Dossier Monde Nucléaire

Le déclin du nucléaire

Silence : Après Fukushima, l’Allemagne a pris rapidement la décision de sortir du nucléaire. Concrètement, elle y était déjà prête ?
Mycle Schneider : Le parlement allemand, le Bundestag, avait voté une loi de sortie du nucléaire dès 2001, du temps du gouvernement socialdémocrate/vert. La définition des limites d’autorisation de fonctionnement se faisait en "crédit de production", c’est-à-dire que chaque réacteur s’était vu autorisé à produire encore une quantité déterminée de kWh. Ce crédit pouvait aussi être cédé d’un réacteur à l’autre. Mais il n’y avait pas de limite fixée en termes de date ou de durée de
fonctionnement. Compte tenu de ces éléments, la durée de fonctionnement aurait été d’environ 32 ans en moyenne et le dernier réacteur aurait été arrêté vers 2022.
Dans la loi votée en 2011, il n’y a pas seulement des crédits de production, mais des dates précises d’arrêt au plus tard pour chaque réacteur. En l’occurrence, le dernier réacteur devra être fermé au 31 décembre 2022.
On voit que l’échéance est pratiquement la même qu’avec la loi de 2001. Donc, la réponse est oui, l’Allemagne avait déjà accompli un travail considérable de modélisation, de lancement de filières dans les renouvelables et de formation dans
des métiers indispensables à une véritable transition énergétique. D’ailleurs, ce travail avait commencé dés le lendemain de l’accident de Tchernobyl en 1986. Rien que dans l’année du désastre en Ukraine, une vingtaine de scénarios de sortie du
nucléaire ont été publiés. Puis, n’oublions pas que l’Allemagne est beaucoup plus décentralisée que la France et que les quelques mille compagnies municipales n’ont pas attendu le gouvernement fédéral pour entamer leur transition sur le terrain.

Le 12 juin 2011, 94,6 % des Italiens ont voté contre un possible retour du nucléaire. Berlusconi a mal choisi son moment pour lancer un référendum. Pourquoi voulait-il relancer le nucléaire ? Sous influence française ?
Silvio Berlusconi ne comprend rien de plus à l’énergie et au nucléaire que notre ex-président Nicolas Sarkozy qui avait fait la plus belle démonstration de son incompétence lors du débat télévisé avec Ségolène Royal pendant la campagne présidentielle de 2007. Cette dernière ne faisant pas mieux. Berlusconi est aussi un escroc, condamné à quatre ans de prison pour fraude fiscale. Laissons de côté tous les autres aspects de ce despote déchu, mais il n’est pas sûr que ce soit le meilleur partenaire pour faire des affaires nucléaires. Il est même étonnant qu’un président français ait pu signer des accords dans des domaines sensibles avec un tel personnage. Mais c’est vrai qu’il y a une longue liste d’accords de ce type sur le nucléaire avec des partenaires douteux.
EDF et AREVA ont poussé à la réouverture du dossier nucléaire en Italie – et y ont
laissé des plumes. L’aventure a coûté à EDF sans doute autour d’un milliard d’euros. La perte d’ENEL comme seul partenaire dans l’EPR de Flamanville coûtera à EDF, contraint de racheter ses 12,5% de parts, de l’ordre de 690 millions d’euros
en plus.

En Suisse, la décision de sortie du nucléaire est assez lointaine. Pourquoi un pays aussi riche et aussi développé dans le domaine des renouvelables hésite-t-il autant ?
La Suisse a été l’un des premiers pays européens à annoncer des conséquences
importantes sur sa planification après le début de la catastrophe de Fukushima. Et pour cause, c’est aussi le pays où l’opinion publique a le plus fortement
changé en Europe.
Non-seulement le gouvernement suisse a immédiatement suspendu la procédure
d’autorisation pour deux nouveaux réacteurs, mais le parlement a voté dés le 8 juin 2011 la sortie du nucléaire à la fin de la durée de vie théorique, c’est-à-dire en 2034 au plus tard. La construction de nouvelles centrales nucléaires est explicitement interdite.
Certes, on peut se demander pourquoi ne pas faire plus vite. Mais il faut déjà reconnaître qu’il s’agit d’un revirement total par rapport à la situation
d’avant. Et le débat n’est pas clos !

