Dossier Aménagement du territoire Environnement

S’opposer à l’A 831 ou comment résister dans la durée

Nelly Verdier

Sur 64 km entre l’A837 à Rochefort (Charente-Maritime) et l’A83 à Fontenay-le-Comte (Vendée), l’A831 traverserait 17 communes petites et moyennes. Elle bouleverserait la vie de 17 000 personnes et plus de 2000 hectares agricoles seraient expropriés. Dans l’étude de 1997, on tablait sur + 5% de trafic par an mais en 2013, on n’a pas encore atteint les prévisions pour 2010. Le coût est minoré, le trafic majoré (1), avec pour objectif bien sûr le « développement économique »…

En 2011, le projet d’A831 a été réévalué, passant de 650 à 890 millions d’euros (plus 30% en 6 ans et 14 millions d’euros par kilomètre, quand la moyenne autoroutière est de 6 !) (2). Le concessionnaire (pas encore choisi) en paierait 50 %, le reste incombant à l’Etat et aux collectivités territoriales. La région Poitou-Charentes refuse d’y participer. Ne restent que trois collectivités pour s’associer à l’Etat et trouver 445 millions d’euros : la région Pays-de-Loire et les conseils généraux de Vendée et Charente-Maritime. Pour l’instant, ils n’ont rassemblé que 400 millions…

En nous associant, on cherche à nous circonvenir

Notre association « Vivre bien en Aunis » comprend des politiques et nous coopérons avec d’autres associations, partis ou syndicats (3). Certains nous reprochent notre position non conciliante. On nous a proposé de « gêner l’affaire » en venant aux réunions mais, en nous associant, on cherche à nous circonvenir. Nous avons été invités au conseil économique ou à la restauration de certaines mares à grenouilles, mais nous avons gardé notre indépendance. Car le débat public est biaisé : le plus souvent, quand on essaye de parler, soit on est vidé manu militari (une fois), soit on est privé de micro, et on subit des projections Powerpoint dont les conclusions sont celles de l’Etat. Or, même si nous ne parlons pas, notre présence est notée comme « concertation » !
La lutte contre les GPII se déroule presque toujours de la même façon. Quand le projet est enregistré, il y a une forte mobilisation mais ensuite il faut tenir. Nous tenons depuis 17 ans ! Comme il y a de plus en plus de résidences dortoirs, nous menons depuis 7 ans des animations qui permettent aux « périurbains » de prendre conscience de leur environnement et de nouer des liens avec nos adhérents.
Les préemptions de terres concernent surtout des agriculteurs isolés. On entend : « c’est le pot de terre contre le pot de fer » ou « ils ne trouveront pas l’argent ». L’agriculture est un milieu très individualiste : certains voient l’occasion de finir leur carrière avec un peu plus d’argent ou de remembrer gratuitement (en Vendée). D’autres veulent négocier tout seuls. Ils s’en mordent vite les doigts, mais pendant un moment, ils nous ont manqué.

Des données oui, mais surtout du monde

Aux collectifs qui nous contactent, nous conseillons de refuser les « discussions autour d’une table » avant d’avoir acquis des connaissances, éventuellement en consultant un avocat qui a déjà œuvré dans ce domaine. Evidemment, au moment de l’enquête publique, nous n’y avions pas encore réfléchi. Or une personne qui transmet une pétition est comptée comme « une voix », même avec 300 000 signatures ! Et pour protester, il y a toute une terminologie technocratique qu’on ne connaît pas. Il est très important aussi de choisir un titre et un objet d’association assez général pour autoriser des recours variés, ici sur l’environnement comme sur les transports.
Au départ, l’important est de manifester en nombre mais il faut finir par se plonger dans les données du projet. Bien sûr, l’expertise n’est pas notre domaine mais elle doit le devenir : nous rencontrons des élus qui ne connaissent pas ou très peu le dossier ! Sans ce travail, on se ferait blouser. On utilise des rapports de la cour des comptes, du Conseil économique et social, etc., même si on est sûr que d’autres chercheront à les contredire. En plus du cadre et des enjeux locaux, il est important de maîtriser aussi des enjeux régionaux, nationaux et européens et de s’y référer.
Il y a donc eu de grandes manifs, des deux côtés d’ailleurs, mais ça s’est émoussé, à cause du temps qui passait mais aussi parce qu’au niveau des lois, il faut suivre toute une procédure pour manifester. Par exemple, on a mené une opération escargot dans le centre ville de Marans où nous réclamons un contournement court, bien plus utile et plus urgent que l’A831. Comme on n’était pas assez nombreux, on s’est retrouvé au poste avec un PV : nous roulions en-dessous de la vitesse voulue, soit 45 km/h, là où pourtant les bouchons sont fréquents…
La lutte est ambivalente. Quand on agit, il semble que cela motive certains élus pour faire avancer encore plus le projet : ils courent au ministère chercher de l’aide contre les opposants. Mais si on ne fait rien, on perd des adhésions et du soutien.
Au fond, nous avons deux objectifs : empêcher le projet en le ralentissant au maximum, et promouvoir des alternatives par, ici, une autre vision des transports. Autrement dit, la stratégie de lutte oblige à « donner de partout ». Heureusement qu’il y a des personnes retraitées en pleine forme !

