Dossier Alternatives Santé

Jardin comme acteur de soin (le)

Denis Richard

D’origine anglo-saxonne, l’hortithérapie constitue une forme d’accompagnement au soin bien spécifique. Elle s’adresse à des personnes souffrant de troubles psychiques autant que somatiques et concerne notamment les enfants comme les seniors.

L’hortithérapie (1) invite à considérer le jardin comme un médium d’appropriation physique, psychique, mentale, émotionnelle, sensorielle et même spirituelle de l’environnement. Sa pratique, accompagnant généralement une prise en charge médicale, est susceptible de prévenir l’émergence ou le développement de certains troubles pathologiques, d’améliorer l’autonomie, de modifier les affects, l’humeur, et, plus généralement, de modifier l’approche sensible de la relation au monde. Il faut y associer l’action positive sur le moral, voire sur la spiritualité qu’inspire ce rapport immémorial que l’Homme entretient avec les jardins. L’hortithérapie a pris ses marques aux Etats-Unis et en Angleterre au début du xxe siècle. Depuis une vingtaine d’années, la France s’inscrit timidement dans cette mouvance, son retard étant en passe d’être comblé grâce au dynamisme personnel de soignants et de bénévoles œuvrant au sein d’associations spécialisées.

Un accompagnement au soin diversifié

L’hortithérapeute, en proposant un choix d’activités réalisées au jardin, doit veiller à :
• renforcer les habiletés physiques, améliorer la coordination motrice, l’équilibre postural et la résistance à la fatigue au moyen d’efforts gradués ;
• faciliter la réalisation d’activités stimulant la cognition, la mémoire, les perceptions sensorielles, le sens de l’orientation, et offrant l’occasion de prendre des décisions, de résoudre des problèmes techniques, d’organiser un planning de travail, de faire valoir ses critiques ;
• renforcer l’amour-propre du patient vis-à-vis de son propre travail ;
• faciliter la communication verbale (ou non-verbale), la coopération et le partage, l’échange de savoirs ;
• proposer des activités innovantes et divertissantes, privilégiant l’intégration sociale, voire familiale, et, globalement, réduisant l’isolement du participant ;
• le cas échéant, enseigner au patient des techniques de jardinage à domicile ou, pour le moins, d’entretien des plantes en bacs ou en pots.
Les activités doivent faire de patients souvent passivement bénéficiaires de soins, des sujets actifs capables de donner eux-mêmes des soins aux végétaux et d’en tirer un bénéfice substantiel. Mais à qui s’adresse avant tout l’hortithérapie ?

Des publics multiples


Handicap mental.
L’hortithérapie est un outil bien adapté à la prise en charge des patients souffrant de pathologies mentales, mais cela impose que l’hortithérapeute ait une bonne connaissance de ces pathologies et des réactions de ses patients.
Troubles physiques. L’hortithérapie s’adresse aussi aux patients dont les capacités cognitives sont préservées mais qui, diminués au plan somatique, doivent modifier leur mode de vie voire faire le deuil de leur pleine autonomie. Diminuant le stress, favorisant les interactions sociales et évitant de penser à une éventuelle douleur chronique, l’hortithérapie peut être proposée après un accident cardiaque, en rééducation orthopédique, et trouve un intérêt spécifique chez les patients atteints de handicaps traumatiques médullaires ou souffrant de maladies neurologiques chroniques (maladie de Parkinson ou sclérose en plaques).
Accompagnement en pédiatrie. Les programmes d’hortithérapie pour enfants et adolescents peuvent avoir une dominante sociale, éducative, environnementale, voire professionnelle. Il peut s’agir de projets thérapeutiques (avec des enfants souffrant de troubles psychiques et/ou moteurs) ou d’un loisir. Dans tous les cas, l’enfant en tire des bénéfices en termes de développement cognitif, de maturation psychologique et d’apprentissage du travail en équipe. Cette activité mime celle des adultes, auxquels elle lui permet de s’identifier. En contact avec la nature, l’enfant apprend beaucoup sur les cycles de développement et les rythmes saisonniers et, par là, sur lui-même et son développement. En cultivant des plantes, il accepte l’idée qu’un résultat puisse être différé et soit soumis aux aléas saisonniers : il devient tolérant à la frustration. L’enfant apprend également à assumer des responsabilités : constatant que les plantes dépendent de ses soins, il comprend qu’un organisme vivant puisse souffrir, être malade, mais aussi guérir si l’on s’en occupe avec vigilance. Le succès aisément obtenu dans la culture renforce l’estime de soi et rend l’enfant fier de lui-même.
Sujets âgés. Le jardinage constitue un exercice physique de grande valeur préventive sur l’apparition ou le développement nombreuses pathologies chez le senior. Elle l’aide à conserver son autonomie, limite le développement de maladies chroniques (troubles cardiovasculaires, diabète, maladies neurodégénératives, etc.), constitue une excellente stimulation sensorielle et mnésique, un centre d’intérêt intellectuel et contribue à maintenir ou à créer du lien social.
Chez des personnes âgées hébergées en institution et souffrant de pathologies chroniques, l’hortithérapie contribue à réduire le handicap physique, à augmenter les stimulations sensorielles, à permettre d’accomplir des actes simples de la vie quotidienne (la perte d’autonomie est souvent précipitée par le milieu institutionnel qui, plus qu’aider, « fait à la place », ce qui favorise les attitudes purement passives), à réduire l’impact des troubles du comportement susceptibles d’occasionner des désordres dans l’institution.
L’activité peut se réduire à une déambulation (lorsque les handicaps sont trop importants), mais généralement, l’hortithérapie passe par la mise en œuvre d’ateliers suivis et structurés, centrés sur des activités dont le choix respecte la volonté des participants — cela participe de leur autonomisation quand bien même l’implication expose à de petits risques —, personnalisées en fonction des besoins et des capacités : simple maintenance, réadaptation, prise en charge d’une démence, etc. Le jardin est souvent dédié et conçu à cette fin : sa structure, et son aménagement paysagé comme bâti contribuent ainsi globalement au bien-être des patients.

