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Quelle non-violence éducative ?

Guillaume Gamblin

Silence a demandé à Philippe Beck, activiste et formateur à la non-violence et auteur de Eduquer sans punition : la sanction éducative en pratique, de livrer quelques expériences et réflexions à ce sujet.

Silence : Dans votre livre Eduquer sans punition vous développez des pratiques éducatives inspirées des valeurs de la non-violence. Qu’est-ce pour vous qu’une éducation non-violente ?
Philippe Beck : C’est une éducation fondée sur un lien de respect autant que d’affection. Une éducation qui élève, et refuse systématiquement de rabaisser. Or la punition rabaisse, la punition est violente – l’étymologie le dit bien : poenire = faire souffrir, châtier, venger… Elle est violente parce qu’elle est souvent « donnée » dans une émotion de colère, correspondant à un moment de crise. Emotion d’ailleurs parfaitement compréhensible… mais mauvaise conseillère en l’occurrence !

Pourquoi insistez-vous sur le respect de la règle et qu’est-ce qui distingue votre approche de l’éducation à l’obéissance ?
Eduquer à obéir me paraît parfaitement légitime… à condition de garder le sens étymologique : obéir = ob-audire, écouter la parole qui vient d’en haut. Tout le contraire de la soumission = mettre dessous ! La parole « qui vient d’en haut », c’est celle émanant d’une autorité reconnue, parent ou prof, dans une relation de complicité, de respect réciproque.
A quoi sert une règle ? A protéger, à promouvoir une valeur, éventuellement un besoin. Exemples : la règle de se laver les mains avant de venir à table protège la valeur Hygiène. Celle d’éviter les coups entre frères et sœur, la valeur Respect. Celle d’aller dormir quand les parents l’ordonnent, le besoin de sommeil.
Les règles sont à voir comme des règles du jeu : toute vie en société, en groupe – famille, classe, camp… – exige quelques règles qui permettent d’y faire… ce qu’on a à vivre ensemble. Il y a les règles du football comme celles de la famille. Evidemment ces dernières sont plus nombreuses, parce que la vie de famille est autrement variée qu’un match de foot ! Il y aura donc les règles pour le repas, celles pour le sommeil, celles pour les sorties…
Les enfants ont tendance à voir les règles comme des inventions des adultes pour les embêter… Il importe à mon sens de leur montrer ce côté règle du jeu : non pas limites mais repères, comme des piliers d’une vie agréable pour soi ET pour les autres (tout est dans ce « et »).

Quel sens accordez-vous aux actes de transgression ? Peut-on les voir aussi comme positifs ?
Je viens de parler de pilier… Avant de s’appuyer contre un pilier, il est normal et sain qu’on en teste la solidité ! C’est ce que font tous les enfants, et que nous adultes appelons, hâtivement à mes yeux, « tester nos limites ». Mais non, ce ne sont pas nos limites qu’ils testent, mais la solidité des repères que nous entendons leur faire respecter ! La transgression fait partie de ce jeu.
Ainsi, oui, il y a du positif dans une transgression. Mais cela ne doit surtout pas conduire l’adulte à applaudir aux infractions… Au contraire, « entrer dans le jeu » sainement, c’est sanctionner l’acte transgressif, autrement dit re-solidifier, re-souder la règle, le repère qu’elle constitue. J’appelle sanction tout acte qui réaffirme l’importance de la règle, qui la « re-sanctifie ».

Qu’est-ce qui distingue la punition de la sanction éducative ? Comment appliquer celle-ci ?
Supposons qu’une règle a été enfreinte. Je propose de se poser trois questions principalement :
- Y a-t-il des victimes ? Si oui, comment réparer ? Quel geste, quelles excuses y a-t-il lieu d’obtenir ? L’adulte fonctionne là, en somme, comme médiateur entre auteur et victime(s) de la transgression.
- Que dit cette infraction sur son auteur ? Quel besoin profond manifeste-t-elle ? (Car tout comportement vise la satisfaction d’un besoin ; besoin légitime même si la stratégie utilisée ne l’est pas, transgressant une règle). Quels autres comportements, non transgressifs, l’enfant aurait-il pu avoir pour satisfaire ce besoin ?
- Enfin, en quoi cette transgression touche-t-elle la famille, le groupe concerné ? En mettant en danger la valeur, ou le besoin, protégé par la règle. L’hygiène si l’enfant refuse de se laver les mains, le respect mutuel en cas de bagarre, le repos en cas de coucher trop tardif…

Apporter à ces questions les réponses qui conviennent, en fonction de la situation et du contexte, permettra de décider quelles sanctions vont permettre à l’enfant :
- de réparer ses torts à l’égard de ses éventuelles victimes,
- de comprendre comment satisfaire ses besoins sans transgresser la règle concernée,
- de comprendre mieux cette règle et son sens, ce en quoi elle protège la vie commune.
A la suite d’Eirick Prairat et d’Élisabeth Maheu, j’appelle sanction éducative toute sanction qui aide ainsi l’enfant (ou pourquoi pas l’adulte ?!) à remplir ses responsabilités à l’égard de la famille dans son ensemble, de chacun de ses membres, et… de lui-même.
Les sanctions décidées pour chacune des dimensions ci-dessus n’ont nul besoin d’être douloureuses, punitives : ce n’est pas la souffrance qu’on cherche, mais l’éducation. Elles seront accomplies en lien avec les adultes, sous leur protection et leur attention aimante – là encore, aucune ressemblance avec la punition si souvent infligée dans la colère et les cris…
Lien : pour moi le maître mot est là. La punition endommage le lien par son côté trop souvent violent, presque toujours émotionnel… Tandis que la sanction s’appuie sur le lien, le répare même – car la transgression l’a endommagé.
Encore convient-il de préciser que, de même que punition va avec récompense, les sanctions curatives que je viens de décrire gagnent à s’appuyer sur des sanctions préventives, manifestations de satisfaction au fait qu’une règle a été respectée. Prévenir vaut mieux que guérir, dit le dicton…

Propos recueillis par Guillaume Gamblin

Philippe Beck est formateur d’adultes, médiateur et coach. Il travaille notamment, depuis plus de 20 ans, avec enseignants, parents et éducateurs sur les difficultés qu’ils rencontrent avec les enfants, les adolescents, les personnes placées sous leur responsabilité. La sanction éducative représente pour lui une manière très concrète d’allier autorité et écoute, fermeté et souplesse, respect des règles et aide à s’y conformer. Il est l’auteur de Eduquer sans punition : la sanction éducative en pratique, Ed. Jouvence, 2013, 153 p.

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