Dossier Alternatives Initiatives autres

Le Mans : L’Epicerie du pré, cantine du futur

Mathilde Lacoste -Mahmoud

C’est dans une vieille bâtisse à étage, face au pont des Jacobins, au Mans, qu’est installée, depuis 2004, l’Epicerie du pré. A 10 minutes à pied du centre, la « cantine » est excentrée juste assez pour être au calme.

Emmanuel Viton, dit Manu, voulait aménager un lieu avec du charme pour favoriser les rencontres. Il a acheté une maison médiévale de trois étages pour y lancer son entreprise. La découverte d’éléments très anciens lui a permis d’avoir l’aide d’un architecte du patrimoine, et un tiers des travaux extérieurs ont été subventionnés (1). La charpente a été refaite à 80 % et les poutres d’époque rénovées. Désormais, la bâtisse, déjà âgée de 500 ans, est repartie pour un siècle de conservation

Du bistrot à l’auberge

Manu a utilisé sa formation d’éducateur pour créer un bistrot. Il souhaitait fonder un lieu qui serve à quelque chose, un endroit où les personnes se rencontrent et échangent. Le but était de proposer à boire avec seulement quelques encas pour « éponger ». Dès le départ, l’Epicerie propose des produits bios ou fermiers mais le projet reçoit un accueil mitigé. Manu s’entend dire : « Y aura trois babas cool qui boiront un jus de carotte, et ce sera tout. »
Pourtant, au fil des mois, les gens viennent y manger de plus en plus, poussant Manu à diversifier les tartines pour répondre à la demande. Puis, les habitués commencent à demander de « vrais plats », et l’Epicerie se met donc à proposer un menu.
L’heure de fermeture est progressivement revue de 2 h du matin à minuit, pour permettre à Manu de passer plus de temps avec sa famille. Le bistrot devient peu à peu une auberge. La proximité avec les producteurs permet de se rapprocher de l’idée de ferme-auberge : « J’ai mon auberge et je vais m’amuser avec les produits de mes fournisseurs. » L’Epicerie organise des demi-journées pour rendre visite aux producteurs, afin d’avoir un aperçu des lieux et de leurs conditions de production. C’est une sorte d’échange de compétences, qui permet de renseigner les clients du restaurant.

Un large choix d’ateliers

Manu préfère les circuits courts pour que ses achats aient un sens. Il souhaite avoir en face de lui le producteur, et si possible l’apprécier. Il aime aussi boycotter les multinationales dès qu’il le peut : « Je veux bien boire un Coca de temps en temps mais en vendre, ce n’est pas mon truc. » La carte change deux fois par an, car « on fonctionne avec des produits bios et fermiers de saison. Et notamment du fromage de chèvre frais ; or, si on ne donne pas d’hormones aux chèvres, elles ne font pas de lait en hiver ». Le menu du jour permet de varier les plats.
Le lieu est animé par des ateliers. Une salle et une bibliothèque sont à disposition et, pour le dixième anniversaire, Manu a acheté les instruments de musique d’une batucada (2) — baptisée la Sarthucada — que les clients peuvent utiliser. Une bibliothèque installée à côté du bar, dans une petite salle, fonctionne par un système d’échange : les personnes qui apportent des livres peuvent en rapporter chez eux. Les associations peuvent réserver un espace en autogestion, comprenant un chevalet et un vidéoprojecteur.
Le Quai qui se passe, petit journal disponible à l’épicerie et depuis peu sur Facebook, annonce les animations et ateliers du mois. La plupart ont été proposés par des clients comme ce groupe de tricot qu’une dame arrivant à la retraite a souhaité créer il y a 6 ans. Aujourd’hui, un deuxième groupe a vu le jour pour les personnes actives : les tricoteuses de la nuit. Des ateliers d’écriture, de photographie, des expositions, ainsi que des trocs y sont annoncés. L’épicerie propose aussi une cuisine ouverte et y invite des volontaires à devenir « les cuistots d’un soir ». Le restaurant achète les ingrédients, et le plat choisi par la personne extérieure devient le menu du jour, ou est préparé pour un petit groupe. « Il n’y a pas de niveau requis, seulement l’envie de partager quelque chose avec les gens. » Tous les mois, des tableaux sont exposés sans que l’Epicerie prélève une commission. Pour Manu, le fait qu’ils embellissent les lieux est suffisant.

Une clientèle fidèle et diversifiée

Les clients de la cantine — c’est ce qu’annonce la façade — ne viennent pas par hasard : ils font partie du réseau du restaurant. La cohérence vient du fait qu’à ses débuts l’Epicerie s’est fait connaître principalement par le bouche-à-oreille : « Les gens sont détendus, et prêts à accepter qu’il n’y ait pas certaines boissons. » Toutes sortes de personnes s’y côtoient. Malgré la réticence de l’équipe, une page Facebook a été créée en décembre 2013 avec l’objectif de favoriser la mixité générationnelle : « Avant, on était moins dans le tout-internet. Maintenant, on a le reflexe d’y regarder ce qui se fait. Donc on se bouge pour avoir une visibilité sur le net un peu plus forte, tout en restant attachés à l’idée que l’on vienne ici en connaissance de cause. » Lors des périodes creuses, ils essayent d’innover. C’est ainsi que cet hiver a été lancée la Sept-Deux, une bière que les membres de l’équipe sont allés brasser eux-mêmes, puis qu’ils ont vendue à l’Epicerie.
En plus de Manu, l’Epicerie fonctionne désormais avec un employé à plein temps, un à mi-temps et un contrat étudiant de 10h. Les personnes sont recrutées sans C. V., le savoir-être étant plus important que le savoir-faire.

La distillerie

Un projet de distillerie est à l’étude. Une association a été créée avec des producteurs et des récolteurs de fruits, dans le but de distiller ceux-ci pour une production personnelle (soit 4 ou 5 bouteilles). L’idée est partie du fait qu’au Mans, beaucoup de personnes possèdent un jardin. Leurs fruits peuvent être mangés, transformés en confitures mais également distillés. Pour l’instant, il manque encore une quinzaine d’adhérents pour que le groupe soit en mesure d’acquérir l’alambic.

Mathilde Lacoste-Mahmoud

• L’Epicerie du Pré, 31, rue du Pré, 72000 Le Mans, tél : 02 43 23 52 51,
Ouvert de 12h à minuit du mardi au samedi.

(1) Pour 140 000 € de travaux, la Région a aidé à hauteur de 30 000 €, le pays de Mans 5000 € et le Conseil général de la Sarthe 5000 €. Le reste a été financé par un emprunt bancaire.
(2) Groupe de musique avec des percussions d’origine brésilienne

La photographe Agathe Lacoste est tout juste diplômée de l’Ecole nationale supérieure de la photographie ! Pour voir un plus large éventail de son travail, vous pouvez vous connecter sur agathelacoste.com.

Silence existe grâce à vous !

Cet article a été initialement publié dans la revue papier. C'est grâce à vos abonnements et à la vente de la revue que nous pouvons continuer à proposer des alternatives à la société consumériste et destructrice actuelle. Sans publicité, sous forme associative, notre indépendance et notre pérennité dépendent de votre engagement humain et financier !

S'abonner Faire un don Participer