Article Françafrique Nord-Sud

Centrafrique : les dessous d’une guerre française

Guillaume Gamblin

Après le Mali, c’est au tour de la Centrafrique de faire l’objet d’envois de troupes françaises pour officiellement protéger les populations. Une version officielle que l’on peut mettre en doute. Nous avons posé quelques questions à Odile Topner de l’association Survie.

Silence : Quels sont les liens de la France avec la République Centrafricaine depuis son indépendance en 1960 ?

Odile Tobner  : Depuis 1960 la France a gardé sous tutelle la Centrafrique. Après le renversement du premier président, David Dacko, pourtant acquis à Paris, le pays a connu la férule de militaires centrafricains issus de l’armée française : Jean-Bedel Bokassa, au pouvoir de 1966 à 1979, ancien capitaine, vétéran des campagnes de France, d’Indochine et d’Algérie, puis André Kolingba, au pouvoir de 1981 à 1993, ancien enfant de troupe, élève puis officier de l’armée française. Ce dernier sera flanqué, cas extrême de tutelle coloniale, d’un « proconsul » en la personne du colonel des services français Jean-Claude Mantion, gouverneur de fait de Centrafrique de 1980 à 1993. La RCA est aussi alors un porte-avion français au cœur du continent, avec les bases de Bouar et de Bangui, qui ne seront évacuées qu’en 1998.
Vainqueur de la première élection dite démocratique, Ange-Félix Patassé, ancien ministre de Bokassa, échoue à gouverner un pays en proie au chaos et aux violences. L’armée française intervient à trois reprises en 1996 pour rétablir l’ordre, tandis que Barril assure la sécurité du président. Patassé tombera en 2003, après avoir en vain demandé le secours de la France, dont la passivité complice permet au général François Bozizé de prendre le pouvoir. C’est aussi le début d’une régionalisation du conflit, le Tchad d’Idriss Déby soutenant Bozizé, alors que les milices congolaises de Jean-Pierre Bemba se portent au secours de Patassé, au prix d’une guerre civile féconde en atrocités de part et d’autre.
En février 2013, le même scénario se reproduit, aux dépens cette fois de Bozizé, devenu encombrant en raison de ses excès de prédation et des faveurs qu’il accorde aux Chinois.
Une nébuleuse de mouvements rebelles, la Séléka, s’empare de Bangui et chasse Bozizé. Leur chef, Michel Djotodia, se proclame président, alors qu’il est lui-même contesté au sein de la Séléka.
Depuis les années 2000 la France intervient plutôt par l’intermédiaire de ses satellites, laissant au Tchad la mission de soutenir le Président d’un Etat fantôme.

Comment l’entrée en guerre de la France le 5 décembre 2013 en République Centrafricaine a-t-elle été justifiée, et dans quel cadre a-t-elle été réalisée ?

Alors que Hollande avait refusé de secourir Bozizé fin décembre 2012, il intervient cette fois officiellement au nom de l’urgence humanitaire, en raison des exactions que les milices de la Seleka infligent aux populations et de l’absence totale de contrôle du territoire par l’Etat centrafricain. En fait, après que les milices de la Seleka ont chassé Bozizé, devenu gênant, Hollande intervient pour reprendre le contrôle politique de la Centrafrique.
Le cadre de l’intervention est une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU, rédigée d’ailleurs par la France, autorisant celle-ci à intervenir en Centrafrique, conjointement avec les forces de l’Union Africaine qui déploient la MISCA, qui compte des contingents de sept pays d’Afrique centrale, Tchad, Cameroun, Congo-Brazza, Gabon, RDC, Rwanda, Burundi. Le contingent de 2000 soldats français va être augmenté de quelques centaines supplémentaires. La MISCA compte 6000 soldats. La France presse l’Europe de participer à cette intervention. Les Polonais devraient envoyer des troupes, l’Allemagne une aide logistique.

Quelles raisons politiques, économiques, stratégiques voyez-vous à ce nouveau déploiement militaire français en Afrique, après le Mali ?

La France a mené depuis 1960 une politique d’interventions armées - une cinquantaine - dans son ancien empire colonial et en Afrique francophone pour y maintenir son emprise politique. L’armée française est formatée en quelque sorte pour intervenir en Afrique. La France a la mainmise sur des régimes dictatoriaux, dont elle légitime les élections truquées et couvre les méfaits. Si elle laisse un de ces pays échapper à sa tutelle, les autres suivront par un effet de dominos. Cette domination politique sert les intérêts des entreprises françaises qui obtiennent dans ces pays des marchés de gré à gré, comme Bolloré pour la gestion des ports, et qui conservent des situations dominantes, comme Areva au Niger, qui dicte les conditions de l’exploitation. Dans la politique mondiale, la France apparaît à la tête d’un bloc de pays qui sont sous son influence dans les décisions prises dans les instances internationales.

Survie, 107, boulevard de Magenta, 75010 Paris, tél : 01 44 61 03 25, http://survie.org.


Papa Hollande au Mali
Nicolas Beau

L’auteur, journaliste et bon connaisseur du Maghreb, revient sur la guerre française au Mali, en interrogeant ses causes, ses stratégies, ses intérêts cachés. Il interroge notamment l’étonnante l’absence d’esprit critique des médias français par rapport aux discours officiels de l’armée à ce sujet. Nicolas Beau pose un regard critique et informé sur les différents aspects qui caractérisent la situation : Françafrique, mais aussi situation politique complexe du Sahel et de l’Algérie, répercussions de la chute de Kadhafi en Libye, rôle de l’islamisme et du trafic de drogue dans la région, liens tendus entre populations touarègues et subsahariennes… Il explique comment l’intervention terrestre des troupes françaises au Mali s’est présentée très opportunément pour sauver le budget de l’armée de terre qui allait être mis à mal dans le nouveau Livre blanc sur la défense et a ainsi permis de ne pas fermer de bases françaises en Afrique. Instructif. GG
Ed. Balland, 2013, 224p., 17,90 €

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