Article Alternatives Santé

Une révolution de la santé est nécessaire

Entretien avec André Cicolella, chimiste, toxicologue, président du Réseau Environnement Santé et auteur notamment de Toxique planète. Le scandale invisible des maladies chroniques (voir encart).

Silence : Qu’est-ce que les maladies chroniques ? Touchent-elles seulement les pays riches ? Pourquoi en parler aujourd’hui plus qu’hier ?

André Cicolella : Les maladies chroniques sont les maladies du type maladies cardio-vasculaires, diabète, cancer, maladies mentales... Ces maladies sont définies par leur chronicité en opposition aux maladies dites aiguës, comme le sont la plupart des maladies infectieuses telle la grippe. La grippe, soit vous en réchappez, soit vous en mourrez. Le cancer, vous pouvez en réchapper, mais rarement, en mourir aussi mais après généralement un certain temps.
L’Organisation Mondiale de la Santé parle clairement d’épidémie de maladies chroniques. Cela a fait l’objet d’une déclaration signée par tous les chefs de gouvernement à l’occasion de l’Assemblée Générale de l’ONU le 20 septembre 2011 la présentant comme le principal défi pour le développement durable en ce début de 21e siècle.
On en parle aujourd’hui parce que la stratégie mise en œuvre depuis l’après-guerre qui consiste à tout miser sur le soin a abouti à un échec. On ne peut pas endiguer l’épidémie uniquement par le soin. En 1971, Richard Nixon, alors président des Etats-Unis, avait déclaré : "Dans 20 ans, nous aurons vaincu le cancer". On sait ce qu’il en est advenu depuis. En France, le nombre de nouveaux cas a doublé entre 1980 et 2005. Il est illusoire de croire que l’on va trouver des médicaments pour soigner le cancer. Le modèle antibiotique utilisé pour les maladies infectieuses ne marche pas pour les maladies chroniques. Quand une baignoire déborde, il faut se préoccuper en priorité de fermer le robinet plutôt que de chercher à élargir le trou d’évacuation.

Vous estimez que la croissance actuelle des maladies chroniques amène une implosion du système de santé et d’assurance maladie. En quoi ces maladies remettent-elles en cause notre actuel modèle de santé "tout médical, tout curatif" ?

C’est très simple à comprendre. Plus le nombre de maladies augmente plus les coûts augmentent. Plus on est efficace dans le traitement de ces maladies, plus on plombe les finances de la Sécu. J’ai fait un calcul simple à partir des chiffres du régime général de l’assurance maladie, qui couvre 89 % de la population. Entre 1994 et 2009, le surcoût lié aux ALD (Affections de Longue Durée) qui sont presque toutes des maladies chroniques, est de l’ordre de 400 milliards d’euros, soit deux fois la dette sociale. Donc la logique voudrait qu’au lieu d’aller emprunter au prix fort sur les marchés pour financer le système, on cherche à réduire la dette en agissant sur l’augmentation du nombre de maladies. Le problème du système de santé, ce n’est pas qu’il y ait trop de médecins dans les hôpitaux comme je l’ai entendu dire, mais c’est qu’il y a trop de malades dans les hôpitaux. En 2009, les maladies chroniques représentaient 83 % des dépenses de l’assurance maladie, ce qui correspondait à 23,6 millions de personnes.

Ces maladies sont liées à notre environnement et à notre mode de vie. Quelles politiques vous semblent efficaces pour agir contre leurs causes, au niveau de l’alimentation, des pollutions, de la ville, des inégalités… ?

Nous connaissons les grandes causes de ces maladies. La nourriture ultra-transformée, chargée en additifs chimiques et en résidus, dont les pesticides issus de l’agriculture conventionnelle. Mais aussi trop sucrée, trop salée, trop grasse et qui a perdu ses micronutriments comme les fibres. 10 % seulement des Français respectent les normes de consommation de fibres. Or, on sait que cela est décisif dans la genèse des cancers colorectaux, première cause de cancer tous sexes confondus. Est impliquée aussi dans ce cancer la surconsommation de viande. Les pays les plus gros consommateurs de viande sont aussi ceux les plus touchés par le cancer colorectal. Le rapport est de 1 à 10 entre l’Inde et l’Australie-Nouvelle Zélande.
La sédentarité est aussi une cause croissante de maladies chroniques. L’estimation est entre 3 et 6 millions de décès dans le monde. Le seuil de définition de la sédentarité n’est pourtant que de 30 mn de marche soutenue par jour !
La pollution chimique généralisée est une autre source. Avec les perturbateurs endocriniens comme le bisphénol A, on a compris une grande partie des causes de ces maladies. Ils sont impliqués dans les cancers, les maladies métaboliques, les troubles de la reproduction et du comportement... Comme ils ont des effets transgénérationnels (l’exposition pendant la gestation induit des effets sur la santé de l’enfant, du futur adulte et même sur celle de sa descendance), il y a urgence à agir, car nous livrons un héritage toxique à nos descendants.

