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Grenoble : Alliance citoyenne, de la colère au pouvoir d’agir

Guillaume Gamblin

A Grenoble, une expérience sociale a vu le jour en 2011, structurée autour de la pensée de l’activiste états-unien Saul Alinsky.

Dans une mairie de l’agglomération grenobloise, les femmes chargées de l’entretien des locaux ont vu leur effectif diminuer pour une charge de travail identique. Suite à de vaines négociations avec leur employeur privé, en lien avec l’Alliance Citoyenne, elles ont prévenu leur employeur qu’elles viendraient travailler avec une cinquantaine de personnes, armées de balais et de serpillières, pour palier le manque de main d’œuvre ! Quelques heures plus tard, le patron les contactait pour leur annoncer qu’il cédait à leurs revendications.

Organisation communautaire

C’est l’une des histoires de réussite qui a pris forme en lien avec l’Alliance Citoyenne, un mouvement social lancé en 2011 par des Grenoblois et s’inspirant des méthodes d’« organisation communautaire » de Saul Alinsky. Cet universitaire états-unien de l’école de Chicago (1) avait engagé dès les années quarante des actions sociales en « organisant » des quartiers populaires par le regroupement de différentes communautés. Cette alliance large permettait de mettre en place un rapport de force efficace sur des questions de logement, d’emploi, de sécurité, à travers des actions directes non-violentes. (2) Cette méthode a été reprise à Londres à partir de 1996 par le collectif London Citizens.

Alliances larges et leaders sociaux

La démarche de l’Alliance consiste à recueillir les colères et les revendications qui viennent de la base du quartier, pour aider les personnes à s’organiser, sur des thèmes variés. Et de créer des alliances les plus larges possibles. L’Alliance, structurée en association, est composée de trente groupes membres qui sont les « alliés » : collectif confessionnels, groupes nationaux (étudiants maliens, chinois…), syndicats (Cfdt-santé-sociaux…), associations d’habitants de quartiers, autres organisations (RUSF, Pacte Civique, Fac Verte, Un toit pour tous)… En résumé, toutes les composantes possibles de la « société civile ». (3)
Les campagnes sont choisies ensemble. Par exemple lors d’une assemblée, sept propositions sont présentées. Le choix se fait à l’aide de gommettes : d’une certaine couleur pour montrer qu’on appuie le projet, d’une autre pour indiquer que l’on est d’accord pour s’y impliquer. Les campagnes doivent reposer sur un groupe de personnes suffisant, l’action doit être gagnable (et donc souvent locale), le conflit doit être vertical : ce n’est pas un autre habitant du quartier ou un employé, mais une institution ou une entreprise qui seront visés.
L’Alliance Citoyenne organise des formations d’ « organisateurs de communautés ». Ceux-ci sont des sortes de « syndicalistes de la société civile ». Ils identifient les revendications des habitants et les aident à décider lesquelles seront prioritaires.

Habitants, parents d’élèves, étudiants étrangers… reprennent la main

Dans le quartier Hoche, à Grenoble, les poubelles débordent sans cesse sur le trottoir… Face aux promesses non-tenues du bailleur Actis, un groupe d’habitants se rend dans le bureau de son directeur et y déverse des poubelles (de papiers et cartons uniquement). Suite à l’action, Actis réagit rapidement pour résoudre le problème.
Dans le quartier de la Villeneuve, l’école des Buttes se retrouve fermée après un incendie durant l’été 2012. Les élèves sont dispersés dans d’autres écoles et collèges, mais cela se passe mal, ils se font ennuyer par les plus grands, etc. Des parents d’élèves demandent la réouverture de l’école avec des préfabriqués pour compléter les locaux encore en état. Pour augmenter la pression, ils viennent « faire la classe » sur le parvis de la mairie lors d’une réunion du Conseil Municipal, avec une trentaine d’enfants. Ils obtiennent l’installation d’un préfabriqué et la reprise des cours à la rentrée 2013.
Dernière victoire en date, l’installation à la rentrée 2013 d’un guichet de Préfecture sur le campus de Grenoble pour faciliter les démarches des étudiants étrangers. Pour mettre la pression, des syndicats étudiants, associations d’étudiants étrangers et l’Alliance citoyenne avaient bloqué une cérémonie officielle d’accueil des jeunes chercheurs, en organisant une file d’attente géante et un barrage filtrant consistant à demander les papiers les plus loufoques possibles. L’action, encore une fois, reflète de manière originale le problème vécu.

Développer le pouvoir d’agir

L’Alliance organise des actions conviviales, festives, pour que les gens prennent plaisir à y participer et qu’elles soient le plus inclusives possibles. Avec des objectifs gagnables, afin de redonner du pouvoir d’agir et de la confiance dans les possibilités de faire bouger les lignes, à des personnes qui pouvaient se sentir impuissantes ou éloignées des décisions institutionnelles. « Le ‘community organizing’ permet aussi d’éviter l’élitisme des mécanismes de participation classique en allant chercher des personnes généralement exclues de la vie civique via des associations religieuses, culturelles ou des groupements de travailleurs étrangers » estime Solène Compingt, membre de l’Alliance. (2) C’est autour de cette notion d’intérêt en commun que des acteurs très divers de la société civile parviennent à faire alliance dans ce cadre d’action, par delà leurs clivages idéologiques.
Une démarche qui vient bousculer certaines habitudes liées à la société française : s’appuyer sur des alliances entre communautés (d’intérêt) plutôt que sur un universalisme républicain ; mettre en avant la formation de leaders communautaires…
Et des modes d’action souvent plaisants qui devraient pouvoir inspirer les militants sociaux et écologistes.

Guillaume Gamblin

(1) Courant de pensée sociologique apparu aux Etats-Unis, qui a introduit entre autres la méthode de « l’observation participante ». Elle met notamment en avant l’importance des problèmes sociaux dans les comportements de délinquance.
(2) Grève d’impôts, arrivée en masse dans les bureaux d’un fonctionnaire pour exiger un rendez-vous, manifestation devant la maison d’un propriétaire d’un taudis de banlieue... Cet historique ainsi que des citations de cet article s’inspirent ou sont tirés du texte d’Emmanuel Daniel mise en ligne sur le site de l’Alliance Citoyenne.
(3) Ce qui exclut donc le secteur économique d’une part, les institutions et les partis politiques d’autre part.

Alliance Citoyenne, 152 avenue Léon Jouhaux, 38100 Grenoble, www.alliancecitoyenne-ag.org.

Saul Alinsky, Etre radical. Manuel pragmatique pour radicaux réalistes, Aden, 2012, 278 p., 16€.

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