Article Eau Environnement

Quand l’eau redevient un bien commun

Corinne Gais

En janvier 2010, la ville de Paris finalisait la mise en place de la remunicipalisation de l’eau après 25 ans de délégation à des entreprises privées. Suivant cet exemple prometteur, d’autres villes de France y réfléchissent. A la fois choix politique et enjeu environnemental, ce retour à la gestion publique de l’eau est un débat d’actualité autour de la réappropriation d’un bien commun et d’un patrimoine naturel vital !

En France, selon l’Observatoire National des services publics d’eau et d’assainissement, seulement 35 % de la population est desservie en eau par un service public en 2011. Historiquement, la France est le pays de la délégation du service de l’eau à des acteurs du privé. On parle alors de « marché de l’eau potable » car cette denrée, pourtant « naturelle » n’est pas gratuite. En France, trois grandes entreprises se partagent l’essentiel du marché : Veolia Eau France, La Lyonnaise des Eaux et Saur (Société d’aménagement urbain et rural). Les autres opérateurs se partagent les 3 % restants.

Remunicipaliser prend du temps

Les deux modes de gestion, privé ou municipal, sont évalués par une étude. Ensuite, les prestataires techniques en charge du réseau d’eau, du traitement, de l’alimentation et de la facturation répondent aux appels d’offres lancés par la commune. Selon la taille des communes et les dates de fins de contrats, la procédure peut prendre 2 à 3 ans.
Pour les élus, basculer vers une « régie publique de l’eau », suppose que sa gestion soit assurée par des fonctionnaires et augmente le budget communal ou territorial. Il existe une forme d’organisme appelée EPIC (Etablissement public à caractère industriel et commercial) qui peut ré-employer les salariés (techniciens et agents administratifs) de l’entreprise privée ; les salaires sont payés grâce aux à la facturation de l’eau et de son assainissement.

Des économies à tous les niveaux

La gestion de l’eau à Paris a été déléguée à des opérateurs privés pendant près de 25 ans. Débuté en 2001 et finalisé en janvier 2010 grâce à un choix politique fort, le retour à une régie municipale a engendré des économies à tous les niveaux. A l’origine, trois opérateurs privés se partageaient le système de production de l’eau : la production et le transport de l’eau vers la Capitale étaient gérés par une SEM (Société d’Economie Mixte), Suez (anciennement Lyonnaise des Eaux) était en charge de la distribution et la facturation était assurée par Veolia (anciennement Générale des Eaux). Un centre municipal s’occupait du contrôle sanitaire.
Après les élections municipales de 2001, les rapports mettent en lumière la mauvaise gestion par les opérateurs privés depuis 1985. En 2003, les contrats sont renégociés et la Ville de Paris renforce son contrôle. Dès lors, les sommes versées aux entreprises en amont pour les travaux d’entretien ne sont plus versées que si les travaux sont effectués. Cela a permis à Paris de récupérer près de 150 millions d’euros de « provisions », utilisés ensuite pour l’aménagement d’un système de télé-relevage et le remplacement de tous les branchements en plomb qui n’avaient pas été changés. Le passage à un opérateur public engendre aussi de nombreux avantages tels que l’optimisation du service, la fin des chevauchements de fonctions et de métiers, mais aussi une meilleure coopération dans la production, la distribution et la facturation. La traçabilité est désormais totale depuis le point de captage jusque chez l’habitant.

Une plus forte capacité d’investissement

Selon l’adjointe au maire en charge de l’eau, la ville génère maintenant des bénéfices d’environ 40 millions d’euros par an ; ces gains étant intégralement réinvestis dans le service de l’eau. Ces économies ont été possibles grâce notamment à la mise en transparence des procédures d’appels d’offre, permise par la remunicipalisation. Le prix de l’eau a lui baissé de 8 %, dès le 1er Juillet 2011 et l’augmentation prodigieuse observée depuis 25 ans a été stoppée net (entre 1985 et 2009, son tarif avait augmenté de 174 %). Désormais, le prix de l’eau à Paris est tellement « modique » en comparaison d’autres services, que certaines collectivités comme la Communauté d’Agglomérations des Lacs de l’Essonne (CALE) réfléchissent à un approvisionnement en eau à partir de Paris.

Un tripe contrôle : politique, municipal et citoyen

Dans le cas de Paris, la gestion privée ne permet pas un contrôle rigoureux. Les distributeurs privés étant aussi administrateurs de la SEM chargée de leur contrôle, cela créait un réel conflit d’intérêts. Aussi, dès fin 2003 le conseil municipal décide de transférer le contrôle des distributeurs à l’administration municipale.
Paris délègue aussi le contrôle de gestion de l’eau à deux organismes. D’une part, l’Observatoire Parisien de l’Eau, regroupant des bailleurs sociaux, des associations de locataires, d’usagers, d’associations environnementales, de syndicats, de conseillers de quartiers, de chercheurs, permet à tout citoyen d’être informé des délibérations importantes concernant le service de l’eau. En plus de ce contrôle citoyen, c’est la municipalité qui fixe les objectifs techniques, financiers, sociaux et patrimoniaux que la régie devra atteindre via un contrat d’objectif pour 5 ans. Ces objectifs sont régulièrement évalués par les services techniques et financiers, et présentés chaque année devant le conseil municipal et l’Observatoire Parisien de l’Eau.
D’autre part, le contrôle de la régie est assuré par son conseil d’administration. Celui-ci est exceptionnel et comporte des acteurs de la société civile, des représentants d’associations de défense des consommateurs et de l’environnement et un membre de l’Observatoire de l’Eau
Ce conseil d‘administration est plus représentatif des habitants car il modifie le déroulement des séances, oblige la régie à rendre des comptes sur toute sa gestion et à être plus pédagogue et transparente.

Retour au service public, l’accès garanti à l’eau pour tous

Cette réforme permet surtout de garantir un accès à l’eau potable pour tous. Une « allocation préventive de solidarité » est allouée aux ménages en difficulté : une première en France, à l’heure où des salariés de Veolia sont poursuivis aux prud’hommes pour refus de couper l’eau à des familles qui ne pouvaient plus payer. La Ville de Paris met aussi en place un fonds d’assistance auquel la régie « Eau de Paris » participe à hauteur de 500 000 € (soit 3 fois plus que ne le faisaient les délégataires privés). Enfin, elle développe un système de partenariat avec les bailleurs sociaux permettant l’installation de kits économiseurs d’eau pour les plus défavorisés. Pour les personnes SDF, des fontaines en ville sont installées, en plus des trois puits artésiens déjà en place et une distribution de jerricans, de gobelets, de gourdes est assurée auprès des associations. La régie maintient également la fourniture d’eau dans les squats.
En France, beaucoup de contrats délégués au privé doivent être renégociés dans les années à venir. Des collectivités s’interrogent sur un retour à une gestion publique, même si chaque situation géographique est complexe et peut nécessiter d’importants investissements. Brest, Rennes, Rouen et Nice ont déjà fait ce choix. D’autres l’ont annoncé, comme la communauté urbaine de Bordeaux.
Parmi une des capitales et mondiales les plus importantes, la Ville de Paris peut se féliciter d’avoir réalisé ce défi en une dizaine d’années.

Corinne Gais

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