La Belgique semble aussi hésiter. Elle a confirmé en juillet 2012 le maintien de la
sortie du nucléaire. L’affaire des fissures de Doel-3 et de Tihange-2 va sans doute accélérer les choses ?

La Belgique était dans une situation curieuse. Avant d’entrer dans la phase sans gouvernement la plus longue de l’histoire des pays européens, le dernier gouvernement avait politiquement décidé en octobre 2009 — un peu comme le gouvernement d’Angela Merkel — de "sortir de la sortie" du nucléaire et de prolonger de dix ans la durée de vie des centrales. Mais le gouvernement n’a pas eu le temps de faire changer la loi avant de disparaître. Donc, quand Fukushima s’est produit,
la loi de 2002, qui prévoit la fermeture des réacteurs au bout de 40 ans de fonctionnement, était toujours en place. Depuis, cette législation a été confirmée et
le premier réacteur devait être fermé en 2015.
La découverte de milliers de fissures dans des cuves de réacteurs de Doel-3 puis de
Tihange-2 change la donne. Les réacteurs sont arrêtés depuis l’été 2012 et au moins jusqu’à fin janvier 2013. En effet, il paraît aujourd’hui difficile à imaginer de requalifier ces cuves. L’exploitant a remis le 6 décembre 2012 son dossier à l’autorité de sûreté qui, elle, parle prudemment d’ "éventuelle exploitation future" des réacteurs. Les débats entre spécialistes continuent. Mais, d’ores et déjà, on peut
se demander comment il se fait qu’il n’y ait pas de programme massif d’inspection au moins de toutes les cuves qui n’ont pas été inspectées avec le type d’appareil
à ultrasons, apparemment seulement disponible depuis les années 1990, qui a permis de détecter les défauts en Belgique.

En Europe, à part la France, quels pays misent encore sur le nucléaire ? Les pays
de l’Est ? Cela va-t-il se concrétiser ou cela relève-t-il des déclarations d’intention ?

Si on parle de "pays", on pense généralement aux gouvernements. Il se trouve que,
sauf exception, ce ne sont pas les gouvernements qui exploitent des centrales nucléaires ni qui les commandent. Les acteurs principaux sont les compagnies
d’électricité. Et là, il convient de distinguer clairement une situation de centrales en exploitation et celle de projets de construction. Pour les réacteurs en fonctionnement, ils sont pratiquement tous amortis et il y a une fenêtre, après amortissement avant
grands travaux, où ils font gagner énormément d’argent aux exploitants. Il n’est plus possible aujourd’hui de construire une centrale nucléaire compétitive dans une économie de marché. Des concurrents, l’efficacité, les renouvelables et le gaz naturel ne sont pas seulement moins chers, mais beaucoup plus rapides dans la mise en œuvre. Imaginez qu’en Allemagne, on a connecté au réseau 3 000 MW de solaire photovoltaïque en un seul mois (décembre 2011), alors que l’EPR en France, en construction depuis cinq ans, ne sera pas mis en service avant 2016 !
Certains gouvernements des pays de l’Est, notamment en Pologne, en République
tchèque et en Hongrie, prônent la construction de nouvelles centrales. Mais d’où viendra l’argent ? La Bulgarie vient de retirer deux tranches de la liste des réacteurs en construction où elles figuraient depuis 25 ans.

Aux États-Unis, après 40 ans sans nouveau permis de construction, le gouvernement
Obama a autorisé de possibles nouvelles constructions. Dans un pays où l’argent est roi, cela peut-il se concrétiser ? Les renouvelables et les économies d’énergie n’ont-elles pas déjà gagné ?

Le dernier réacteur américain est entré en service en 1996, mais il avait été effectivement commandé en 1973. Un réacteur, Watts-Bar-2, est en construction depuis… 1972. Puis, il y a deux fois deux réacteurs, sur les sites de Summer (Caroline du Sud) et Vogtle (Géorgie), dont la construction a effectivement été autorisée cette année — contre le vote du patron de l’autorité de sûreté. Mais on ne perçoit nullement de dynamique générale pour un programme majeur de construction. Entretemps, la capacité installée en renouvelables aux États-Unis vient
de dépasser celle combinée en nucléaire et pétrole. Si les renouvelables ne représentent toujours "que" 15 %, leur ascension est rapide : dans les dix premiers mois de 2012, on a raccordé près de 50 % de plus que sur la même période de l’année précédente. Le nucléaire est out.

