Dossier Agriculture biologique Alternatives

Radis & co, semeurs d’idées et de pratiques

Michel Bernard

Cinq jeunes se sont associés pour reprendre une ferme en Mayenne et y développer élevage de vaches Bretonne Pie Noir, maraîchage, pain et galettes… dans une recherche de la plus grande autonomie possible.

Lorsqu’on arrive au bout du chemin, la ferme apparaît avec un grand nombre de bâtiments de pierres. Avant vivait ici une seule famille de paysans. Aujourd’hui, la ferme permet à 8 personnes de travailler : 5 associés et 3 salarié-e-s. Comment cette transformation a-t-elle été possible ?

Du projet d’écovillage au collectif agricole et social

Marc Besnier, dit Marco, et Robert-Jan Devink se connaissent depuis le lycée. En 2007, ce dernier passe une annonce dans la presse locale pour lancer un projet d’écovillage. Une trentaine de personnes se disent intéressées et un groupe de travail se constitue. Il fonctionne pendant presque deux ans, avec une douzaine de personnes actives. Le projet est alors abandonné car il y a un décalage important entre ceux qui voulaient en faire un lieu de travail agricole et ceux qui voulaient créer un lieu d’expérimentation sociale et de logements.
En 2006, Yannick Rousseau est arrivé de Nantes et Steve Milosevic, de Paris. Yannick avait suivi des études pour une installation en maraîchage. Lorsque le projet se réduit à lancer une ferme collective et autonome avec Robert-Jan, Gwendal, Steve et Marco, Yannick rejoint le groupe.
Fin 2009, à eux cinq, ils se focalisent sur la recherche d’une ferme. La Chambre d’agriculture de Mayenne, à travers le Répertoire Départ Installation, leur signale celle où ils sont aujourd’hui : ses propriétaires partent à la retraite. Ils travaillent alors à monter une étude économique pour convaincre les organisations professionnelles agricole, la SAFER, les services de la préfecture, une banque et Terre de liens (1), qui a acheté la ferme. Un groupement agricole d’exploitation en commun (GAEC) est créé par les cinq associés, ce qui nécessite pour tous de passer un brevet professionnel agricole — sauf Yannick, déjà qualifié. Aucun n’est fils de paysan. Ils signent un bail rural environnemental de carrière de 40 ans avec Terres de liens. En tant que locataires, ils doivent quand même financer l’achat du matériel (tracteur, fromagerie, chambres froides, serres…). Pour cela, ils empruntent 50 000 euros chacun. La passation de la ferme est effective le 1er janvier 2011.
Au début, ils logent dans ce qui sert de maison collective, puis s’installent, chacun avec sa famille, dans un rayon de 2 km. Dès lors, ce bâtiment leur sert pour déjeuner en commun (chacun fait le repas à son tour), et tenir les réunions (chaque mercredi après-midi pendant 3 h) et à l’accueil des gens de passage et des stagiaires.
Outre les cinq associés, Fanny est salariée à temps partiel sur le GAEC pour la fromagerie et le maraîchage. Carlos travaille à temps partiel et s’occupe de l’entretien et des chantiers de construction et Philippe travaille avec Robert-Jan sur le maraichage, de mars à octobre. Il y a également des stagiaires qui viennent se former… et, en été, il arrive qu’il y ait jusqu’à 20 personnes au repas de midi. L’installation a eu de l’écho et les demandes de visites ou de stages sont nombreuses.
La diversification des activités, la transformation des matières premières en produits aboutis (pain, fromages…) et la vente directe permettent de créer de la valeur ajoutée aux activités agricoles, et de faire vivre du monde sur une petite surface.
Apprendre à maitriser les savoir faire associés à ces pratiques est une source d’épanouissement pour les travailleurs de la ferme.
Régulièrement, la ferme sert de support à différentes organisations (foyer d’accueil de personnes handicapées, foyer d’accueil pour jeunes…) pour leurs activités. Cela se concrétise par des visites de la ferme ou des petits ateliers à réaliser comme pailler les veaux, planter des échalottes…

