Dossier Alternatives Initiatives autres

Pêcheurs de lune, estaminet

Michel Bernard

En ouvrant un estaminet dans la petite commune de Bayonvillers, Philippe David a enclenché une dynamique sociale en pleine expansion.

Philippe David connaissait les estaminets, ces bistrots flamands qui présentent la particularité de ne pas avoir de jeux électroniques, mais des jeux à l’ancienne et qui organisent des activités dans un esprit convivial, pour que les gens se rencontrent.
Pour des raisons familiales, il s’est installé à Bayonvillers, commune rurale de 360 habitants qui a encore une douzaine d’exploitations agricoles ; toutes seront reprises par les enfants (dont le maire) (1).
Après la rénovation de l’école du village, l’appartement de l’instituteur, appartenant à la commune, était vide depuis deux ans. Philippe a alors proposé au conseil municipal d’y créer un estaminet.
Dans la commune, il n’y a plus de commerces (aspirés par les zones commerciales d’Amiens, à une vingtaine de kilomètres), mais il y a une Amap (2) qui vend des légumes, des pâtes et du pain. Un agriculteur accueille dans sa ferme un festival tous les deux ans avec ciné-concert, musique, théâtre et repas bio partagé. Il y avait donc un réseau préexistant sensible à la démarche.
Un accord est passé en 2010 avec la commune : en échange d’un loyer modeste, elle s’engage à isoler les lieux, à installer un poêle à granulés de bois et à mettre les locaux aux normes pour l’accueil du public. Cela prend un an.

Un lieu accueillant

Au rez-de-chaussée, une pièce est destinée à la promotion de produits bio et/ou locaux (des produits secs en complément de l’Amap). Pour valoriser le bio, ces produits sont vendus avec des marges très faibles. Les deux autres pièces constituent l’estaminet lui-même. Des jeux de table en bois et jeux anciens traditionnels sont mis à disposition du public.
L’ensemble est décoré dans un style rétro grâce à des objets récupérés ou offerts par les adhérents.
Ce lieu de rafraîchissement (3 fabricants de bières locales, vins bios, jus de fruits…) accueille une à deux fois par mois des formations musicales et artistes locaux et régionaux dans les domaines du conte, de la musique et de la chanson. Ces soirées sont l’occasion d’un repas commun.
Des livres et des revues sont à disposition du public et peuvent être consultés sur place.
Des soirées sont proposées régulièrement sur des thématiques très différentes, telles que : conférences et débats citoyens …

Ateliers jeunes et citoyens

A l’étage, un espace convivial permet au jeune public de consulter des livres (enfants et ados). Le mercredi après-midi s’y déroulent des ateliers. Au départ, le pari n’était pas gagné avec les adolescents, mais les jeux et des ordinateurs connectés à internet font qu’ils viennent maintenant régulièrement.
Au rez-de-chaussée, une trentaine d’ateliers « citoyens » différents (comprendre proposés bénévolement par des habitants du village) se sont tenus la première année avec des thèmes comme le tricot, la couture, la fabrication de produits ménagers, la cuisine, le roseau, l’éducation des enfants… Cela attire des gens du village et des communes alentour.

Le village s’approprie le lieu

Le lieu a ouvert le 15 septembre 2012.
Pour que cela fonctionne, il faut réaliser entre 600 et 700 € de bénéfice mensuel pour payer le loyer et les charges. Cette somme est collectée principalement grâce à la vente des boissons et aux soirées repas-spectacles. Il n’y a pas de salarié.
Pour trouver des bénévoles, Philippe David a fait du porte-à-porte dans tout le village. Entre 15 et 20 personnes se sont ainsi relayées pour animer le lieu la première année. L’estaminet est ouvert le mardi, mercredi et vendredi en début de soirée, ainsi que le mercredi après-midi et au moins une soirée par mois. Il peut accueillir un maximum de 35 personnes.
Lorsqu’il y a des repas à préparer, cela ne se fait pas sur place, car il n’y a pas de cuisine. Les bénévoles se partagent le travail chez eux.
Les soirées sont annoncées par des affiches dans la commune et uniquement dans les villages voisins qui n’ont pas de café pour éviter de faire de la concurrence.
S’il a été facile de convaincre certains habitants, cela a été plus laborieux pour les autres. Certains opposants au maire ont même fait une pétition, au moment des travaux, après des rumeurs de hausse des impôts… Elle a été signée par près de la moitié des habitants, mais un an après, une bonne partie des signataires fréquentent le lieu.
Aujourd’hui, le nombre d’adhérents (400) dépasse le nombre d’habitants. Ce sont les ateliers qui ont permis de faire venir progressivement pratiquement tout le monde.

Ecologie à petites doses

Les gens ont apprécié qu’il n’y ait pas de discours derrière le projet… même si les créateurs de l’Amap y ont apporté les questions écologiques. S’il y a des produits bio en vente, aucun débat n’a eu lieu la première année sur le sujet. Un premier atelier a abordé la question de l’habitat sain. Les bénévoles cherchent surtout à ne pas bousculer les gens trop vite.

Retisser des liens

C’est le lieu où l’on cause, où l’on apprend à se connaître, où l’on réfléchit… Et cela donne parfois des résultats étonnants. Après un épisode neigeux important, les jeunes ont organisé eux-mêmes, sans que personne ne le leur demande, le déblayage des chemins d’accès pour les piétons. Des jeunes se sont également investis dans du bricolage à partir des ateliers lancés sur place. Des adultes et des enfants ont reconstitué une fanfare chorale. Des débats sont en cours pour installer dans l’estaminet une bibliothèque plus conséquente. Enfin, un projet a vu le jour, avec la commune, pour réaliser des chemins de randonnées balisés au départ du village.
Le résultat a largement dépassé les espérances du départ et maintenant l’association doit faire face à de nombreuses demandes de petites communes qui veulent s’inspirer de l’idée, sans compter les médias qui, comme nous, viennent faire des reportages.

M. B.

• Les Pêcheurs de lune, route d’Harbonnières, 80170 Bayonvillers, www.lespecheursdelune.fr, contact@pecheursdelune.fr

(1) La commune a peu de familles en difficulté, contrairement à de nombreuses communes voisines, victimes de la désindustrialisation.
(2) Association pour le maintien d’une agriculture paysanne : système de distribution de panier de produits frais bio selon des modalités décidées en commun par le producteur et les consommateurs.

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