Le Japon a annoncé le 14 septembre 2012 sa sortie du nucléaire d’ici 2040, alors que l’opinion publique est largement opposée au redémarrage des réacteurs encore utilisables. Peut-on penser que l’on va vers une sortie plus rapide ?
Le Japon est divisé. D’un côté, il y a le gouvernement, les exploitants et les banques, à qui appartiennent les compagnies d’électricité. De l’autre côté, il y a la société civile, profondément traumatisée, lasse de l’incapacité de l’exploitant et des autorités à gérer la crise. Le gouvernement précédent parlait de sortie à long terme alors que
les gens parlent de non-redémarrage. Le retour des conservateurs du parti libéral démocrate aux commandes n’y change pas grand-chose. Citoyens et gouvernement
ne se comprennent pas. Il est surtout fort probable que beaucoup de réacteurs
ne redémarreront jamais. Actuellement, deux seulement sont couplés au réseau (Ohi-3 et 4), et la décision d’autoriser le redémarrage a plus stimulé la contestation qu’elle n’a conduit à la résignation. Je suis allé peut-être vingt-cinq fois au Japon, trois fois depuis le 11 mars 2011, mais je n’avais jamais vu un peuple totalement
bouleversé, en crise d’identité, en crise économique et en colère.

Il reste des pays comme la Chine et la Corée du Sud, qui construisent des réacteurs. Peuvent-ils poursuivre indépendamment de ce qui se passe autour d’eux ?
Avec vingt-six chantiers, la Chine compte effectivement pour 40 % des réacteurs en construction dans le monde. Mais le pays, dirigeants comme citoyens ont découvert le sujet du nucléaire avec le désastre de Fukushima. Réveil difficile. La Chine a
été parmi les premiers pays à annoncer des conséquences draconiennes : le gel de tous les nouveaux projets et une analyse approfondie des projets en cours. Aucun réacteur n’a été mis en service depuis novembre 2011. Et surtout, la Chine avait déjà investi en 2010, avant Fukushima, cinq fois plus pour les renouvelables que pour
le nucléaire. En 2011, le pays a achevé onze fois plus de capacité en éolien qu’en nucléaire. La capacité installée fin 2011 en éolien correspond au parc nucléaire français. En 2012, la production d’électricité éolienne aura sans doute dépassé celle du nucléaire en Chine. Rappelons que la part du nucléaire dans la production d’électricité en Chine est de l’ordre de 2 % —tendance à la baisse.
La Corée du Sud est le seul pays au monde à avoir mis en service des nouveaux réacteurs en 2012. Mais la population a été profondément choquée par la catastrophe de Fukushima. L’un des enjeux de l’élection du 19 décembre 2012 a été
l’avenir du nucléaire. La victoire de la candidate conservatrice donne un répit à l’industrie, mais ne saura changer l’opinion des citoyens, à l’instar du maire de Séoul qui s’est engagé à rendre un réacteur nucléaire obsolète en boostant l’efficacité et les renouvelables. Si tout va bien, je lui donnerai un coup de main dés le début de 2013, dans le cadre d’une équipe internationale de consultants.

L’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) continue à parler régulièrement de dizaines de réacteurs en construction. Concrètement, dans les années à venir, combien seront effectivement mis en route, et pendant ce temps, combien seront arrêtés ?
L’AIEA compte 64 réacteurs en construction. Dans le rapport sur l’état de l’industrie nucléaire mondiale, nous avons sorti un réacteur russe et deux japonais de la liste. Mais on ne peut dire combien de tranches seront couplées au réseau dans combien de temps. Pratiquement tous les chantiers sont en retard par rapport au planning initial. Les durées de construction varient énormément. Ainsi, les sept unités démarrées en 2011 ont mis en moyenne 14 ans pour être achevées, les deux unités
sud-coréennes couplées au réseau en 2012 ont mis 4,4 années — une exception.
Si les réacteurs sont arrêtés après 40 ans de fonctionnement, juste pour maintenir le statut quo, il faudrait démarrer, d’ici 2020, 67 réacteurs en plus que ceux actuellement en construction. Ce n’est faisable ni économiquement, ni industriellement, ni politiquement.

Les réserves d’uranium permettent-elles de suivre une possible exploitation des réacteurs nucléaires existants ?

