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Sans internet : on débranche tout, on réfléchit et c’est pas triste

Gaëlle Ronsin

Juin 2012, plusieurs membres de Silence se retrouvent pour parler de la préparation d’un « numéro sans internet ». En cas de crise énergétique, ou par volonté d’autonomie, une revue comme la nôtre peut-elle se passer d’internet ? Jusqu’où nous sera-t-il possible de mener l’expérience, jusqu’où sommes-nous prêt-e-s à aller ? Retranscription du débat…

Michel : Après le numéro sans téléphone portable, on avait pensé à faire un numéro où l’on essayerait de se passer d’internet… Nous sommes passés récemment au tout-internet : c’est après la crise de 2008 (1) que l’on a créé un site internet actif... Avec la création du formulaire de contact et du site, les gens ont arrêté de nous envoyer des textes par courrier ou par disquette. C’était il n’y a pas si longtemps que ça...

Moins de papier…

Guillaume : Quand je suis arrivé à Silence en 2006, le courrier des lecteurs passait beaucoup plus par la poste, je passais des heures à taper des textes. Aujourd’hui, j’en retranscris un ou deux par mois. Tout le reste maintenant arrive par internet !
Michel : Aujourd’hui les articles arrivent presque tous par courriel.
Marie-Pierre : Du coup, tu as vu augmenter le volume des propositions pour des articles ?
Michel : Oui c’est sûr ! Et le volume de revues que l’on reçoit grâce à l’échange de presse (2) n’a pas baissé. Internet s’est essentiellement rajouté mais ne s’est pas substitué.
Guillaume : Dans ce numéro, à l’image du numéro sans téléphone portable, aucune adresse internet ne serait donnée…
Marie-Pierre : Se limiter à cela, ce serait trop facile !
Béatrice : Mine de rien, on renvoie souvent à internet, il y a beaucoup d’annonces qui nous arrivent où le seul contact est un courriel ou un site, de même pour les brèves.

Gérer une revue sans internet ?

Claire, inquiète : D’accord pour ne pas publier les courriels mais si l’on suspend l’accès à notre site internet, cela posera des soucis pour la gestion de Silence ! Les gens m’écrivent pour arrêter leur prélèvement ou changer d’adresse. Notre réactivité sera réduite… Et ce sont souvent des gens qui écrivent le soir, ils ne peuvent pas nous appeler !
Béatrice : Je communique surtout par téléphone avec les personnes qui tiennent un stand pour Silence, c’est plus humain, cela permet de créer un lien. Pour les dépôts, on s’envoie des courriers mais il y en a de plus en plus qui scannent le bilan des ventes et l’envoient par courriel.
Claire : Notre logiciel de gestion des abonné-e-s passe par un réseau intranet, utilise les mêmes fils que pour internet mais c’est juste une connection entre un serveur, qui est déjà dans nos bureaux, et nos ordinateurs.
On utilise par contre le site de la banque pour faire des virements internes ou externes, la consultation des règlements de facture, la consultation des soldes ou de la trésorerie. Pour arrêter un prélèvement automatique sans internet, il faudrait que j’appelle la banque, lui envoie un listing, un courrier rapide... mais il y des dates limites, ce serait plus chaud à gérer !

« Ce sera beaucoup plus lent »