Quels sont les combats menés par le Réseau Environnement Santé auquel vous participez ?

Notre action vise à faire en sorte que la question santé environnement soit centrale dans la politique de santé. Nous avons fait le choix d’agir sur le sujet des perturbateurs endocriniens, avec le bisphénol A comme molécule emblématique. Nous avons obtenu l’interdiction dans les biberons, puis dans les contenants alimentaires. Mais notre objectif reste la reconnaissance de la situation de crise sanitaire dans laquelle nous sommes.
Cela passe par la déconstruction du discours officiel. Il faut cesser de raconter que l’état de santé des Français n’a jamais été aussi bon, au motif que l’espérance de vie progresse. Ce que l’on appelle l’espérance de vie est en fait la durée de vie des gens qui meurent aujourd’hui. Rien ne permet de penser que les enfants qui naissent en 2014 auront la même durée de vie que ceux qui sont nés en 1914. Ils naissent dans un environnement très différent. La grande coupure intervient en effet après-guerre. Le mode de vie devient totalement différent. La contamination chimique pendant la grossesse, dont on sait aujourd’hui les conséquences sur la santé de l’enfant, mais aussi du futur adulte, est très différente. Un enfant qui naît aujourd’hui naît avec 300 substances identifiées dans le sang du cordon ombilical. On sait que la santé du futur adulte va être profondément marquée par son environnement pendant la grossesse. Ce concept de la DOHaD a été formulé en 1989 par l’épidémiologiste anglais David Barker. DOHaD, c’est l’acronyme anglais pour Developmental Origin of Health and Disease, c’est-à-dire origine développementale de la santé et de la maladie. Barker avait observé un taux plus élevé de maladies métaboliques chez les enfants touchés par la famine aux Pays-Bas en 1944 -1945.

La déclaration de Paris publiée en mai 2012 à l’issue du colloque organisé par la Society of Toxicology a résumé ce changement de paradigme, conséquence du bouleversement des connaissances scientifiques survenu au cours des deux dernières décennies : "Pendant des années, les biologistes ont considéré que la période du développement était contrôlée par un programme génétique strict “câblé” et donc peu susceptible d’être influencé par l’environnement. Il est maintenant clair que le développement est au contraire marqué par une plasticité qui lui permet de répondre à son environnement, plus particulièrement pendant sa phase initiale".
En conséquence, la conclusion était que "Beaucoup des grandes maladies et des atteintes fonctionnelles, dont la prévalence a augmenté substantiellement au cours des quarante dernières années, apparaissent être liées pour partie à des facteurs de développement consécutifs à des déséquilibres nutritionnels ou des expositions environnementales aux substances chimiques : obésité, diabète, hypertension, maladies cardio-vasculaires, asthme et allergies, maladies immunes et auto- immunes, maladies neuro-développementales et neuro-dégénératives, puberté précoce et infertilité, certains types de cancers, ostéoporose, dépression, schizophrénie et sarcopénie (syndrome gériatrique se caractérisant par une diminution de la masse musculaire conduisant à une détérioration de la force musculaire et des performances physiques)".
L’environnement est défini dans ce livre blanc de façon globale, c’est-à-dire en englobant "nutrition, infections, microbiome (la flore intestinale), médicaments, substances chimiques créées par l’homme et autres facteurs de stress exogènes".
C’est donc une véritable révolution de la santé qui est nécessaire.

Propos recueillis par Guillaume Gamblin


Toxique planète
Le scandale invisible des maladies chroniques
André Cicolella

Voici une mine d’informations pour aider à repenser la santé à l’heure de l’explosion des maladies chroniques. Ces dernières (du cancer à l’obésité, des troubles de la reproduction aux maladies respiratoires, cardio-vasculaires et d’Alzheimer) ont atteint la proportion d’une crise sanitaire mondiale. Maladies de civilisation, elles sont liées à notre mode de développement et à l’augmentation du PIB, et leurs causes sont à rechercher dans l’environnement (industriel, chimique, urbain…) et nos modes de vie. Face à cela l’auteur, toxicologue et engagé dans le Réseau Environnement Santé, plaide pour un nouveau paradigme médical, non plus basé sur le tout curatif mais sur la prévention. Il pointe la responsabilité des lobbies et des agences sanitaires et propose des pistes pertinentes pour relever ces défis sanitaires et au passage sauver nos systèmes de protection sociale, exemples à l’appui. Une lecture indispensable, facile à lire et stimulante. GG
Ed. Seuil, 2013, 312p., 19€

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