Une production diversifiée

Le projet prévoit une grande autonomie, ce qui passe dans un premier temps par le choix de la polyculture-élevage, avec production de lait, de fromages, de céréales, de pain, de galettes de sarrasin, et de légumes. Il s’agit également d’aller progressivement vers l’autonomie énergétique en valorisant la biomasse, en limitant la mécanisation, puis en complétant par le solaire et l’éolien mais aujourd’hui les moyens pour financer ces projets ne sont pas disponibles. Il s’agit d’être économe en vendant le plus localement possible. Le lieu n’a pas vocation à rester uniquement agricole, mais à aussi s’ouvrir à des pratiques culturelles, être un lieu de vie, de rencontres, de ressources.
Evidemment, tout est en bio. Un système d’irrigation a été mis en place la première année sur une surface de 5 hectares. Deux sont consacrées à la production de légumes. Grâce à 2700 m2 de serres, la période de production est prolongée. Les trois restants sont cultivés en engrais verts.
Les légumes sont distribués en paniers principalement (2). Ils fournissent des organismes de restauration collective par le biais du réseau "Manger bio 53 (3).
Le pain (220 kg par semaine) est vendu à la commande, couplé aux paniers, dans le magasin Biocoop de Laval (4) et sur le marché local de Montflours, le vendredi. La même méthode s’applique aux produits laitiers. Régulièrement, ils proposent aussi des colis de viande de bœuf et de porc (les cochons recyclent les déchets de la fromagerie, du fournil et les légumes abimés).
Le GAEC dispose de 42 ha, la plupart groupés autour de la ferme. Outre les 5 ha irrigables, il y a 4000 m2 de pommes de terre, 1000 m2 de courges, 2, 5 ha de bois, 5 ha de blé, 2 ha de sarrasin, 1 ha de seigle (pour le pain), 17 ha de prairies permanentes et le reste en prairies temporaires.
La production est donc consommée dans un rayon de 20 km.
Au début, la vente se réalisait sur place. Depuis un local plus pratique a été trouvé au centre du village de Monjours, à 2 km.

Organisation collective

Comme il faut s’occuper des vaches pendant le week-end et les vacances, chacun des cinq associés est capable d’assurer les tâches quotidiennes : traite, fromagerie, paillage des bêtes, retournement des fromages, gestion des serres selon la météo… Chacun est d’astreinte un week-end sur cinq. Ils font également la cuisine à tour de rôle, un jour par semaine.
Pour le reste, ils sont plus spécialisés : Robert-Jan dans les légumes, Gwendal, le pain, Marco, l’élevage et la comptabilité, Steve, la fromagerie, Yannick, l’aménagement et la construction, les galettes et les cochons. Ils essaient de doubler leurs compétences. Le temps de travail n’est pas compté : tout repose sur la confiance. Chacun a son rythme et sa manière de travailler, adaptés à l’activité dont il est référent et à sa personnalité.
Au départ, les ressources étaient faibles. Il n’y avait pas de salaire, seulement la prise en charge de la nourriture et du logement et les associés vivaient grâce aux aides à l’installation. Aujourd’hui, en plus, chacun dispose d’un salaire de 400 € par mois. C’est suffisant car les dépenses sont peu nombreuses, mais cela devra évoluer pour s’adapter à l’économie des familles.

Bonheurs et difficultés

Leur arrivée dans la commune a été vivement encouragée par une partie de la population. Les premières fournées de pain ont attiré presque la moitié des foyers du village. Anim’Montflours, association du village, a travaillé à déplacer le marché à la ferme vers le cœur du bourg, dans un bâtiment mis à disposition par la mairie. Ce marché réunit aujourd’hui tous les producteurs bio du village ainsi que la BAM. Globalement, le groupe a reçu un très large soutien et généré de l’enthousiasme, au-delà de la commune.
Selon Yannick, la principale difficulté a été de « ne pas rester le nez dans le guidon ». Les premières années ont été intenses (mise en place des ateliers, démarrage des productions…). Des tensions se sont manifestées, selon la situation familiale de chacun : certains ont une compagne qui travaille, ou des enfants (5) et il est difficile de trouver un équilibre « temps de travail / vie privée ».
Heureusement, des stages de communication non-violente leur ont permis d’appréhender que les conflits sont normaux, et que la manière de les résoudre renforce le groupe ou non. Ils ont aussi suivi des formations en comptabilité et gestion, pour être autonomes sur ces tâches.
Le principe de prendre son temps pour arriver à dégager des consensus les oblige à accepter que certains problèmes durent longtemps.
Au bout de trois ans, le côté économique devient plus stable. Les associés commencent à avoir plus de temps pour débattre. Ils ont adhéré au réseau REPAS et devraient bientôt accueillir leurs premiers compagnons (6).
Un débat est en cours sur la structure même du GAEC : c’est une structure qui assure une grande stabilité, mais aussi de la rigidité quand on veut faire évoluer le projet (entrée de nouvelles personnes, départ d’autres, développement d’activités non agricoles…).
Le lieu dégage une forte tonicité, dans un environnement social porteur.