Ambivalence des ONG et hypocrisie de l’Etat

Les relations avec les ONG ne vont pas sans souci. Souvent, celles-ci n’agissent pas tant que le projet n’est pas en appel d’offre et une fois qu’il se concrétise, « c’est trop avancé, on ne peut rien faire ». Ou alors elles arrivent quand effectivement il n’y a plus rien à faire, mais que les médias sont là pour les écouter. Et si elles font leur boulot, leur engagement est toujours double : dans les bureaux d’étude officiels et dans l’opposition. Elles n’ont donc pas les mains déliées et elles peuvent laisser tomber une revendication pour qu’une autre aboutisse. C’est un peu ce qui s’est passé pour l’A65 (voir encart).
Quant à l’Etat, il donne l’impression de ne pas savoir ce qu’il veut en matière juridique. C’est seulement si quelqu’un pointe telle ou telle loi qu’elle est assumée. Par exemple, on a bétonné le littoral vendéen parce que personne ne citait la loi précise qui était bafouée. Après seulement, l’Etat a réagi. Et encore faut-il être médiatisé… Dans le cas de l’autoroute A831, l’étude environnementale officielle prétend que le marais traversé n’héberge pas de visons (4). Pourtant, les chasseurs en prennent quand ils font du piégeage de ragondins et ça paraît dans le journal. Le conseil général vient même d’être récompensé pour son action concernant les visons des marais, lui qui dit dans l’étude qu’il n’y en a pas. On en reste abasourdi !
Le cynisme est très fort, à droite comme à gauche. On parle de l’A831 aux élections mais ni avant ni après, et on évite le sujet dans les communes concernées. Les dates des décisions importantes ont toujours été les 12-14 juillet ou 20-22 décembre, quand la mobilisation est en berne. C’est vraiment mépriser le citoyen !

L’environnement comme ralentisseur

On n’a pas hésité à se tourner vers l’Europe. Comme avec Notre-Dame-des-Landes ou la THT, des zones Natura 2000 seraient impactées. Notre recours a bloqué le projet après sa déclaration d’utilité publique de 2005 mais l’Europe s’est finalement prononcée en avalant le baratin de l’Etat : pas de visons dans le marais. Le dossier est archivé et pourrait être ressorti mais il faudrait déposer une nouvelle plainte. Notre saisie du Conseil d’Etat a également échoué : il demeure ambigu dans ses conclusions, mais on ne peut le saisir qu’une fois. Par ailleurs, on risque d’être sanctionnés pour « recours abusif ». Aujourd’hui, nous comptons sur des personnes expropriées pour ralentir l’accaparement des terres d’ici juillet 2015, date butoir.
Depuis la campagne électorale de 2002 (5), on voit plus de gens parler de crise écologique, comprendre que du pétrole, il n’y en aura pas toujours. Et si, en plus, on fait le bilan des maladies dues aux particules fines des moteurs diesels (6), il est évident qu’il faut changer de mode de vie.
Hélas, à ce jour, aucun projet d’infrastructure n’a jamais été abandonné pour des raisons environnementales mais toujours financières. Aussi la période actuelle nous donne-t-elle de l’espoir !