Michel : Pour le bouclage, j’envoie les futurs articles par courriel le mercredi pour le Comité de rédaction du samedi... il faudra faire passer les textes beaucoup plus en avance, par la poste.
Marie-Pierre : Ce sera beaucoup plus lent. Il y aura besoin de plus de patience et d’anticipation…
Béatrice : Il y aura aussi une histoire de coût, vu qu’on se servira beaucoup plus de la poste et du téléphone... Je pense à toutes nos relations, partenariats... Avec la maison d’édition le Passager clandestin (3), on n’a travaillé qu’à distance ! On les a rencontrés une fois, on s’est appelé pour prendre les grandes décisions mais la plupart du temps, on a communiqué par courriel.
Gaëlle : Les seules alternatives à internet seront la poste et le téléphone ?
Béatrice : Et la réunion physique ! Il y a certaines personnes qu’on verra plus souvent, on se déplacera…
Michel : Le courriel, c’est pratique pour le collectif, pour envoyer des documents à plusieurs...
On pourrait se doter de fax avec mémoire numérique pour les envois groupés.
Marie-Pierre : Attention, c’est une expérience de pensée que l’on ne peut pas prendre dans toute son ampleur. Parce que sans internet, sans pétrole, on aurait sûrement plus à faire à planter nos carottes qu’à éditer Silence... C’est très difficile de n’envisager la société que sous un seul critère, qu’elle se retire d’internet... pourquoi ? C’est plus vaste que ça ! Le contexte serait complètement autre...
Michel : Ou alors, un gouvernement écolo-facho est passé et a décidé qu’internet était un gaspillage honteux. Après avoir supprimé les avions, ils ont regardé le deuxième secteur dont la consommation d’énergie est en plus forte croissance : internet.
Guillaume : C’est vrai que c’est différent, Silence pouvait bien fonctionner à une époque sans internet parce que tout le monde travaillait comme ça… Aujourd’hui, c’est beaucoup plus compliqué d’arrêter d’utiliser internet alors que tout le monde fonctionne avec.

Et le site de Silence ?

Claire : Si l’on supprime le formulaire de contact sur le site internet, je crains qu’on perde un peu d’abonnés… il faudra nous téléphoner ou nous écrire pour passer un message… Il y en aura que cela énervera au point de ne pas renouveler leur abonnement !
Michel : Le paiement en ligne, c’est 10 % de chiffre d’affaires en moins ! Ce sera un coup dur pour la revue ! Jusqu’où veut-on aller pour un numéro sans internet ? Il faut essayer d’arrêter d’utiliser internet pour la rédaction mais pas pour la gestion. Le site sera simplement un peu en stand-by. On n’enverra pas de Siberlettre…

Et si on se parlait ?

Michel : Il faut parler de comment on fonctionne en interne, entre les membres de l’association... Pour être au CA de Silence maintenant, il faut avoir un courriel ! Et le consulter !
Sans internet, quand on aura besoin de fixer une réunion intermédiaire, il faudra prendre le téléphone et s’appeler les uns les autres. Dix coups de fil sont plus marquants, plus efficaces qu’un courriel envoyé à dix personnes !
Béatrice : Entre salarié-e-s, on est dans la même pièce et on s’envoie des courriels très souvent ! Comme ça l’autre est disponible pour lire le message quand il veut, quand il peut... Cela permet de créer un décalage dans le temps. Pour se passer d’internet, on pourra faire chacun des listes de choses à traiter, et prendre un temps de discussion tous les jours.
Guillaume : On essayera de s’échanger les documents autrement, pour la rédaction j’irai voir Michel deux fois par jour à son bureau avec ma clé USB au lieu de lui envoyer des courriels.
Michel : On enverra la maquette à Damien (4) par la poste, on faisait comme ça avant. Quand on était en retard pour l’envoi de la maquette à l’imprimeur, cela m’est arrivé deux, trois fois de prendre le train, de donner rendez-vous à l’imprimeur à la gare et de la lui donner en mains propres... Lasserpe peut nous envoyer ses dessins par CD.

La bonne vieille Poste…

Guillaume : Finalement, on décide de ne pas toucher à la gestion, à la comptabilité et autres questions administratives, mais ce sera la rédaction qui se bridera volontairement.
Je ne veux pas me lancer si ça me donne deux fois plus de boulot ! Quelque part cela peut alléger le travail, car cela donne moins de recherches sur internet à faire, mais il faudra se creuser la tête pour voir comment avoir des infos... C’est un numéro qui nécessitera d’être beaucoup anticipé... Comment marcherait un numéro sans internet avec les auteurs ? On leur demande qu’ils envoient leur article sur un CD ou une clé USB ?
Marie-Pierre : En terme d’énergie, lequel est le moins consommateur ? Entre envoyer un courriel et envoyer un CD par la poste ?
Michel : Et pour les images ? Aujourd’hui nous avons trois sources pour récolter des images : celles qu’on produit lors de nos déplacements, celle que l’on demande aux gens que l’on interviewe, qui écrivent des articles pour nous — ils les envoient à 99 % par courriel ou on les télécharge sur leur site. La dernière source, les images que l’on n’a pas, on les cherche sur internet.
Sans illustration, on pénaliserait vraiment le journal. Alors avant de partir en vacances, je pourrais stocker le plus grand nombre d’images possibles !
Tous : C’est de la triche !

