Dossier Société Sport Tourisme

1750 km à pied, ça use, ça use… les souliers

Delphine Boutonnet

« La lenteur de la marche, sa régularité, cela allonge considérablement la journée. Et en ne faisant que mettre un pied devant l’autre, vous verrez que vous aurez étiré démesurément les heures. De sorte qu’on vit plus longtemps en marchant, au sens où dans la marche, le temps ralentit, il prend une respiration plus ample. » (1)

Cette citation, Michel, retraité, l’expérimente depuis qu’il est tout petit en ne se déplaçant qu’à pied ou presque. Aussi, c’est tout naturellement qu’il s’est mis à randonner. Il a fait son premier voyage en partant tout simplement de chez lui, direction : Compostelle. C’est aussi ce qu’a fait André sur 1750 kilomètres en 2 mois et demi. « J’ai choisi cette destination parce que le parcours est réputé particulièrement beau, ce que j’ai pu amplement vérifier ; et c’est vrai que pour ma part, l’aspect religieux du pèlerinage avait aussi son intérêt, ne serait-ce que pour les merveilleux édifices visités en chemin, spécialement en Espagne sur le ‘Camino Frances’ qui passe par Pampelune, Burgos et autres vieilles citadelles historiques. C’était aussi la première fois que je me rendais en Espagne, et cela m’a beaucoup plu. »

Pourquoi choisir de voyager à pied

« Si j’ai choisi la marche, c’est uniquement pour le plaisir », nous dit Michel. « Marcher donne l’impression d’être léger, on a besoin de peu de choses » et puis « quand tu marches, les gens sont très accueillants. La marche rapproche les personnes, les remet à un niveau humain, nous rend plus humbles ». André est parti à pied pour avoir le temps de savourer son voyage, se confronter à ses limites et mieux se retrouver avec lui-même. « C’est plutôt pour faire une expérience humaine authentique, en premier lieu, que par souci écologique ou économique, mais cela n’exclut pas ces aspects. »
Faire une randonnée de quelques jours, c’est bien mais, selon Michel, « le fait de choisir une destination ou simplement une direction, sans prévoir ni itinéraire, ni date de retour précise, d’être autonome pour le couchage et la nourriture procure un sentiment de liberté immense. Lorsque tu pars longtemps, ça apporte durablement un changement intérieur de rythme, tu prends plus de recul sur tout. Cette façon de voyager fait disparaître la pression d’être obligé d’arriver à tel endroit à telle heure ». C’est aussi pour cette raison que ni Michel ni André n’ont fait appel à des sites d’hébergement gratuits.

Pas besoin d’être une aventurière

Cependant, cette façon de voyager demande un certain lâcher-prise qui n’est pas évident pour tout le monde. André avait tellement chargé son sac à dos qu’il lui a fallu en abandonner la moitié du contenu dès le premier soir. Claire, qui voyage avec son compagnon, ressent le besoin de préparer minutieusement son voyage. « Nous passons, il est vrai, pas mal de temps sur internet pour organiser notre voyage. Je ne suis pas une aventurière et, pour pouvoir profiter de mon voyage sans prise de tête, j’aime étudier avant le départ les possibilités de transport en commun, les villages où nous pourrons faire des courses et les campings où nous pourrons dormir. Il est aussi tout à fait possible de voyager à pied et de dormir chez l’habitant ou dans des gîtes si on a envie d’un peu de confort. »

Pas facile de bien consommer

« J’ai quand même l’impression qu’on ne peut pas aussi bien se nourrir lorsqu’on est itinérant. Pas facile de trouver toujours du bio ou d’acheter éthique, même si on essaye d’aller au marché », déplore Claire. André confirme que les courses sont souvent sommaires et qu’il « n’a pas été un modèle du bien-manger durant son pèlerinage, même s’[il] estime n’avoir pas fait d’excès et [s]’être souvent contenté de peu ». Même si ce n’est pas l’idéal, Michel pense que c’est quand même une bonne chose que de faire ses courses dans les petits commerces des villages car ils rendent bien service et il faut les préserver, le marché restant la meilleure alternative pour faire ses achats. Michel regrette que tous les marcheurs n’aient pas cet état d’esprit : « Même sur un chemin comme celui de Compostelle, il y avait des marcheurs qui se précipitaient dans les supermarchés à la moindre occasion pour faire leur plein de nourriture ».

Etre en bonne condition physique suffit

« Il me semble que cette manière de voyager est largement accessible ; certaines personnes le font même sans argent, au bon cœur des gens. Seulement, il faut être en bonne condition physique, même s’il est vrai que c’est aussi le chemin qui nous la procure. Les risques de se blesser sont réels, donc entraînement préalable et bon équipement sont un vrai atout pour y arriver », explique André. C’est aussi ce que pense Michel : « Il suffit d’être en bonne santé, on peut vraiment marcher à tout âge. Et puis, lorsqu’on marche, on ressent moins les perturbations annexes, on est plus à l’écoute de son corps. »

La marche : un pas vers la spiritualité ?

Lorsque je demande si le fait de voyager à pied permet d’être en cohérence avec ses idées, les réponses sont unanimes. « Pour moi, quand on se sent heureux, c’est qu’on est en cohérence avec ses idées : j’ai été très heureux durant ce pèlerinage mais cela a nécessité un combat personnel, surtout au cours des premières centaines de kilomètres. Après, cela a été de mieux en mieux, et les quelques contusions au pied n’y ont rien changé », avoue André. Selon Claire, « même si parfois c’est un peu dur, j’éprouve toujours une grande satisfaction à être mieux connectée à la nature et à moi-même. Il y a forcément quelque chose de l’ordre du spirituel. C’est peut-être parce que j’ai le sentiment de réaliser vraiment quelque chose ». Michel ressent la même chose : « Je me sens en totale cohérence avec mes idées lorsque je voyage à pied de la sorte. Quand tu marches longtemps, même s’il pleut, ça ne perturbe pas tout parce que tu es dans la durée. Un jour que je marchais seul en Italie, il a plu sans cesse. Je me suis arrêté, je me suis assis contre un arbre, bien à l’abri sous mon poncho et j’ai fait la sieste. J’étais heureux. »

Delphine Boutonnet

(1) Frédéric Gros, philosophe, auteur de Marcher, une philosophie, Carnets Nord, 2008


Quelques sites en faveur du tourisme de randonnée en France et en Europe :

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