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France et la guerre contre le terrorisme en Afrique

Raphaël Granvaud

Après l’opération Serval au Mali, les autorités françaises ont officiellement lancé le 1er août 2014, l’opération Barkhane, en préparation depuis plusieurs mois.

Plus qu’une énième opération, il s’agit d’une véritable réorganisation du dispositif militaire français en Afrique. Les bases traditionnelles sont maintenues mais allégées : Djibouti et La Côte d’Ivoire pour les interventions à venir, le Sénégal et le Gabon pour la coopération. Mais surtout, 3000 militaires, principalement issus de l’opération Serval au Mali et de l’opération Épervier au Tchad (cette dernière durant depuis… 1986) sont désormais regroupés sous un commandement unique pour quadriller la bande sahélo-saharienne. Les principaux contingents sont domiciliés à N’Djamena, au Tchad et à Gao au Mali. Le Niger, longtemps réticent à l’implantation d’une base militaire étrangère, accueille désormais un centre dédié au renseignement aérien, où Français et Américains « travaillent » en étroite collaboration. Enfin, autour de ces pôles principaux, gravitent plusieurs implantations plus légères de forces conventionnelles ou de forces spéciales, couvrant cinq pays (Mali, Tchad, Niger, Burkina Faso et Mauritanie, avec des incursions vraisemblables vers la Libye).

Une guerre contre-productive ?

L’objectif de ce nouveau dispositif transfrontalier est de permettre plus de souplesse et de réactivité des forces françaises dans la lutte contre le terrorisme. De nouveaux accords militaires en partie secrets leur permettent en effet de mener des opérations ou de procéder à des assassinats ciblés sans même en informer les autorités des pays concernés. On peut toutefois s’interroger sur l’efficacité d’une ingérence armée étrangère pour lutter contre les mouvements islamistes radicaux, au vu des résultats en Afghanistan, en Irak ou en Somalie… Au Mali également, les réseaux initialement affaiblis se réorganisent et mènent des attentats suicide. Par ailleurs, les États africains sont fermement invités à privilégier les réponses sécuritaires, tandis que les budgets sociaux, déjà maigres, sont amputés. Au nom de la « stabilité », on continue aussi d’appuyer les régimes les plus autoritaires. Ainsi par exemple la dictature tchadienne d’Idriss Déby, qui abrite le commandement de l’opération Barkhane, et où François Hollande a récemment clôturé sa tournée africaine.

Dans ces conditions, on peut donc légitimement s’inquiéter du fait que les politiques menées risquent même de renforcer le mal que l’on prétend combattre. Des populations laissées pour compte constituent en effet un vivier inépuisable pour les mouvements criminels et/ou extrémistes religieux, dont les moyens matériels, les actions contre les forces étrangères et les discours sur le pillage des ressources peuvent facilement séduire des jeunes condamnés à un avenir sans espoir. Mais, pour les autorités françaises, seuls comptent la pérennité de leur influence en Afrique et les nouveaux « retours sur investissement » que cette présence militaire est censée faciliter.

Raphaël Granvaud
auteur de Que fait l’armée française en Afrique ?, Agone, 2009, 480 p., 18€.

Survie, 107, boulevard Magenta, 75010 Paris, http://survie.org.

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