Dossier Environnement Notre-Dame-des-Landes

Notre-Dame-des-Landes : les paysans au cœur de la lutte

Jacques Chiron

Les premiers opposants au projet d’aéroport nantais sont des paysans. En 1972, ils créent l’association des exploitants concernés par l’aéroport (ADECA).

l faut imaginer ce bocage habité et entretenu par des paysans et paysannes sur des exploitations plus petites donc plus nombreuses qu’aujourd’hui : 49 en 1973. Ils sont le cœur de la population locale, dont les emplois dépendent étroitement de l’agriculture (écoles et services publics, laiteries de Campbon et Bout-de-Bois, etc.). Le projet d’aéroport représente dès lors une épée de Damoclès au-dessus de leur tête...

Tous concernés avec des choix personnels respectés

La volonté et l’espoir poussent certains à transmettre leur ferme malgré la précarité de ces installations. Des jeunes s’installent « malgré tout » jusqu’en 1999. Avec la relance du projet, le processus de réduction du nombre de fermes recommence en 2000. Les départs en retraite signifient des disparitions d’exploitations, même si les terres restent cultivées par des paysans périphériques de la zone d’aménagement différé (ZAD). Les pressions psychologiques ou les offres alléchantes poussent personnes d’autres à l’arrêt anticipé ou programmé, sans transmission.
Le pacte entre les paysans de l’association de défense des exploitants concernés par l’aéroport (ADECA) peut se résumer ainsi : « Nous sommes tous concernés par ce projet auquel nous sommes opposés, mais chacun est libre de son choix, et sera respecté par les autres, sans jugement moral ». L’unité de l’ADECA est à ce prix entre des paysans de toutes obédiences syndicales, politiques et idéologiques, et les paysans vont suivre des parcours très divers dans ce combat, des plus vite résignés quittant la ZAD et acceptant les dédommagements proposés, aux plus résistants décidés à tenir jusqu’au bout.

Deux priorités pour une même lutte

L’ADECA a vocation à défendre collectivement les intérêts directs de chaque exploitant. Le principal syndicat local FDSEA, devenu en 1987 Confédération paysanne, soutient ces paysans dans le même sens de défense de leurs intérêts directs, mais aussi dans une approche globale des enjeux de société qu’un tel projet révèle. Les autres syndicats, Coordination rurale et FNSEA 44/JA sont également opposés à ce projet mais les actions communes sont freinées par les divergences intersyndicales. Avec la montée des pressions sur les paysans pour qu’ils acceptent de partir, l’ADECA, les syndicats et la chambre d’agriculture divergent ou hésitent sur la priorité à donner à leur action : obtenir les meilleures conditions de dédommagement pour tous les paysans, en supposant que le projet se réalise, ou renforcer la lutte contre le projet avec les paysans concernés qui le veulent et les citoyens engagés.
En 2008 et 2009, des habitants nouveaux apparaissent dans la ZAD. Ils viennent occuper des terres pour des raisons diverses, en particulier pour la défense de cette zone naturelle, et pour développer des projets d’agriculture vivrière en résistant à ce projet d’aéroport.

Le mouvement COPAIN : paysan et citoyen

En juin 2011, des organisations de paysans créent le collectif d’organisations professionnelles agricoles indignées (COPAIN) décidant d’unir leurs forces pour lutter en solidarité avec les paysans « irréductibles », mais aussi pour des raisons globales, sociétales, quand bien même toutes les exploitations auraient disparu suite aux procédures juridiques d’expulsion. L’apport de ces forces collectives, de paysans de tout le département n’étant pas eux-mêmes sous une menace directe pour leur propre vie familiale, sociale et professionnelle, signifie que les paysans concernés directement peuvent affronter et subir le harcèlement, les pressions, voire décider de « jeter l’éponge » et signer leur départ, sans que pour autant la dimension paysanne de la lutte disparaisse. Cet apport montre aux porteurs du projet que vider la ZAD de ses habitants et de ses exploitations peut se révéler vain. Il montre aussi aux paysans résistants, de moins en moins nombreux, qu’ils ne sont plus seuls au milieu d’un mouvement devenu surtout citoyen.
Le 30 octobre 2012, les paysans du COPAIN apportent leur soutien aux habitants-paysans du Sabot puis, le 25 novembre, les tracteurs du COPAIN viennent protéger les maisons de la Châtaigne et maintenant la ferme de Bellevue. Des COPAIN se créent dans d’autres départements en avril 2012, signifiant ainsi que les paysans se sentent tous concernés.
Le mouvement COPAIN appelle la société à s’emparer de la question agricole, considère que l’agriculture est l’affaire de tous, et que c’est toute la société qui doit défendre la vocation nourricière des terres, les emplois agricoles, car l’alimentation concerne tous les citoyens.

Jacques Chiron
Membre du COPAIN44
Eleveur laitier bio en Loire-Atlantique

Pour en savoir plus
• le dossier détachable sur Notre-Dame-des-Landes dans Silence no 408
• les documents du collectif d’élu.es ACIPA sur acipa.free.fr
• le site de la Zone à défendre ou Zone agricole durable : zad.nadir.org.
• Et beaucoup d’infos plus générales sur stopvinci.noblogs.org !

Rester ferme !*

"Je suis Belle vue du ciel : je crois que vos hommes m’ont remarquée, ils me passent au-dessus depuis des mois, dans leur hélicoptère, chaque semaine, parfois chaque jour, parfois plusieurs fois par jour.

Depuis bientôt deux siècles que des paysans et paysannes sont arrivés ici pour vivre de la terre, depuis bientôt deux siècles qu’ils m’ont construite à la sueur de leur front, apportant au fil des décennies des améliorations et extensions pour loger leur famille et leurs animaux, les fourrages et le matériel agricole, le sentiment d’être utile ne m’a jamais quittée.

(…) Mes habitants paysans et paysannes ont aimé trouver dans mon corps de ferme l’abri, la chaleur, la sécurité, trouver ici un sens à leur vie, la tranquillité et le refuge, le repos après des journées de travail éprouvantes. Ils ont souffert aussi, beaucoup, j’en suis témoin, mais grâce à moi, repère et repaire qui ne les jugeais pas, ils ont tenu bon dans les périodes de doute.

(…) Ce que j’ai permis en abritant ces humains et leurs animaux, c’est la production de nourriture. Sans ferme comme Bellevue, la famine s’abattrait sur l’Humanité. (…) La ville est au centre de toutes les attentions, le développement économique, la vitesse, courir, voler, communiquer, voyager, et HOP !, plus besoin de manger, de se nourrir, de déguster ? J’ai l’impression qu’il est urgent de se réveiller. Voilà pourquoi je m’adresse à vous en ces jours sombres.

Rester ferme : oui je veux rester « ferme de Bellevue », je veux servir mon pays, à ma manière. Des fermes nombreuses, viables, vivables, durables. Pour une alimentation de qualité, pour une vie rurale apaisée, dense en emplois utiles.

Ma place est ici, Monsieur le Président, et c’est donc pour vous inviter que je vous écris. Si vous trouvez inconvenant de vous présenter simplement chez moi, vous pouvez passer inaperçu à bord de l’hélicoptère.. *Extraits de la lettre ouverte de la ferme de Bellevue envoyée à M. François Hollande avec le soutien de la coordination des opposants (sur le site acipa.free.fr, on peut lire d’autres »Paroles de campagne").

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