Dossier Général Nord-Sud Population

Quand les blancs prennent toute la place

Guillaume Gamblin

Dans le mouvement des droits civiques, aux Etats-Unis, se posait déjà la question de la cohabitation entre Blancs et Afro-Américains au sein de la lutte.

Lorsqu’il fonde l’Organisation de l’unité afro-américaine (OUAA) en 1964, Malcolm X en interdit l’accès aux Blancs : « Il faut que les Noirs s’aperçoivent qu’ils sont capables de se débrouiller tout seuls, de travailler tout seuls (…) et la présence des Blancs, même les meilleurs, retarde cette prise de conscience. Dès qu’un Blanc adhère à une organisation noire, les Noirs ont tendance à s’en remettre à lui ». « Dominants en-dehors, les Blancs dominent l’organisation une fois qu’ils en sont partie prenante », commente Sadri Khiari (1). « La logique qui se développe est tout simplement celle de la reproduction des hiérarchies qui structurent l’ensemble de la société. » Martin Luther King, dont la stratégie est fondée sur l’alliance avec les Blancs, en est également conscient : « Les jeunes Blancs s’exprimaient mieux, exerçaient plus de pouvoir, se montraient plus sûrs d’eux et écrasaient tout bonnement les Noirs au secours desquels ils étaient accourus et qui appartenaient aux milieux les plus pauvres. »

Quand les intérêts convergent

Mais Malcolm X lui-même ne reste pas sur un constat négatif d’impossibilité de travailler ensemble. Il estime qu’il est dans l’intérêt des Blancs de résoudre les problèmes que vivent les Noirs, et donc que chacun, en regardant son propre intérêt, devrait converger vers le combat pour l’égalité et la dignité des Noirs. « La meilleure façon de résoudre votre problème consiste à nous aider à résoudre le nôtre », explique-t-il à des ouvriers blancs. Il y a une convergence des intérêts qui amène à travailler en synergie, tout en respectant des espaces d’autonomie pour éviter des prises de pouvoir et des récupérations intempestives.

Lutter depuis sa place

Malcolm X conclut que Blancs et Noirs doivent lutter chacun depuis sa place propre, dans son milieu, en synergie mais sans prendre la place des autres.
On rejoint l’attitude du militant anticolonialiste belge Jean Van Lierde qui estimait devoir lutter non pas au sein du mouvement d’indépendance du Congo, mais depuis sa place, en Belgique : en organisant en Belgique l’objection de conscience collective, en diffusant de l’information auprès des Blancs sur les conditions coloniales et sur la réalité de la lutte des Congolais, en s’engageant dans le cadre politique belge pour l’indépendance des colonies (2). Depuis sa place de Belge, il était mieux placé, pour parler aux Belges et organiser leur refus d’obéissance, que ne l’était un Congolais. Et à l’inverse, il était moins bien placé qu’un Congolais pour revendiquer l’indépendance et les droits au sein de la lutte qui se menait au Congo. Les deux luttes, celles des Congolais au Congo et celle des Belges en Belgique, s’imbriquaient et se complétaient précieusement, sans pour autant se confondre.

Il ne peut y avoir de conclusion absolue sur le lieu où il est le plus pertinent de s’engager. Il est certainement intéressant que les Blancs agissent dans des lieux où ils sont légitimes et aussi plus efficaces depuis leur place propre dans la hiérarchie sociale des privilèges, en laissant les opprimés développer leurs propres estime, confiance, force et pouvoir dans des espaces propres. Il est certainement intéressant également qu’au sein de luttes où Blancs et personnes racisées sont amenés à lutter ensemble, les Blancs, structurellement dominants, fassent preuve de la même prudence à laquelle on invite les hommes qui s’engagent dans des mouvements féministes mixtes : rester en retrait, faire attention à ne pas prendre le pouvoir par diverses manières pas toujours conscientes (parole…).

Guillaume Gamblin

(1) Sadri Khiari, Malcolm X, stratège de la dignité noire, Amsterdam, 2013
(2) Jean Van Lierde et Guy de Boschère, La Guerre sans armes, Luc Pire/Karthala, 2002

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