Dossier Alternatives Transition

La résilience : un guide pour le futur

Pablo Servigne

C’est un mot qui fait le buzz. Tout le monde en parle. Mais le concept n’est pas si évident à saisir. Il a cependant cette capacité rare de mobiliser, et peut même servir de guide…

La résilience est la capacité pour un système de maintenir ses fonctions malgré les chocs.

Appliquée à l’alimentation, la résilience se résume à un chiffre : 9. C’est le nombre de repas dont dispose en stocks une ville pour alimenter ses habitants. Soit trois jours, guère plus. Autrement dit, c’est la distance qui nous sépare de la révolution. Ou de la famine, diront les pessimistes.
Dans les campagnes, la diminution de la diversité génétique (sauvage et cultivée) a réduit comme peau de chagrin les capacités des agroécosystèmes à atténuer les invasions, les épidémies ou les maladies.
Plus inquiétant encore, les structures de tous les réseaux mondiaux (commerce, informatique, finance, transports, etc.) sont devenues si interdépendantes et complexes que les outils scientifiques actuels ne sont même plus capables d’en prévoir ni d’en contrôler le comportement ! Cela pose évidemment de graves problèmes pour notre société, car même lorsque les experts et les décideurs sont informés, compétents, et disposent des meilleures technologies, des chocs systémiques imprévisibles arrivent inévitablement dans tout réseau complexe.
Mais comment rendre nos systèmes alimentaires moins vulnérables ?

Un mot buzz

La résilience. C’était le thème du Forum économique de Davos en 2013, c’est aussi devenu l’un des objectifs explicites des politiques de l’Organisation des Nations Unies (1), et le Time Magazine titrait en janvier 2013 : « S’adapter ou mourir : pourquoi le mot buzz des environnementalistes sera ‘résilience’ » (2). Enfin et surtout, il est le leitmotiv du mouvement des initiatives de transition. Ces dernières années, la résilience a le vent en poupe, elle apparait comme un témoin de changement d’époque. L’heure n’est plus à l’évitement des catastrophes mais bien à l’adaptation.
A l’origine, le concept vient de la physique, puis il a envahi la psychologie — on le connaît surtout par les travaux de Boris Cyrulnik (3). Aujourd’hui, de nombreuses disciplines l’utilisent, mais ce qui nous intéresse particulièrement ici, c’est la résilience des systèmes socioécologiques, une science qui a véritablement démarré dans les années 70, lorsqu’on a pris conscience de la fragilité des écosystèmes et de leur complexité. Mais de quoi parle-t-on finalement ? C’est la capacité pour un système de maintenir ses fonctions malgré les chocs. Une définition assez floue, à moins d’être encadrée par quelques principes.

Les principes de résilience

A l’avenir, il est très probable qu’il faille continuer à produire beaucoup de nourriture avec moins de terres fertiles, des sols et de l’eau pollués, des zones de pêche très réduites, des conditions climatiques parfois extrêmes, et avec une industrie en panne à cause de la diminution des approvisionnements en énergie. Une fois ce scénario posé, on peut voir les choses de deux manières : soit nous l’anticipons (en tentant de nous adapter grâce à des politiques fortes), soit nous le subissons. Si l’Europe choisit aujourd’hui des politiques de statu quo, il est probable que les perturbations sur le système alimentaire industriel soient si déstructurantes que nous verrons en quelques années apparaître spontanément et dans l’urgence des petits systèmes aux marges, qui auront finalement les mêmes caractéristiques que les principes généraux proposés ci-dessous : ils seront résilients, mais par nécessité. Ils seront surtout moins nombreux et plus fragiles. Alors autant anticiper. Mais attention, les principes présentés ci-dessous ne sont pas des règles ni des normes strictes, ce sont des guides qui permettent de naviguer en cas de doute et de s’adapter à chaque cas particulier.

• Locaux. Produire, transformer et consommer localement de la nourriture augmente la sécurité alimentaire des régions, crée des emplois locaux et réduit la consommation d’énergies fossiles (et, par conséquent, l’impact sur le climat).

• Diversifiés. Dans la mesure du possible, les politiques alimentaires régionales développeront une grande diversité de productions agricoles. Ainsi, en cas de rupture d’une chaîne d’approvisionnement du commerce international, ou en cas de difficultés dans les transports, les systèmes alimentaires régionaux pourront compter sur une certaine autonomie, et maintenir ainsi leur fonction vitale.

• Modulaires et décentralisés. On doit pouvoir établir (au moins temporairement) des frontières pour les marchandises, et jouer sur les paramètres de perméabilité pour réguler les flux et donc les « contagions ». La décentralisation implique de casser la structure hyper-hiérarchique des systèmes alimentaires. Autrement dit, il s’agit de réduire le pouvoir d’une élite et de redonner aux régions et aux collectivités locales le pouvoir de décider ce qu’elles veulent mettre en place.

• Cycliques. Observez une forêt : elle produit beaucoup de biomasse et pourtant, il n’y a pas de déchets. Chaque produit d’une espèce est la ressource d’une autre. Ainsi, le système devient auto-organisé, non polluant et bien plus efficient en énergie.

• Fondés sur les collectivités. Il y a fort à parier que les collectivités qui ne développent pas de mécanismes de coopération et qui restent dans des logiques de compétition soient les premières touchées par les crises, et donc les premières à risquer de connaître des troubles majeurs, voire de disparaître.

P. S.

(1) ONU, Pour l’avenir des hommes et de la planète : choisir la résilience, 2012. Disponible sur www.ipu.org/splz-f/rio+20/rpt-panel.pdf
(2) B. Walsh, « Adapt or Die : Why the Environmental Buzzword of 2013 Will Be ‘Resilience’ », Time Magazine, 8 janvier 2013.
(3) Boris Cyrulnik, psychiatre et psychanalyste français, auteur d’une vingtaine d’ouvrages dont Resilience : How Your Inner Strength Can Set You Free from the Past, Tarcher, 2011, 320 pp.

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