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Bretagne : les gros bonnets rouges

Jean Kergrist

Mais qui sont ces révoltés soutenus par l’extrême-droite comme par certains de l’extrême-gauche ? Des défenseurs de l’emploi ou des personnes manipulées par des patrons toujours avides de préserver leurs intérêts ?

Vues de Paris, Lyon ou Grenoble, les jacqueries bretonnes aux bonnets rouges peuvent apparaître comme un nouveau chapitre d’Astérix. Ah ces bretons ! Têtus et courageux ! Quoique aussi parfois un peu cons. Toujours prêts à défendre leur péninsule assiégée contre les méchants romains ! Toujours habiles à manier la fourche ou le pneu enflammé contre ces jacobins de Parisiens ! Certains observateurs avisés ont même été jusqu’à invoquer les chouans ou la lutte anti-nucléaire de Plogoff. Et ce ne sont pas les grands médias parisiens qui leur ouvriront les yeux sur une autre réalité. L’ogre médiatique exige son pesant de spectacle et, quand les radars sautent, quand les portails écotaxe brûlent, il y a toujours, comme par hasard, une caméra ou un micro juste à côté pour ajouter au pathos du brave employé de chez Doux, victime, dit-il, de l’Europe, ou de celui de l’abattoir Gad, victime des cochons allemands, égorgés à bas prix par des Roumains.

Le grand cirque des médias

Du coup, aucun média national n’aura fait écho à la manif syndicale de Carhaix, qui s’est déroulée le même jour que celle patronale de Quimper (2 novembre 2013). Que pèsent en effet 3 000 manifestants pacifiques face à 10 000 excités quand aucune casse n’est annoncée ? CNN ne va pas se déplacer pour 3 000 pingouins défilant tranquillement derrière banderoles et drapeaux divers. Parle-moi de Quimper Coco ! De la belle image : pas une pancarte ou une banderole qui dépasse, tout le monde en uniforme. Bonnets rouges obligatoires, importés d’Écosse à prix cassé par Armor-lux. Des drapeaux bretons et de la castagne à souhait. Vive le grand cirque au journal de 20h !
Et si, sous cet uniforme des manifestants de Quimper, se cachaient des intérêts divergents pour ne pas dire opposés ? La cause d’une Bretagne unitaire défendant son bout de gras nous paraîtrait alors singulièrement compromise. Tous les ouvriers licenciés des abattoirs n’étaient pas à la contre-manif de Carhaix pour l’emploi, organisée par une intersyndicale. Il s’en trouvait aussi à Quimper, presque tous d’ailleurs syndiqués à FO, amenés en cars par leurs patrons. Mais interdits de pancartes, banderoles et drapeaux.

Le prétexte de l’éco-taxe

Quand, le 18 juillet dernier, Bruxelles a annoncé la fin des restitutions (aides à l’exportation de poulets congelés bas de gamme vers le Moyen-Orient), prévues de longue date, les patrons de Doux (Chateaulin) ou Tilly (Morlaix), qui s’en étaient mis plein les poches pendant des années, ont trouvé plus astucieux d’accuser l’Europe d’injustice plutôt que de remettre en question leur production à faible valeur ajoutée, ne tenant, depuis toujours, qu’avec la béquille des subventions. Une catastrophe pour eux deux, qui, en 2012 touchaient encore 350 € de la tonne exportée. La faillite en série pour la filière avicole.
C’est alors que l’annonce de l’entrée en vigueur, au 1er janvier 2014, de la fameuse écotaxe sur les poids lourds permettait, par une astuce de communication-manipulation fonctionnant à tous les coups, de rendre cette taxe future responsable de tous nos maux présents. Un vrai boulot de prestidigitateur ! Non monsieur, ce n’est pas notre modèle breton - 60% des porcs, 40% des poulets, 20% des bovins sur seulement 7% du territoire hexagonal - qui se casse la figure, c’est l’écotaxe future qui nous étrangle. « Et voilà pourquoi votre fille est muette ! »

Laissez-nous polluer en paix !