L’A65 Langon-Pau

Trois fois la distance de l’A831, neuf sites Natura 2000 impactés : le conseil national de protection de la nature (CNPN), rattaché au ministère de l’Ecologie, a rendu un avis défavorable. L’opposition a été massive et a retardé le projet mais il a quand même été réalisé et inauguré en 2010.
Il faudrait 16 000 véhicules par jour pour assurer sa rentabilité, il n’en circule que 6000 en moyenne. Mais le concessionnaire a obtenu un montage super-avantageux : toutes les dépenses comme les profits lui sont revenus à court terme mais, dans un délai de 5 ans, l’Etat devra payer pour équilibrer les comptes !

Les finances comme gendarme

Depuis octobre 2012, les projets autoroutiers sont en commission de révision du schéma national d’infrastructures de transport (SNIT) qui les hiérarchise en les mettant en relation avec le service du public. Chez nous, les nouvelles navettes ferroviaires ont encore réduit l’intérêt de l’A831. La voiture aujourd’hui, c’est une nécessité dans les petits villages, mais le covoiturage et même l’auto-partage se développent. On nous rétorque : et les camions ? S’ils circulent sur autoroute, les routes seront plus sûres. Mais comment l’Etat compte-t-il obliger les poids lourds à emprunter un itinéraire payant ? Depuis 2003, les autoroutes perdent du trafic. ASF n’a pas donné de chiffres depuis fin 2010 et ça baisse depuis 7 ans ! On a appris par deux fanas d’internet (il en faut dans nos luttes) que l’Etat veut faire payer les camions sur certaines départementales dès juillet 2013. Pour les forcer à prendre l’autoroute ?
Le problème actuel des grands projets c’est les finances. Pour l’A831, le conseil général a demandé un crédit à la Banque européenne d’investissement qui aurait 55 milliards d’euros à dépenser dans ce genre de projet. Mais l’appel d’offre, d’après le dossier de 2002, ne tient pas compte du surcoût environnemental préconisé par la ligue de protection des oiseaux (7). Un nouvel appel doit donc être rédigé, du moins des compléments. L’Etat a engagé un cabinet de conseil juridique pour 400 000 €, un cabinet de Cconseil pour aide au choix du concessionnaire pour 500 000 € et encore deux études sur le trafic et l’environnement ! La nouvelle analyse d’intérêt public n’est menée qu’entre initiés, loin des affreux agitateurs que nous sommes. L’objectif semble être un maximum de peinture verte mais on s’y opposera, on peut compter sur nous !

Nelly Verdier
Membre fondateur de Vivre Bien en Aunis

(1) Ce que concluent très souvent les rapports de la loi d’orientation des transports intérieurs (« loi LOTI ») qui réévaluent les réalisations 5 ans après, en y ajoutant des coûts d’entretien « imprévus »…
(2) Le prix d’un kilomètre d’A831 permettrait de rénover 14 km de voies ferrées pour seulement 1 million d’euros/km !
(3) Avec 655 adhésions et de plus en plus de relations en réseau.
(4) Le vison Mustela lutreola, prédateur nocturne, est l’une des espèces de mammifères les plus menacées d’extinction en Europe occidentale.
(5) Avec les interventions de Nicolas Hulot, que l’on apprécie ou pas le messager...
(6) D’après France nature environnement, les moteurs diesels qui équipent 60 % des véhicules en France seraient à l’origine de 42 000 décès prématurés par an.
(7) Ligue pour la protection des oiseaux : 125 millions d’euros, pour des préconisations qui forment un tout et non une liste d’options.

Pour aller plus loin
• Vivre Bien en Aunis, B.P. 24, 17290 Aigrefeuille-d’Aunis, tél 05 46 35 60 81. Sur le site www.non-a831, un historique du projet et de son financement, avec les liens de nombreux documents y compris l’étude de la LPO, plus un sondage en cours des élu.es et les comptes-rendus d’activité du réseau rassemblé autour de l’association (avec les collectifs « Pour des infrastructures utiles » et « Pour l’abandon du projet A831 »).
• Le collectif national Stop-Autoroute recense les projets sur un réseau social bien connu (30 projets actuellement, à des stades de procédure différents) et il informe sur les luttes.

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