Article Discrimination Immigration Racisme Société

Quand une mairie accueille des Roms

Sylvain Marcelli

A Hellemmes, dans le Nord, la municipalité a mis en place, sous la pression d’un collectif citoyen, un accueil décent pour cinq familles roms. Une expérience à reconduire ailleurs ?

Fin octobre 2012 : des manifestants protestent contre le projet du maire (PS) d’installer cinq familles roms sur un parc de la commune. Ils sont 150, 200. Ils avancent en rangs serrés entre les étals du marché d’Hellemmes, petite ville associée à Lille. Et ils crient : « Pas de Roms à Hellemmes ! » L’un d’eux hurle : « Je ne suis pas de droite, je ne suis pas gauche, je veux défendre les Hellemmois ! ». Le maire, venu à leur rencontre, est pris à parti. « Démission ! ». Quelques jours avant cette manifestation, le chantier a été bloqué par les riverains : l’aménagement de l’aire d’accueil est au point mort.
« Les anti-Roms ne sont pas représentatifs des habitants d’Hellemmes, et ils ont sali l’image de notre ville et de notre région » : très vite, un collectif de soutien, sans attache politique, clame son soutien au projet. Plusieurs milliers de tracts intitulés « Bienvenue aux familles Roms ! » sont distribués courant novembre à la sortie du métro, sur le marché et dans les boîtes aux lettres. « En ces temps de crise, c’est un réflexe aussi facile que cruel de s’en prendre à ceux qui ne peuvent pas se défendre. Les Roms ne sont pas responsables de nos problèmes », écrit le collectif. Sa pétition recueille 1 400 signatures. L’effort de pédagogie porte ses fruits.

Arrivée sous bonne escorte

Faisant preuve d’un réel courage, le maire, Frédéric Marchand, tient bon. Le chantier reprend, en bordure d’un espace vert (le parc Engrand). Et un matin de décembre, les caravanes arrivent. Puis ce sont les familles roms – sous bonne escorte. La préfecture, qui soutient officiellement le projet, a envoyé des CRS pour éviter les débordements. Les riverains debout, les bras croisés, refusent toute discussion avec les membres de notre collectif. Les cinq familles qui s’installent en face de chez eux sont pourtant loin d’être des inconnues : elles ont vécu plusieurs années sur un terrain situé à Hellemmes, baptisé « la Friche ». Elles y avaient construit des chalets en bois avec l’Atelier solidaire, une association fondée par des étudiants en architecture. Toute une vie s’était mise en place : mise en culture d’un potager commun, élevage d’animaux… Les enfants allaient à l’école de l’autre côté de la rue.
Jusqu’à l’expulsion, décidée le 9 août 2012 par les pouvoirs publics. Les chalets sont détruits, des caravanes envoyées à la fourrière. Leurs habitants sont dispersés dans la métropole lilloise, sans aucune solution. Les associations se mobilisent. Une partie des familles s’installent sous des tentes, à l’ombre d’une église dans un faubourg de Lille : ce sont elles qui rejoindront le parc Engrand. L’événement occupe les unes de la presse nationale – d’autant que d’autres camps roms sont démantelés à Lyon, La Courneuve, Evry, Marseille, condamnant hommes, femmes, enfants à la survie… Le scandale est tel que le gouvernement socialiste est contraint de publier le 29 août une circulaire censée concrétiser l’engagement de campagne de François Hollande : « Pas d’expulsion sans solution ». Circulaire qui n’est pas toujours appliquée.

Il reste beaucoup à faire

Depuis leur arrivée parc Engrand, les cinq familles sont accompagnées par les associations et la mairie. Un repas de bienvenue est organisé. Des bénévoles du collectif emmènent les enfants dans les fêtes de quartier, d’autres viennent lire des ouvrages pour la jeunesse. L’Atelier solidaire assure un énorme travail de suivi, pour la scolarisation, l’aide sanitaire mais aussi l’aide alimentaire. Le centre communal d’action sociale s’investit. La mairie missionne un mi-temps parmi les travailleurs sociaux de l’Areas, une association qui intervient depuis des années auprès des familles roms de la métropole lilloise.
La bonne volonté est là mais il reste beaucoup à faire. Le collectif ne cache pas ses réserves, lors des réunions du comité de pilotage : les caravanes où sont hébergées les familles sont vétustes, les conditions de vie précaires, alors que l’hiver est particulièrement rude. Toilettes extérieures, comme le point d’eau (gelé par grand froid), douches lointaines, pas de possibilité de laver et faire sécher le linge… Dans une des caravanes, quatre enfants dorment dans un lit prévu pour une personne. Une autre caravane est chauffée avec un radiateur électrique raccordé à un fil sans dominos, avec du scotch. Et les familles sont dans une situation de grande dépendance, notamment vis-à-vis de l’aide alimentaire. Sans travail, pas de source de revenus…

« Un laboratoire »

Alors que la mairie avait promis qu’elle installerait rapidement des mobil-homes, en lieu et place des caravanes, rien ne se passe – en raison de problèmes essentiellement administratifs. Redoutant un échec du projet, le collectif envoie mi-mars 2013 une lettre ouverte à Manuel Valls (ministre de l’Intérieur) et Martine Aubry (présidente de la communauté urbaine de Lille). « Comment expliquer que les pouvoirs publics aient pu organiser des conditions de vie aussi précaires ? » y écrit-il. « Le projet perd de son âme. Les familles sont malheureuses et se sentent abandonnées ». La qualité du logement paraît être un préalable indispensable à toute démarche d’intégration.
Fin mars, nouvelle réunion du comité de pilotage. Le collectif est convié, même si de toute évidence son intervention publique n’a pas plu. « Nous sommes un laboratoire, tout le monde en a conscience », intervient le maire d’Hellemmes, tout en reconnaissant quelques « tâtonnements ». Une nouvelle solution se dessine : la construction de logements en bois. Une forme d’habitat qui pourrait servir par la suite de logement d’urgence pour d’autres personnes en difficulté. Des démarches sont en cours auprès d’une grande entreprise d’insertion pour aider les hommes à trouver un travail, annonce la mairie. Une discussion s’engage sur l’intégration des femmes, qui restent souvent sur les lieux, à s’occuper des enfants et des tâches ménagères. Comment faire pour leur donner davantage d’ouverture vers l’extérieur ? Ne faut-il pas leur proposer aussi du travail ? Questions qui restent en suspens… Beaucoup reste à construire, avec les pouvoirs publics, les associations mais aussi (surtout) avec les familles.
Compte tenu des enjeux, qui dépassent bien sûr notre commune, l’expérience hellemmoise doit devenir un exemple. Pour que les politiques d’inclusion des populations roms ne soient plus des politiques d’urgence. Le collectif se mobilise pour venir en aide aux autres personnes roms présentes sur le territoire de la commune - et plus largement de la métropole lilloise. Leurs conditions de vie, entre misère et rejet, sont inacceptables. Il est temps de regarder la réalité en face et de trouver des solutions.

Sylvain Marcelli
Membre du collectif de soutien aux Roms à Hellemmes

Collectif de soutien aux Roms à Hellemmes, tel. : 03 20 47 61 28, www.hellemmes-roms.org.

Silence existe grâce à vous !

Cet article a été initialement publié dans la revue papier. C'est grâce à vos abonnements et à la vente de la revue que nous pouvons continuer à proposer des alternatives à la société consumériste et destructrice actuelle. Sans publicité, sous forme associative, notre indépendance et notre pérennité dépendent de votre engagement humain et financier !

S'abonner Faire un don Participer