M. B.

La brasserie associative de Montflours

Dans la même commune que Radis & Co, une autre initiative alternative est en plein développement. Née en 2008, la Brasserie associative de Montflours (BAM) a démarré en association avant de se transformer en 2012 en société coopérative d’intérêt collectif (SCIC). Ce changement de structure a facilité l’embauche d’une première personne, Cédric Soufflet. La SCIC est constituée de 83 sociétaires (pour 243 habitants !) et fonctionne selon le principe 1 personne = 1 voix. Une SCIC doit prouver son intérêt collectif. Le projet a donc prévu, autour de la production de la première bière locale, un travail en direction du tissu rural : d’une part, les ingrédients nécessaires à la bière sont produits localement (blé, orge et houblon). D’autre part il promeut l’éducation populaire en organisant des ateliers, avec les sociétaires et le public, pour tester comment se fait la bière, chacun-e pouvant innover et goûter le résultat de sa recette. La convivialité n’est pas oubliée (à consommer avec modération quand même !). Cinq collèges ont été institués dans le fonctionnement de la SCIC : salarié (une personne pour le moment), biérophiles (31 personnes), acteurs de lien social (12), professionnels liés à la bière (6) et partisans de l’innovation sociale et solidaire (33). La production est pour le moment modeste (500 litres par an) et le salaire dépend en partie des animations qui sont organisées autour de l’activité de la brasserie.
Pour le moment, la transformation des céréales en malt est confiée à une malterie bretonne qui le fait déjà pour toutes les bières locales bio de Bretagne. Quant à la culture du houblon, elle n’existe pas dans la région et un essai est en cours sur les terres de Radis & Co. Depuis 2013, la brasserie produit également de la fleur de bière, un alcool fort (42 °C).
Quarante pour cent de la production sont actuellement consommés par les associés. Le reste est vendu principalement à Montflours et au bar associatif La Grange, à Sacé, à 2 km, sans compter les festivals et fêtes locales. L’idée est de développer progressivement les quantités produites avec, pour 2014, le projet d’embaucher un deuxième salarié. Est aussi à l’étude la possibilité de créer une malterie dans la commune, qui servirait pour la brasserie mais également pour sécher le sarrazin produit par Radis & Co, destiné à la fabrication de galettes.
• Brasserie associative de Montflours, Le Fougeray, 53240 Montflours, tél : 06 01 05 34 56, http://brasserie-montflours.fr
• Bar associatif La Grange, http://saceladetente.com

Dynamique villageoise

Outre le Gaec Radis & Co et la Brasserie associative, on trouve également dans la commune le paysan-apiculteur Thibaut Cimmier, qui s’inscrit dans la même démarche d’autonomie alternative et d’agriculture biologique, et Valéry et Françoise Beucher, producteurs de pommes de terre et de farine bio ; en tout, cela fait 3 exploitations bio sur 6.
Depuis 2006, l’association Anim’Monflours cherche à favoriser la convivialité par différentes activités (pique-nique du village, goûter de Noël, cinéma en plein air, club photographique, spectacles…). Cette association a mis en place depuis octobre 2012 un marché de producteurs locaux bio chaque vendredi, de 17h30 à 19h30.
En 2014, une nouvelle équipe municipale se compose, décidée à placer le lien social, la démocratie participative et l’écologie au cœur de ses projets.
• Thibaut Cimmier, Mezoue, 53240 Montflours, tél : 06 73 11 40 37
• Valéry et Françoise Beucher, Les Forges, 53240 Montflours, tél : 06 79 55 29 54

GAEC Radis & Co, Ferme de la Gorronière, 53240 Montflours, tél : 09 50 10 91 58, http://radis.et.compagnie.free.fr/

(1) La structure Terres de liens collecte de l’épargne pour acheter des fermes qui sont ensuite louées à des structures collectives pour une exploitation en agriculture biologique. Terres de liens Pays-de-Loire, 70, route de Nantes, 49610 Mûrs-Erigné, tél : 06 61 45 49 88, www.terredeliens.org
(2) A Laval, 15 km, quatre-vingts paniers avec l’association « Les Resses de la semaine » ; à Andouillé, 4km, 25 paniers avec l’Amap du Bon plant, et 10 panier dans la commune. Les Resses de la semaine, tél : 02 43 69 31 68, http://lesressesdelasemaine.blogspot.fr. Distribution des paniers tous les mardis, de 17h30 à 19h30, à la maison de quartier Val de Bootz, 28, rue Coton, Laval.
(3) Manger bio 53, http://mangerbio53.restaurationdurable.fr
(4) Mayenne Bio Soleil, 8, rue Bir-Hkeim, 53000 Laval, tél : 02 43 66 98 88
(5) Un enfant est né avant la création du GAEC, et deux depuis.
(6) Réseau d’échanges et de pratiques alternatives et solidaires, Le Viel-Audon,
07120 Balazuc, tél : 04 75 37 73 80, http://www.reseaurepas.free.fr

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