Brève Chronique En direct de nos colonies Nord-Sud

Franc CFA : un pilier de la Françafrique

Mathieu Lopes

Depuis son arrivée au pouvoir, le président tunisien Moncef Marzouki communique sur sa volonté d’intégrer pleinement son pays dans le continent africain. Dans la foulée de la révolution tunisienne, au sommet de l’Union Africaine de 2012, il déclamait devant un parterre de présidents crispés : « les révolutions vont balayer tous les régimes dictatoriaux. Rien ne pourra arrêter les peuples qui décident de rompre leurs chaînes » puis « nous nous sentons totalement africains. […] Mon pays va revenir en force pour occuper sa place dans l’espace africain ». Actuellement en tournée africaine, selon le site tchadien Alwihda Info, « Moncef Marzouki a exprimé le vœu de son pays de rejoindre l’espace monétaire de l’Afrique de l’Ouest ».

Le franc CFA, qui domine cet espace depuis l’époque coloniale, a pourtant tout des chaînes que le président tunisien appelait à briser. A de rares exceptions près (Mauritanie, Guinée), l’ensemble des anciennes colonies subsahariennes est toujours sous le joug de cette monnaie indexée sur le franc français puis l’euro. Si accéder à la « zone franc » permet effectivement une facilité d’échanges commerciaux, c’est aussi une soumission à Paris.

Lors de sa mise en place, cette monnaie assurait à la France un accès facilité aux ressources africaines. Les trois banques centrales qui en ont la gestion prévoient toujours, statutairement, une tutelle d’administrateurs français. Les États sont toujours soumis à l’obligation de déposer une partie de leurs réserves de change au Trésor français. En 1994, la France a même imposé une dévaluation de 50 % de la monnaie, diminuant de moitié le prix du pillage des matières premières du continent et doublant, pour les Africains, le prix d’achat des produits dont l’ancien colon l’inonde. Sans que ça en soit forcément l’unique explication, les rares leaders africains qui ont montré des velléités d’indépendance monétaire ont tous mal fini : du guinéen Sékou Touré, cible de plusieurs tentatives d’assassinat, à Laurent Gbagbo en passant par Sylvanus Olympio, tué alors qu’il avait annoncé la création d’une monnaie togolaise.

François Hollande en campagne avait promis, comme ses prédécesseurs, de rompre, sans plus de précision, avec la Françafrique. Le franc CFA en est un des piliers. Quelques mois à peine après l’élection présidentielle, le gouvernement français célébrait en grande pompe les 40 ans du franc CFA (en réalité, la monnaie, sous un autre nom, est plus ancienne) et appelait notamment, dans une tribune commune avec le président ivoirien Ouattara, à son renforcement.

La dépêche qui relaie les propos du président indique mystérieusement que « certains pays d’Afrique de l’Ouest œuvrent pour la disparition du franc CFA ». Espérons qu’une telle initiative deviendra réalité au plus tôt.

« Le franc CFA n’est la créature d’aucun État africain ; il est la créature de l’État français, il n’est donc que le franc français lui-même » Monnaie, servitude et liberté. La répression monétaire de l’Afrique (1980), de Joseph Tchoundjang Pouemi (1937-1984)

Mathieu Lopes
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