Le Medef breton s’introduisit dans la brèche pour réclamer la suppression immédiate de cette écotaxe. La FNSEA — présidée par le patron européen des oléagineux Sofiprotéol, Xavier Belin, et relayée en Finistère par Thierry Merret, une des fortes têtes à bonnet — y trouva l’aubaine pour dénoncer l’empilement des règles environnementales, celles qui les empêchaient encore un peu, jusque-là, de polluer à gogo. Qu’importent les marées vertes sur les plages bretonnes et les marées bleues des cyanobactéries sur les plans d’eau, dues aux excès d’azote et de phosphore ! Il fallait d’urgence « libérer -prout-prout- les énergies » ainsi que le désir d’entreprendre en simplifiant les procédures administratives. Ressurgit alors une revendication portée déjà depuis au moins cinq ans par le député UMP Le Fur, autre nouveau gros bonnet rouge notable, à qui l’on doit cette proposition législative audacieuse : plus d’enquête publique au-dessous de 2 000 places cochons sur caillebotis.
Alain Glon, autre gros bonnet, patron de l’institut de Locarn (22), un organisme regroupant « les tigres bretons » de l’industrie, fabriquant l’aliment pour porcs et poulets – un même aliment pour tous, à base de manioc et soja importés de Thaïlande ou du Brésil – comprit aussitôt l’aubaine consistant, à travers cette jacquerie, à faire payer aux seuls contribuables les nids de poules occasionnés par ses camions.
Quelques supplétifs musclés des jeunesses identitaires bretonnes, nostalgiques des années de guerre, spécialistes du pneu enflammé, bourré de paille, lancé sur les forces de l’ordre, étaient aussi du voyage à Quimper, prêts à surgir masqués du coffre de covoiturage.
Dernier ingrédient destiné à brouiller les cartes : appelaient aussi à Quimper les militants trotskistes du NPA (ex LCR), à l’affût de toute situation prérévolutionnaire, et ceux, plus timides, de l’UDB (parti autonomiste breton de gauche) qui n’ont jamais pesé bien lourd dans la balance électorale, mais qui adorent agiter leurs drapeaux.
La levée en masse de cette armée rouge était assurée par le maire « divers gauche » de Carhaix, Christian Troadec, tendance TPMP — Tout Pour Ma Pomme — toujours à l’affût d’une occasion de faire parler de lui dans les médias. Il s’était déjà naguère autoproclamé créateur du festival des Vieilles Charrues et sauveur de la maternité et de l’hôpital de Carhaix, alors qu’il avait tout fait pour écarter la solution finalement retenue, la seule viable : la fusion avec l’hôpital de Brest.
Ne manquait plus, pour bénir cette équipée hétéroclite, qu’une déclaration de l’évêque réactionnaire de Vannes, Monseigneur Centène. Il apportait, à cette étonnante coalition d’intérêts patronaux divers, la protection… d’Anne de Bretagne. Ite missa est !

Par ici la monnaie

Quand, au soir du 2 décembre 2013, s’éteignirent à Quimper les feux de la rampe ainsi que ceux allumés devant la préfecture, les portiques continuèrent à brûler sur les quatre voies bretonnes. Les radars, un à un se mirent à valser, pour la plus grande joie des chauffards et des pochards, se sentant tout à coup l’âme révolutionnaire. Plus facile d’ouvrir la boîte de pandore que de la refermer !
Ayrault annonçait alors au peuple la bonne nouvelle : l’écotaxe était suspendue jusqu’à nouvel ordre. Glon, celui qui, au début des années 90, importait à bas prix d’Angleterre les farines animales interdites — pour cause de vache folle — n’aurait plus qu’à boucher les nids de poules des routes avec ses farines.
Les énergies — prout-prout — étaient libérées. Les plafonds des porcheries et des plans d’épandage revus à la hausse. Le député Le Fur et la FNSEA jubilaient : Ayrault leur accordait fissa ce que Fillon leur avait toujours refusé. On allait enfin pouvoir continuer à polluer sans vergogne.
Le chirurgien Le Foll, dépêché à Rennes par Hollande, se proposait d’injecter dans les fesses flétries du macchabée agricole breton, qui n’en finissait pas d’agoniser, une nouvelle petite piquouse de quelques milliards d’euros. Promis juré, ce sera la dernière et on fera pression sur Bruxelles pour que les « restits » européennes, soient provisoirement restituées. Le député Le Fur déclarait (Ouest-France du 8 novembre 2013) que, de toute façon «  les subventions européennes, ne sont pas l’argent des contribuables français  » (sic).
Même les bretons de souche sont toujours un peu étonnés que ces gros bonnets sans scrupule puissent faire montre d’autant de culot ! Braves gens de France et de Navarre préparez la monnaie !

Jean Kergrist

Jean Kergrist fait ses premiers pas comme assistant de théâtre en 1966. Il crée sa première pièce lors du premier rassemblement contre la centrale nucléaire Superphénix, en 1975 : Le clown atomique. Il se met alors à son compte avec le Théâtre national portatif. Il crée des pièces comme La fièvre acheteuse (contre la société de consommation, 1977), Le clown agricole (1979), le clown Cocogéma (1984), le clown perd la boule (sur les droits humains, avec Amnesty international, 1989), le clown chomdu (1993), le clown Dobro-Dobro (sur la guerre en Yougoslavie, 1998). Il devient admnistrateur d’Eau et Rivières de Bretagne en 1992. Il commence à publier des romans et des polars : A chacun sa bouille (1997), Flora (2000) Les Bagnards (2003), La cordillère des jambes (2008)… Il anime depuis 2000 son site internet : http://kergrist.pagesperso-orange.fr

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