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Sans internet : mais comment on faisait ?

Michel Bernard

Il est devenu tellement automatique de passer par internet pour chercher ou vérifier une information, pour communiquer avec quelqu’un, pour faire circuler des comptes rendus, échanger des images, et même téléphoner… que l’on peut se demander comment on faisait avant.

Mais avant, c’était quand ? Il y a tout au plus une dizaine d’années ! Cela paraît lointain… mais cela signifie quand même que nous avons réalisé la revue Silence pendant une vingtaine d’années sans internet (1) !
Les lecteurs et lectrices nous envoyaient des informations sur du papier (aujourd’hui, ce n’est plus le cas que pour la moitié des annonces et quelques courriers). Les associations, souvent équipées d’ordinateurs, nous envoyaient plutôt des disquettes (et plus tard des CD).
Nous écrivions nos articles sur ordinateur — cela n’a pas changé — mais lorsque nous voulions trouver une information, il nous fallait, au plus simple, vérifier dans notre documentation, un peu plus compliqué, téléphoner à une personne ressource ou, encore plus compliqué, se déplacer dans une bibliothèque. Les brèves étaient en grande partie réalisées à partir des revues alternatives que nous recevions. Certaines informations passaient au conditionnel, et nous indiquions la source quand nous n’avions pas réussi à en vérifier la validité (2).
Pour parler aux gens, le téléphone permettait le contact le plus rapide. Si parfois nous enregistrions des entretiens téléphoniques, nous envoyions aussi des questions par le courrier postal… et, comme c’est encore le cas pour les reportages aujourd’hui, nous nous déplacions pour rencontrer physiquement les gens et visiter les lieux alternatifs.
Nous n’étions pas inscrits sur des listes informatiques d’information comme aujourd’hui (3). C’était principalement nos implications militantes qui nous permettaient d’avoir des informations de première main. De fait, nous avions le cul moins collé sur un fauteuil et nos yeux regardaient autre chose qu’un écran.
Pour demander un livre en service de presse à un éditeur, nous devions lui envoyer un courrier et, pour trouver son adresse (il y a des milliers d’éditeurs), nous disposions d’une base de données : 36 15 electre consultable… sur Minitel (4).
Les illustrations, dessins et photos nous parvenaient sur du papier. Il fallait ensuite les scanner pour les incorporer à une maquette.
Les correcteurs recevaient les brouillons par le courrier, corrigeaient sur papier et nous devions ensuite reporter les corrections sur la maquette… alors qu’aujourd’hui, nos correctrices et correcteurs sont éparpillés un peu partout en France et corrigent directement dans les textes à distance. Seule une correctrice lyonnaise vient sur place le jour de la clôture pour corriger — à l’ancienne — les derniers textes.

Se passer d’internet ?

On parle beaucoup des « nouveaux militants », mais ce qui a vraiment changé, c’est le mode de communication. Avant, une difficulté, pour l’activiste, était de faire connaître son action. Aujourd’hui, il a un site, un blog, il met des vidéos en ligne (5) et c’est le journaliste qui prend l’habitude de regarder régulièrement ce qu’il fait. Avant, sans communiqué, téléphone, compte-rendu ni visite aux journalistes, l’activiste n’était pas visible.
Le premier contact de Silence avec internet remonte au début des années 1990. Un ami, qui tenait alors une agence de presse alternative internationale, nous a proposé de publier sur internet le sommaire de la revue. Comme je ne savais pas ce qu’était internet, je lui ai alors demandé qui lirait cela… Il m’a répondu qu’aux Etats-Unis, c’était déjà d’usage courant, et il a vérifié combien de lecteurs cela nous permettrait de toucher en France. Après une recherche d’un informaticien, nous avons alors appris que seuls huit ordinateurs étaient connectés en France… dont celui de Greenpeace.
Jusqu’en 2008, Silence n’avait investi que modérément sur internet : un site-vitrine et l’usage en interne des courriels. Au fil des ans, nous percevions un « retard » de plus en plus important pour suivre une info qui nous échappait de plus en plus via internet. La crise financière de 2007-2008 a été en partie résolue par un gros débat sur notre relation avec internet : non seulement, nous nous devions d’être visibles, mais nous ne pouvions pas continuer à diffuser une information anciennement rare et maintenant facilement disponible sur la toile. Cela a donné naissance à un site plus dynamique, et surtout à un changement important dans le contenu : des entretiens, des reportages, des chroniques pour s’assurer d’apporter des informations qui ne circulent pas déjà… et une part moindre pour l’agenda et les brèves, celles-ci étant au tant que possible travaillées pour apporter des réflexions à partir d’une information souvent déjà publique depuis longtemps.
2008 a aussi marqué le développement de services financiers par internet : commandes en ligne (10 % de notre chiffre d’affaires aujourd’hui) et relations avec la banque pour les virements automatiques (un abonné sur cinq).
Globalement, l’équipe de Silence n’utilise pas le téléphone portable (voir notre no 393) : il est facile de s’en passer… Mais internet ? L’expérience nous fait penser que cela ne poserait sans doute guère de problèmes si internet s’arrêtait pour tout le monde… mais que cela nous priverait de moyens de communication si nous étions les seuls à nous en passer.

Michel Bernard

(1) Encore plus incroyable : pendant nos quatre premières années, nous n’avions même pas d’ordinateur : on utilisait une machine à écrire, on réduisait les textes à la photocopieuse, on maquettait en les collant sur du papier, on collait les dessins et on laissait de la place pour les photos, qui étaient mises en place chez l’imprimeur ; puis on réalisait les titres et les intertitres avec des lettres autocollantes de différents formats et de différents styles… ce qui, rien que pour cette dernière opération, prenait la bagatelle de huit heures pour une personne un peu entraînée !
(2) Aujourd’hui, au moindre doute, nous vérifions sur internet, mais pas sur Wikipedia, site faussement participatif, en réalité contrôlé par les services de communication des multinationales qui veillent à ce que tout soit conforme à leur image.
(3) En s’inscrivant sur des listes « OGM », « Fukushima » ou « gaz de schiste » on peut maintenant suivre sans difficulté l’essentiel de l’actualité autour de ces mots… à condition d’avoir le temps de lire l’avalanche de courriels que cela provoque.
(4) Son fonctionnement a été seulement arrêté pendant l’été 2012.
(5) Grâce aussi à l’arrivée du numérique dans le domaine de la photo et de la caméra… et maintenant du téléphone portable.

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