filière bois locale à s’équiper, en proposant un appui à la recherche de financements pour du matériel spécifique à ce type d’exploitation : araignées, débusqueur, pont mobile, têtes abatteuses…

Mégaprojet et préservation du territoire : le paradoxe

Depuis 2006, les élus cévenols ont œuvré pour la forêt, ses débouchés bois d’œuvre et bois énergie, par la rédaction de chartes forestières de territoire, la mise en place de filières bois énergie locales, et l’étude de valorisation du pin maritime. Dans toutes les études et réflexions menées (SCOT, charte du Parc national des Cévennes, charte forestière, schéma de développement touristique…), on vante la qualité de ces forêts et paysages encore préservés, et on exprime le souci de les sauvegarder via une politique de développement respectueuse. Le syndicat mixte Pays Cévennes (120 communes) a localement mis en place une filière bois énergie ; d’un côté, les collectivités du territoire sont équipées de chaufferies à bois automatiques, de l’autre, quatre plateformes de stockage et de déchiquetage ont été créées sur le territoire, et une déchiqueteuse a été acquise.
Pourquoi une large consultation des acteurs du territoire a-t-elle eu lieu lors de la rédaction de ces chartes forestières, alors que pour le projet E.ON, seules quelques réunions ont été organisées par le groupe ou, parfois par quelques élus « convaincus » ?
Pourquoi les organismes censés représenter les propriétaires forestiers et gérer la forêt cévenole (Syndicat des propriétaires, CRPF, ONF…) se transforment-ils en véritables promoteurs du projet ? Serait-ce un aveu d’échec de la politique forestière en Cévennes ? Serait-ce par naïveté, en pensant qu’E.ON s’intéresse de manière objective au territoire ?

Un projet mené dans la plus grande discrétion

Depuis le dépôt initial de demande d’autorisation de conversion de la centrale de Gardanne à la biomasse, fin 2011, et la réunion de Saint-Hippolyte-du-Fort, il n’y eu ni consultation ni échange pour les habitants et les professionnels. Certains élus ne connaissent même pas le contenu du projet.
Tout dossier de cette envergure requiert la prise en compte de l’évaluation des effets environnementaux directs et indirects, inhérents à ce type d’exploitation. On n’a mené aucune étude d’impact sur les paysages et la biodiversité dans les zones concernées. Rien dans le dossier d’E.ON
Y a-t-il une stratégie de gestion durable des coupes ? Des propositions de replantation après coupe ?

Quels impacts ?

Malgré l’absence d’étude et vu les volumes envisagés, on peut aisément imaginer les atteintes aux massifs forestiers. Sans compter que légalement, E.ON peut, de manière directe ou indirecte, traiter avec les propriétaires forestiers pour exploiter leurs parcelles. Seule obligation facilement contournable : ne pas effectuer de coupes à blanc sur plus de 4 ha. Autre point : il n’existe aucun impératif de reboisement après les coupes, ce qui laissera la place à un semis naturel de résineux sans entretien, ce qui augmentera considérablement le risque d’incendie et appauvrira encore un peu plus les sols, lessivés et mis à nu par les coupes rases.
L’impact sur les paysages sera également important. On peut déjà voir, dans le nord du Gard et le sud de l’Ardèche, le résultat de ce type d’exploitation. Voilà cinq ans, le pin maritime ne valait rien, ses uniques débouchés étant l’usine de pâte à papier de Tarascon ou la fabrication de palettes (3) ; aujourd’hui, certains exploitants offrent jusqu’à 8 €/m3 sur pied pour alimenter notamment les chaufferies à bois de la ferme aux crocodiles de Pierrelatte.
Quant à la dégradation des infrastructures, E.ON ne propose aucun financement pour l’entretien et la rénovation des pistes de DFCI et des voiries secondaires, qui restent à la charge des collectivités locales.
Des frais d’entretien qui augmenteront avec la circulation régulière d’engins lourds…

Jouer sur l’image des énergie renouvelables pour détruire la forêt

En résumé, ce projet profite de la mode des énergies renouvelables et repose sur une exploitation industrielle de la forêt, malgré cet affichage durable. De nombreuses questions restent en suspens : l’entretien du réseau routier et des chemins forestiers à la charge des collectivités locales et des domaines privés ; la concurrence avec des filières locales (bois énergie, valorisation du pin maritime, bois de construction…) ; le patrimoine (dégradation du petit patrimoine bâti, ponts, sites remarquables)… Sans compter les diverses pollutions, qu’elles soient chimiques (terre et eau) ; physiques (érosion du sol) ; environnementales (coupes rases, création de pistes d’accès, transport du bois…).
Afin de préserver nos paysages et les intérêts des habitants des Cévennes, un collectif de citoyens est né, regroupant des associations et particuliers du Gard, de Lozère et d’Ardèche : SOS forêt Cévennes… Une mobilisation nécessaire, car, cerise sur le gâteau, le dossier d’enquête publique nous apprend qu’au niveau juridique, E.ON n’a aucune obligation de mise à jour ni d’adaptation des déclarations prévisionnelles de son projet.
Par Laurent Carbonel,
collectif SOS Forêt Cévennes

Contact :
• Collectif SOS forêt Cévennes, Association Cèze et Ganière, ceze.et.ganiere@gmail.com,

(1) Cela représente un arc de cercle qui va de la frontière espagnole, au niveau de l’Ariège, au Massif central, en passant par Foix, Toulouse, Clermont-Ferrand, Macon et la totalité des Alpes françaises.
(2) Source : https://www.lenergieenquestions.fr/gardanne-une-centrale-charbon-convertit-a-la-biomasse/
(3) L’entreprise qui vient chercher le bois ne paie pas le propriétaire.

SOS forêt France

Ce collectif s’engage pour contribuer à élaborer et faire adopter une autre vision de la gestion forestière et de la filière bois, qui optimise les apports sociaux, écologiques et économiques des forêts à court et long terme, pour le bien de tous, aujourd’hui et demain. Il est né en 2011 en Lorraine de la rencontre entre syndicats de l’Office national des forêts, préoccupés par l’évolution des directives nationales et associations de protection de la nature ; il a pris une dimension nationale en 2013. Il s’est notamment investi pour modifier les articles forestiers de la loi d’Avenir, par des propositions d’amendements et une pétition rassemblant 50 000 signatures. Il regroupe des organisations nationales (Amis de la Terre, France Nature Environnement…) et des collectifs locaux comme SOS forêt Cévennes ou SOS forêt du Sud)
http://www.sosforet.org/ (site actualisé) et http://sosforets.wordpress.com/ (site initial).

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