Dossier Politique Réflexions générales

Rotation des mandats à Saint-Nazaire : une expérience ratée ?

Gaëlle Ronsin

Entre 2008 et 2014 a été développée au sein du conseil municipal de Saint-Nazaire (Loire-Atlantique) une pratique encore peu répandue : la rotation des mandats de ses conseillers. Le but : ne pas faire passer la personnalité de l’élu avant ses idées. Mais la mise en pratique de cette idée politique toute simple n’est pas sans embûches... Thierry Brulavoine, ancien conseil municipal, répond à nos questions.

Silence : Comment est né le principe d’une rotation des mandats au conseil municipal de Saint-Nazaire ?

Thierry Brulavoine : Il y a sept ans, une liste citoyenne à Saint-Nazaire a vu le jour en vue des élections municipales de 2008. Des militants aguerris mais n’appartenant pas à des partis politiques rejoignent la liste intitulée Label Gauche. Le maire de Saint-Nazaire achève alors son cinquième mandat sur un bilan plus que critiquable. Label Gauche s’inscrit donc en opposition et entend porter une parole écologique forte dans une ville marquée par l’industrie (1). Je me retrouve à la tête de la liste. Comme j’étais le plus décroissant de nous tous, je me suis dit que, si j’acceptais, nous avancerions plus vite. On a alors mené campagne avec nos petits moyens...
Au premier tour, Label Gauche crée la surprise en dépassant les 10 % de votants, succès qui se confirme au deuxième tour avec 17, 87 % des voix et l’obtention de quatre sièges d’élus.
Deux hommes et deux femmes siègent à Saint-Nazaire sous l’étiquette Label Gauche à partir de 2008. Un travail massif de préparation collective des conseils municipaux a lieu parmi la vingtaine de citoyens qui composent l’association. Des projets de délibérations sont préparés ensemble, des interventions et des arguments sont ciblés, afin que les élus soient soutenus par le collectif lorsqu’ils siègent au conseil.
Mais surtout, au sein de l’association Label Gauche, on ne conçoit pas la politique comme un métier ! Il faut qu’un maximum d’élus expérimentent la représentation. La liste décide de lutter contre les dérives de la démocratie représentative en inscrivant dans son programme le principe de rotation des mandats. Il est prévu que chaque colistier siège une durée limitée au conseil municipal durant la mandature, avant de céder sa place à un autre colistier.

Comment la rotation s’est-elle mise en pratique ?

Au bout de deux années, je démissionne donc de mon siège au conseil, où je suis remplacé par la personne en cinquième position sur la liste. Mais les trois autres conseillers municipaux de Label Gauche refusent de démissionner. Ils refusent d’appliquer la rotation des mandats au nom de divers arguments : quitter le conseil municipal signifierait par exemple pour eux l’abandon de la maîtrise des dossiers qu’ils connaissent et qu’ils veulent suivre jusqu’au bout.
Le principe de rotation n’avait pas été consigné à l’écrit lors de l’engagement sur la liste, ils ont donc repris leur parole. Ces trois élus quittent alors l’association Label Gauche et changent d’étiquette : ils restent dans l’opposition au conseil municipal sous l’intitulé « divers gauche ». Je ne m’attendais pas à ça, je pensais qu’ils étaient d’accord pour la rotation.
Mon remplaçant réalise également la rotation pour offrir son poste au sixième de la liste, au bout de deux ans. C’est finalement la septième personne de la liste qui accepte la charge. Mais, en raison de divergences intellectuelles, cette dernière quitte l’association Label Gauche pour adhérer au Nouveau parti anticapitaliste (NPA).
Deux rotations ont donc finalement eu lieu durant ces six ans au sein du conseil municipal de Saint-Nazaire, et Label Gauche n’a plus d’élu au conseil municipal à partir de fin 2012.

Quelles sont donc les leçons à tirer d’une telle expérience ? Fut-elle un échec ?

Je ne considère pas l’expérience de Label Gauche comme un échec total, c’est plutôt une belle aventure humaine avec tous les éléments de la tragédie. Mais l’intégrité de la liste a bel et bien souffert. Cela a servi à la majorité PS, bien contente d’observer le délitement de la situation.
Le mandat tournant a sûrement été mal réfléchi. Nous n’avions pas assez discuté là-dessus. Le projet de Label Gauche est né en novembre 2007, la liste a été bouclée début février 2008 pour des élections qui se tenaient en mars. Nous avons eu à peine trois mois, cela s’est fait dans la précipitation. On n’avait pas d’expérience dans le montage d’une liste municipale et, à vrai dire, nous avons concentré notre énergie sur le principe de mixité. La liste s’est construite avec beaucoup de déçus de la majorité en place, et nous n’avions pas une expérience suffisamment développée du travail en commun. Nous sommes partis du principe que la rotation des mandats était quelque chose d’acquis. Mais nous aurions eu besoin de nous donner du temps pour en envisager la mise en pratique.
Ce furent six années d’expériences très riches, qui nous ont beaucoup appris et qui m’ont fait réfléchir sur l’engagement politique. Pourquoi entre-t-on sur le terrain politique ? Uniquement pour des idées ? Mon analyse et l’expérience de Saint-Nazaire montrent que la cohérence entre les idées et la pratique est problématique. Certains cherchent à être élus pour satisfaire un besoin de reconnaissance sociale. Conserver son mandat et renoncer à la rotation participe à cette reconnaissance.

Propos recueillis par Gaëlle Ronsin

(1) Saint-Nazaire abrite le plus gros chantier naval de France, qui a connu de graves difficultés économiques ces dernières années.


Fin 2013, une liste Alternatives Citoyennes tente de se constituer pour les élections municipales de Saint-Nazaire, sur un programme similaire à celui de Label Gauche. Elle échouera à se présenter du fait de dissensions entre militants.

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