Vérifier l’information

Marie-Pierre : On peut trouver des brèves dans les quotidiens.
Michel : On écrira : « Les infos que vous lisez ici on été recopiées et non vérifiées » ? Pour vérifier les brèves que l’on trouve ou reçoit, on tape l’information sur internet, on croise les sources, etc. Si l’on supprime la vérification sur internet, on sera obligé de faire confiance aux gens qui nous les envoient.
Claire : C’est vraiment dur de trouver la source sans internet ?
Guillaume : Il faudrait appeler les pilotes de rubriques qui sont nos experts sur chaque sujet…
Michel : … et qui vont aller vérifier sur internet !
Béatrice : Et ce n’est pas parce que c’est sur internet que c’est fiable ! C’est une fabrique des croyances !
Michel : Au contraire c’est même pire, les sites se recopient entre eux. Il est impossible d’arrêter une fausse info. Par exemple, les incredible edibles, cela a même fait un article dans Le Point alors que l’info de départ est faussement enthousiaste ! La ville citée en exemple n’est pas autosuffisante ! (5)
Et ce sera dur de faire les brèves sur l’accident de Fukushima ! Actuellement, je reçois quotidiennement des infos par des listes sur internet. Par la presse papier, on aura seulement les deux infos parues dans Le Monde.
Guillaume : On se dit qu’à partir de maintenant, toutes les brèves qu’on ne reçoit pas par internet, et qu’on peut passer dans ce numéro, il ne faudra pas les vérifier sur internet !
Michel : Les brèves ne passent pas forcément dans le numéro suivant. Je ne sais pas à l’avance quelles sont les brèves pour décembre... Cela veut-il dire qu’à partir de maintenant, j’arrête toute vérification sur internet ?
Guillaume et Marie-Pierre : On peut dire qu’à partir de fin août, pour les brèves qui n’ont pas de caractère d’urgence, nous ne les vérifierons pas sur internet, mais autrement.
Béatrice : Je serais pour tenter l’expérience au maximum, même si je suis consciente que cela risque d’être pénible au niveau rédaction, et du coup, c’est à nous tous de réfléchir comment se partager le surcroît de travail, éventuellement sur un mois. C’est ensemble qu’on s’en sortira !

Propos mis en forme par Gaëlle Ronsin

(1) En 2008, Silence a connu une crise liée à une forte baisse des abonnements.
(2) Silence échange un abonnement gratuit avec plus de 120 titres de presse écrite alternative.
(3) Avec qui Silence a copublié le livre L’Ecologie en 600 dates.
(4) Damien est le maquettiste de Silence.
(5) Voir Silence no 403, p. 29


Consignes adoptées pour faire ce numéro sans internet :

• Les salariés sont autorisés à ouvrir leurs boîtes courriel mais ils ne doivent pas répondre aux courriels qui concernent le numéro de décembre.
• En interne, il faut utiliser des clés USB ou le réseau intranet et réduire notre consommation d’internet au maximum.
• Il faut envoyer les articles au comité de rédaction, aux correcteurs, aux pilotes de rubrique, en avance, par la poste.
• Il n’y aura pas de Siberlettre en novembre (elle aurait annoncé le numéro de décembre)
• Les sites internet et les adresses courriels sur les encarts ne seront pas publiés.
• On utilisera notre banque d’images pour trouver des illustrations ou on les demandera par courrier.
• Sur notre site, on écrira un message à côté du formulaire de contact en invitant les gens à participer à l’expérience ET en leur demandant nous donner leurs infos par téléphone ou par la poste.
• Un cahier sera mis en place pour noter les difficultés rencontrées, les triches éventuelles, les astuces trouvées… de quoi alimenter le dernier article du dossier, article qui sera réalisé au dernier moment.

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