Article Femmes, hommes, etc. Monde

Entre masculin et féminin

Monique Douillet

La Cour suprême indienne a reconnu mardi 15 avril 2014 l’existence d’un « troisième genre », ni masculin, ni féminin, une décision saluée comme un tournant par les groupes militants.

Deux pays l’ont précédée : l’Allemagne qui a voté, le 7 mai 2013, une loi permettant aux enfants nés intersexués d’être enregistrés comme ’de sexe indéterminé’ et l’Australie qui a autorisé par décision de la Haute Cour, le 2 avril 2014, qu’une personne soit enregistrée à l’état civil comme de ’genre neutre’.
Il est étonnant qu’un pays comme l’Inde, où les bébés de sexe féminin sont encore sacrifiés sans état d’âme à la naissance et où l’homosexualité reste considérée comme un crime, se trouve dans le peloton de tête au niveau mondial pour la reconnaissance de cet état de fait avéré.
En général, il faut aller rechercher la source d’une décision qui surprend dans l’Histoire du pays, sa culture, sa religion, sa mythologie. Et en effet... en Inde comme au Bangladesh les représentants du troisième sexe, dénommés Hijras sont reconnus depuis des siècles ! Traditionnellement, les Hijras étaient considérés avec respect et méfiance, car on leur prêtait certains pouvoirs bénéfiques et maléfiques. Ce n’est qu’à partir de la colonisation de l’Inde par le Royaume uni qu’une partie de la population a commencé à les mépriser pour des raisons homophobes. Ces Hijras symbolisent l’ambivalence de la nature divine, féminine et masculine à la fois, à l’origine (1).
Dans la plupart des sociétés, surtout occidentales, l’existence de personnes intersexuées reste un tabou (2). On les cache.

Les définitions se cherchent en tâtonnant

Les uns avancent : 3e genre (comme la science-fiction dit « 3e type »). La combinaison légèrement différente d’éléments connus aurait-elle entraîné un bond qualitatif et abouti à l’avènement d’un être d’une autre nature ?
La case sexe indéterminé adoptée par l’état civil en Australie signale cet embarras.
Genre neutre est l’appellation officielle en Inde depuis le 15 avril 2014. Curieuse dénomination ! car il n’existe pas d’être vivant asexué, sinon dans les esprits, à travers les représentations mythologiques.

Laisser le choix à la personne

Le gène de l’orchidée, pièce de théâtre montée à la comédie de Valence mise en scène par Luc Chareyron traite du sujet sous l’angle psychologique. C’est l’histoire de Yan-a (d’après une histoire véridique). Les parents n’ont pas fait opérer le bébé à la naissance afin de lui laisser le choix, plus tard. Avec l’adolescence les problèmes s’accumulent. Comment Yan/Yana va-t-il/elle choisir son genre et son avenir ?
Une fois le tabou levé, l’intersexuation n’empêche pas de vivre pleinement une vie affective et amoureuse. Ce n’est ni une maladie, ni une anomalie. Telle est la conclusion à laquelle aboutit l’auteure de la pièce,, Lucie Vérot. Pour l’écrire, elle a mené une enquête auprès des intéressés, de leur entourage et des parents et médecins qui les ont accompagnés. Cela prête à s’interroger sur ce que serait notre monde sorti de la conception binaire qui détermine notre façon de vivre.
Les dernières études scientifiques

Il est difficile de définir le sexe. Les dernières études scientifiques montrent qu’il n’y a pas de critère unique et naturel, mais plusieurs caractéristiques de différents types relevant de plusieurs approches : l’anatomie, les gonades (ovaires et testicules), les hormones, et la génétique (le fait qu’un individu possède une paire de chromosomes XY ou XX ou une autre combinaison). « Ce que de nombreux travaux scientifiques semblent démontrer aujourd’hui, c’est que le sexe représente un ensemble de données et non un seul élément permettant de considérer qu’on est soit mâle, soit femelle » (3).
Biologiquement, le 3e sexe n’existe pas, car jamais un être humain n’a été porteur de testicules et d’ovaires à la fois. Les deux sexes il est vrai, sont représentés, mais par des organes atrophiés incapables d’accomplir l’acte de reproduction. Il faut quitter la pure physique biologique pour parler de « troisième sexe ».

Revendications des personnes intersexuées

À partir des années 1990 ont été créées des organisations de personnes intersexuées.
La première action militante à faire connaître les revendications des personnes intersexuées a pris la forme d’une manifestation organisée à Boston le 26 octobre 1996 en même temps que le congrès annuel de l’American Academy of Pediatrics.
Elles appellent à l’application des droits humains des personnes. Le principe 18 : Protection contre les abus médicaux, stipule que « Nul ne peut être forcé de subir une quelconque forme de traitement, de protocole ou de test médical ou psychologique, ou d’être enfermé dans un établissement médical, en raison de son orientation sexuelle ou de son identité de genre. En dépit de toute classification allant dans le sens contraire, l’orientation sexuelle et l’identité de genre d’une personne ne sont pas en soi des maladies et ne doivent pas être traitées, soignées ou supprimées ».
Une revendication qui mérite d’être entendue.

Monique Douillet

(1) À noter : la similitude avec la mythologie grecque.
(2) Les chiffres varient : entre 0,5 et 2 naissances pour 1000… soit au minimum au moins 3 millions de personnes dans le monde.
(3) Source http://fr.wikipedia.org/wiki/Intersexuation

Pour en savoir plus
• essai Ni homme ni femme, enquête sur l’intersexuation, Julien Picquart, éd. Musardine, 2009.
• roman Le chœur des femmes, Martin Winckler, éd. POL, 2009.
• roman Middlesex, Jeffrey Eugenides, éd. Seuil, 2004.
• film XXY de Lucia Puenzo, 2007.

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