Quel que soit le scénario, la disponibilité de ressources en uranium naturel n’est pas un facteur contraignant pour l’exploitation du parc existant et futur.

Quel est l’avenir de la filière nucléaire française ? Avec un EPR en construction et 58 réacteurs dont la moyenne d’âge dépasse les 26 ans, peut-on penser qu’un renouvellement de ces réacteurs est politiquement possible ?
Non. L’EPR de Flamanville coûtera désormais officiellement au moins 8,5 milliards d’euros. Cela fait plus de 4 fois l’estimation de 2003 et 2,5 fois le prix annoncé aux politiques quand la décision fut prise en 2005. Framatome, à l’époque, et AREVA aujourd’hui, n’ont jamais prévu de remplacer la génération actuelle par des EPR. L’EPR de Flamanville devait servir d’outil de maintenance des compétences et de vitrine pour l’exportation (sic), pas de tête de série. Il n’est pas construit non plus parce qu’on en aurait besoin comme moyen de production d’électricité, ce n’est pas le cas. Par exemple, on a arrêté l’usine d’enrichissement d’uranium d’EURODIF, ce qui baisse la consommation d’électricité de plus de l’équivalent d’un EPR, puis on a désespérément besoin des moyens de production de pointe, mais pas d’électricité en
base. Non, il s’agissait de démontrer que l’industrie nucléaire a un avenir — démonstration échouée —, de prolonger la durée de vie des réacteurs actuels
et de passer directement à une nouvelle génération de réacteurs.

Le gouvernement de François Hollande n’a pas remis en cause, pour le moment,
la construction du surgénérateur Astrid à Marcoule. Y a-t-il un risque que le
Commissariat à l’énergie atomique arrive à imposer une relance de cette filière, malgré l’échec de Superphénix ?

Oui. C’est justement la suite logique de la stratégie du passé. On a créé une industrie de retraitement qui, en l’absence de surgénérateurs, produit du plutonium et de l’uranium retraité à valeur comptable zéro dans les livres d’EDF, son propriétaire. En réalité, la valeur marchande des matières est négative, car il faut payer le repreneur,
si on veut se débarrasser de plutonium ou de l’uranium retraité. C’est la seule industrie au monde qui crée un produit à valeur négative. Ensuite, faute de surgénérateurs, on a décidé de produire un combustible mixte uranium-plutonium, le MOX. Sauf que le MOX irradié est encore pire que le combustible à uranium usé. Il faudra soit le laisser refroidir une bonne centaine d’années de plus que les assemblages à uranium, soit lui attribuer au moins trois fois plus de place en
stockage définitif. Quitte à le retraiter et utiliser le plutonium — de très mauvaise qualité, celui-là — dans des réacteurs dits de la génération IV… qui n’existeront pas avant les années 2030 au plus tôt, si jamais. Personnellement, je n’y crois pas du
tout. D’ici là, les compétiteurs du nucléaire — plus adaptés, plus décentralisés, plus flexibles, moins chers, plus intelligents — lui auront fait la peau définitivement.
Il faut cette hypothèque permanente sur l’avenir en basant les choix politiques sur les options ratées d’hier. Il est temps de prendre des décisions libres, innovantes, bien au-delà des considérations d’investissements déjà réalisés ou de matières existantes.

ITER, le réacteur expérimental de fusion en construction à Cadarache, ne fera sans doute que consommer de l’énergie. Son financement est-il assuré, dans un monde où la crise semble de plus en plus pousser aux économies ?
Non. La seule raison de n’avoir pas encore sonné le glas à ce gaspillage sans pareil est que le courage de dire le premier qu’on s’est trompé n’est pas la première caractéristique ni des politiques, ni des technocrates. Mais cela se complique avec le
montage "globalisé" de l’investissement.

Que se passe-t-il dans les grandes écoles françaises ? Commence-t-on à revoir à la
baisse le nombre d’ingénieurs formés dans ce domaine ? Sommes-nous en décalage par rapport à ce qui se passe à l’étranger ?