Lorsque la vie soigne la vie

Parmi les diverses interactions susceptibles d’expliquer l’impact du jardin sur notre bien-être — hormis la pratique d’un exercice physique, bien sûr —, le concept de biophilie (2) pourrait revêtir une force singulière. C’est en 1984 qu’un biologiste américain, E. O. Wilson, a formalisé cette théorie reposant sur un postulat somme toute spontané : les êtres humains seraient, d’une façon innée, attirés par les autres organismes vivants, et cette attirance aurait une origine génétique. Allant plus loin, des auteurs postulent qu’un organisme vivant aurait intérêt à protéger les autres organismes dans l’attente d’une réciprocité. Cette interaction ne serait-elle pas le sens même de la biophilie, qui expliquerait qu’il soit indispensable à la majorité des gens d’avoir un animal de compagnie, une plante verte sur une fenêtre ou… un jardin empli de vie ?
Des études montrent que, parmi les paramètres environnementaux, la végétation participe à la qualité de l’équilibre psychique individuel et à la bonne santé sociale. A titre d’exemple, dans un hôpital de Pennsylvanie, on a relevé pendant dix ans les durées d’hospitalisation après cholécystectomie, les demandes en antalgiques, en tranquillisants et la survenue de complications médicales : l’hospitalisation des patients dont la fenêtre s’ouvrait sur des arbres a été significativement réduite et ils ont demandé moins de traitements antalgiques !
Popularisée par Theodore Roszak, professeur à l’université de Californie, l’écopsychologie, science des relations entre l’esprit et l’environnement, invite à renouer un contact fusionnel avec toutes les formes de vie. Elle constitue un chaînon entre la psychologie et l’écologie, expliquant que le bien-être de l’Homme ne saurait se réaliser qu’en tant qu’il vit en symbiose avec son environnement naturel. La santé mentale, notamment, ne serait pas liée aux seuls déterminants neurobiologiques ou sociologiques : elle puiserait dans des racines environnementales. Le contact avec la nature offre de façon spontanée, inconsciente, la possibilité de récupérer psychiquement du stress social et technologique. Un jardin peut-il en cela constituer un média susceptible de (ré)ouvrir les portes d’une perception environnementale, que la société industrialisée nous fait perdre ? Jouant ainsi un rôle de succédané, certes idéalisé et artificiel, de nature auprès d’un Homme que sa culture a éloigné de ses sources ataviques, le jardin participe aux liens qui nous attachent au vivant sous toutes ses formes et qui, nous faisant communier avec une nature empreinte de spiritualité, permettent de compenser notre insatisfaction existentielle.

Denis Richard
denis.richard@ch-poitiers.fr

(1) Il s’agit clairement d’utiliser une pratique de jardinage ou, simplement, le jardin (hortus, d’où horti-), comme outil d’accompagnement thérapeutique (-thérapie).
(2) Du grec bios, vie, et philos, amoureux

Pharmacien, chargé d’enseignement à l’université de Poitiers, Denis Richard exerce comme chef de service dans un hôpital spécialisé dans la prise en charge des affections mentales. Ses centres d’intérêt, longtemps centrés sur la place des substances psychoactives dans les sociétés humaines, embrassent désormais les questions environnementales et la connaissance de la nature. Journaliste scientifique, Denis Richard est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages documentaires et d’essais dont plusieurs ont été traduits en diverses langues. Jardinier et paysagiste amateur, il a notamment été le fondateur et l’un des concepteurs du Jardin aux insectes de Poitiers.

Quand jardiner soigne : initiation pratique aux jardins thérapeutiques, Denis Richard, Delachaux et Niestlé, 2011, 192 pp, 19€

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