En 2012, le ministre du Redressement productif se déplaçait en Saône-et-Loire pour célébrer l’installation sur le territoire français d’un nouveau centre de distribution de la société de vente en ligne Amazon. A la clé : 1000 emplois. Mais combien ce champion de la productivité allait-il détruire d’emplois ? Voilà une question que le ministre ne semble pas s’être posée…
1 emploi chez Amazon = 18 emplois dans une librairie de quartier !
Le cas d’Amazon est symptomatique du ravage que peut provoquer la course aux gains de productivité. Car l’entreprise étasunienne connaît parfaitement les rouages du productivisme : concentration des moyens (pour réaliser des économies d’échelle), automatisation maximale des tâches de production (pour réduire l’usage de la main-d’œuvre), imposition de cadences de travail effrénées, appel à une main-d’œuvre mal payée et majoritairement intérimaire… le tout avec la bénédiction des acteurs publics qui subventionnent largement Amazon, alors même que la multinationale prend soin de pratiquer l’exil fiscal en basant son siège social au Luxembourg !
Au final, la concurrence est rude pour les libraires, qui voient leurs emplois menacés. Comme le rappelle Jean-Baptiste Malet, « le Syndicat de la librairie française a mesuré que, à chiffre d’affaires égal, une librairie de quartier génère dix-huit fois plus d’emplois que la vente en ligne ». Sans compter que, de la librairie de quartier au gigantesque hangar de distribution, les conditions de travail n’ont évidemment rien à voir !
Mais Amazon n’est qu’un symbole, bien entendu. Christian Jacquiau montre par exemple que le phénomène est déjà très ancien dans le domaine de la grande distribution, où chaque emploi mal payé créé en hypermarché se paie par plusieurs emplois détruits dans d’autres commerces, mais aussi dans toute la chaîne de production en amont . Et on pourrait ainsi multiplier les exemples dans les services, mais aussi l’industrie et, bien entendu, l’agriculture. Destruction du travail, précarisation, menaces de délocalisation, pressions croissantes sur l’environnement… tel est le visage caché des « gains de productivité ».
Et si on déproductivisait ?
Dans de nombreux secteurs, réduire la productivité du travail aurait pour effet de créer de l’emploi, d’améliorer les conditions de travail et/ou de réduire l’impact sur l’environnement. Dans le domaine des services, cela suppose par exemple de privilégier les petits commerces indépendants de proximité. Dans le secteur agricole, privilégier les exploitations à taille humaine pratiquant une agriculture biologique et favorisant les circuits courts – par exemple, pour un même chiffre d’affaire, les circuits de distribution de type AMAP créent deux fois plus d’emploi que les circuits traditionnels passant par les grandes surfaces . Dans le domaine de l’énergie, privilégier les économies d’énergie en substituant progressivement les productions fossiles et fissiles centralisées par une production d’énergie renouvelable décentralisée, etc.
Certes, tout cela a un coût pour le consommateur. Le pouvoir d’achat est d’ailleurs l’argument central des productivistes. Mais c’est oublier que consommer mieux, c’est également consommer moins.
On trouve une illustration intéressante de ce phénomène dans le secteur de l’énergie. Le scénario négaWatt montre en effet que, en France, la sortie du nucléaire et des énergies fossiles pourrait se réaliser avec un solde positif en termes d’emploi, alors même que les consommations d’énergie seraient considérablement réduites à l’horizon 2050 ! Car d’un côté, la baisse de la consommation d’énergie polluante aurait des effets négatifs en termes d’emploi dans certains secteurs comme les transports routiers, les constructions neuves ou, bien entendu, la production d’énergies fossile et nucléaire. Mais ces pertes seraient largement compensées par la création d’emplois dans d’autres secteurs comme la production d’énergies renouvelables et, surtout, la rénovation thermique des bâtiments. Enfin, les économies réalisées sur la facture énergétique de la France pourraient être consacrées à la création d’autres activités dans d’autres secteurs : on pourrait alors avoir des effets induits spectaculaires. Par exemple, les économies réalisées par les familles sur leurs factures énergétiques pourraient permettre à celles-ci d’investir davantage dans une alimentation biologique de proximité, ou tout autre secteur plus intensif en emploi et en qualité environnementale.
Aurélien Boutaud