La situation est dramatique quant à la problématique du maintien des compétences et de la gestion du savoir. Le président d’EDF a déclaré en 2011 que, jusqu’en 2017, la moitié des agents travaillant dans le nucléaire partiront à la retraite. Comment est-ce qu’on forme la moitié des techniciens d’une flotte de 58 réacteurs nucléaires en
6 ans ?
Le problème n’est pas seulement d’attirer les jeunes dans ces filières dans les écoles d’ingénieurs, mais de les "fidéliser". Beaucoup d’ingénieurs nucléaires jeunes diplômés n’entrent pas dans la filière ou la quittent après peu de temps. Et pour
cause, les gens se rendent compte rapidement que l’avenir rose d’une industrie en plein boum n’existe pas. Et les jeunes ingénieurs et techniciens brillants se sentent plutôt attirés par des secteurs considérés "d’avenir" comme la finance, l’électronique ou les biotechnologies. Je trouve ça dramatique. Il faudra impérativement motiver des jeunes intelligents à intégrer les filières nucléaires. On aura désespérément
besoin de spécialistes responsables très bien formés pour des décennies à venir. Il faudra m’expliquer pourquoi travailler sur le sujet nécessiterait d’en être fanatique. Au contraire, on veut des esprits critiques dans les autorités de sûreté, la recherche, le démantèlement et la gestion des déchets radioactifs. Il faut donc arrêter de vouloir
former des moutons nucléocrates. Pour ça, il faudra largement ouvrir la formation aux universités et à des enseignants pas seulement puisés parmi les croyants du nucléaire.

Si la sortie du nucléaire était décidée, quelles questions se poseraient pour la pérennité de la surveillance des sites et des déchets ? Quelles mesures sont envisagées pour éviter la perte de la mémoire sur le long terme ?
Le problème le plus compliqué — dans le nucléaire et ailleurs — est d’analyser le risque en tenant compte du facteur temps. A quoi bon réfléchir sur la pérennité d’une surveillance de matières si elles sont actuellement stockées dans des conditions
inacceptables, et ce pour une durée indéfinie ? Le meilleur exemple est le site de La Hague. Non seulement il s’agit de l’activité industrielle de loin la plus polluante du secteur nucléaire, qui conduit à l’impact radiologique principal de cette industrie sur les Européens, mais en plus, le site renferme le plus grand inventaire de substances radioactives de la planète ! Alors que les quelque 57 tonnes de plutonium ultra-radiotoxiques sont au moins entreposées dans un stockage bunkerisé, ce n’est pas le cas des combustibles irradiés dont 10 000 tonnes s’entassent dans des piscines, sans aucune protection. Juste pour clarifier : cette quantité correspond à l’équivalent de plus d’une centaine de coeurs de réacteur.
La leçon de Fukushima est avant tout qu’il convient de réduire le potentiel de danger. Il ne s’agit pas de bâtir des murs plus hauts et du béton plus épais, mais de réduire l’inventaire de radioactivité qui risque d’être dispersé. Pour La Hague, cela veut dire, afin d’éviter la possibilité tout court d’avoir un accident apocalyptique qui relâcherait des centaines de fois la radioactivité de Fukushima, sortir le plus vite possible un maximum de combustibles des piscines et les mettre dans des conteneurs en stockage à sec.
Après, on peut discuter de la manière de prévenir les milliers de générations futures qu’on a créé un problème dont il faudra tenir compte si on veut rester en bonne santé. Des chercheurs américains se sont rendu compte que la façon de transmettre
le savoir sur des périodes les plus longues semble être la parole : les mythes transmis de génération en génération par voie orale. Après avoir chassé les
indigènes de leurs terres pour exploiter l’uranium, on est allé les chercher pour qu’ils donnent un coup de main. Ce sont des experts en la matière, depuis des dizaines de milliers d’années. Nous, on n’a mis qu’un siècle pour créer un problème qui
aujourd’hui paraît éternel.

Propos recueillis par Michel Bernard en janvier 2013

Mycle Schneider est consultant indépendant international sur l’énergie et la politique nucléaire. Il a donné des conférences et des cours dans 18 universités ou écoles d’ingénieurs dans 9 pays. Il a conseillé les cabinets du ministre français de l’Environnement, du ministre belge de l’Energie et le ministère de l’Environnement allemand. Il a présenté des briefings ou a été auditionné dans les parlements de
13 pays et au Parlement européen.
Entre 1983 et 2003, il a dirigé le service d’information et de conseil WISE-Paris. Il est initiateur et auteur principal du World Nuclear Industry Status Report et lauréat 1997 du "prix Nobel alternatif”.

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