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Les compostiers : pour rendre la ville fertile

Gaëlle Ronsin, Guillaume Gamblin

Mettre en place des composteurs collectifs en ville permet de réduire la marée de déchets organiques que nous produisons. A Lyon, une association encourage et accompagne la mise en place de tels systèmes de recyclage autonomes et écologiques.

La production de déchets par personne en France a triplé en 50 ans et atteignait 530 kilos en 2006. Les déchets organiques représentent jusqu’à 30% de cet ensemble. A Lyon, c’est près de 120 000 (*) tonnes de déchets annuels qui pourraient être recyclés si l’ensemble des déchets organiques étaient compostés. Il y a donc une grande marge de manoeuvre pour développer la pratique du compost en ville. C’est de ce constat que sont nés Les Compostiers.

« Personne n’y connaissait rien »

En 2009, quelques personnes cherchent à développer à Lyon une pratique du compost collectif pour faire bouger les pouvoirs publics sur la gestion des déchets. Ils rencontrent Bastien et Mathieu, deux jeunes qui ont suivi une journée d’initiation au compostage à Chambery et qui cherchent à créer leurs emplois dans ce domaine. A l’issue d’une première réunion publique un groupe se constitue pour impulser la dynamique. L’association Brin d’Guill’(1) leur propose un premier terrain d’expérimentation situé dans le 7° arrondissement de Lyon.
A ce moment là, « personne n’y connaissait rien », avoue Mathieu, aujourd’hui « maître composteur » salarié. Le compost de quartier est alors accessible sans interruption grâce à un système de trappe, et chaque semaine un rendez-vous permet de se rencontrer et de se former ensemble. Au départ le projet est très modeste, puis au fil des mois des habitant-e-s s’impliquent (120 foyers actuellement), deux bars et une épicerie déposent leurs épluchures. Mais les usagers restent encore, à ce stade, relativement passifs dans la gestion du compost.
Ils font une première demande de subvention et au bout d’un an, en 2010, l’association Les Compostiers embauche ses deux premiers salariés, Bastien et Mathieu. Ils ont pour mission d’essaimer cette première expérience ailleurs dans l’agglomération. Ils sont rejoints un an plus tard par Delphine, chargée de la gestion administrative et de la coordination des activités.

Accompagner des composts d’immeuble et de quartier

Le plus gros de l’activité de l’association consiste dans la mise en place et l’accompagnement de composts collectifs. Ces derniers peuvent être de deux types : de quartier ou d’immeuble. Une petite dizaine de composts en pied d’immeuble ont été installés. Ils concernent uniquement les résidents d’un site, et sont implantés dans la cour de l’immeuble. Six composts de quartier existent actuellement, ils sont ouverts plus largement aux habitant-e-s d’un quartier. Certaines personnes très motivées viennent de loin pour y déposer leurs déchets verts !
L’amendement issu du compost, quant à lui, est récupéré par les habitant-e-s pour être réutilisé sur le site, dans les espaces verts de l’immeuble ou pour les jardinières des balcons.(2) Le travail des Compostiers s’effectue en plusieurs étapes, à partir de la demande des habitante- s d’un lieu. Une phase de concertation regroupe les personnes intéressées, les propriétaires du lieu ainsi que l’ensemble des parties prenantes. Il y a une phase de questions-réponses (les craintes sur l’odeur, l’arrivée des rats, etc.). On discute du lieu d’implantation, jusqu’à arriver à un accord. Puis vient la journée de construction du composteur, à base de matériaux simples ou de récupération. Ce chantier participatif est l’occasion d’une première formation au processus de compostage. Enfin, les deux salariés maîtres composteurs accompagnent l’équipe du site durant la durée d’un cycle de compostage, qui dure environ 8 à 9 mois. Ce cycle est le processus au cours duquel les déchets organiques se transforment en humus à travers le processus de fermentation activé par des bactéries, des champignons et une activité microbiologique, dans des conditions contrôlées.
Durant ce premier cycle, ils viennent une fois par mois et répondent aux questions, aident à gérer le compost. Et ils mettent en place des formations pour permettre aux référent-e-s de chaque site chargé-e-s de piloter le bon déroulement des opérations d’avancer dans la maîtrise de leurs usages.

Autonomie et effet d’entraînement

L’objectif des Compostiers est que les habitant- e-s ne soient pas simplement des usagers, comme ils le sont de la gestion des poubelles, mais qu’ils s’approprient la gestion de leur compost. Qu’ils deviennent le plus possible autonomes. « Nous n’avons pas vocation à être gestionnaires de site ». L’expérience montre que si le projet de compost collectif vient d’en haut, comme cela a été le cas d’une régie d’immeubles à Villeurbanne, il a moins de chances de motiver les habitant-e-s et encore moins de les rendre autonomes. Partir d’en bas, d’une volonté des habitant-e-s, est donc la démarche choisie pour avancer.
La mise en place d’un compost peut avoir un effet d’entraînement : ainsi dans la commune de Francheville, dans une grosse copropriété de 300 habitant-e-s, 30 étaient d’accord pour lancer un compost. Mais une fois installé, ce sont 80 foyers qui en sont devenus les usagers.

Quelles sont les difficultés rencontrées ?

« L’accès au foncier pour les composts de quartier », répond Delphine. Il n’est pas évident de trouver du terrain à cause de la pression foncière et du manque d’espaces verts dans certains quartiers. « La pérennité des sites »… Quand des personnes très actives dans un projet déménagent, celui-ci peut être fragilisé.
Pas facile non plus de trouver des matières carbonées(3) telles que du broyat issu de l’élagage des arbres. Les services Espaces Verts de la ville de Lyon utilisant le broyat pour le paillage de ses parcs, un partenariat n’a pas pu être noué avec lui. Ils utilisent donc le broyat de paysagistes privés, ou la sciure issue d’ébénisteries et de menuiseries. Une autre limite est le financement de l’association. Deux salariés travaillent à temps partiel choisi (24 heures) et une à temps plein, et il y a une égalité salariale en taux horaire. Mais presque 100% du budget vient de subventions, principalement du Grand Lyon et de la région Rhône-Alpes(4). Une situation problématique pour l’indépendance de l’association et sa capacité à critiquer et à faire pression.

Multiplier les composts en ville ?

L’activité des Compostiers se développe lentement. En 2011, ils regroupaient 325 foyers participants et 40 tonnes de déchets détournées. En 2012, ils estiment qu’il y a 425 foyers participants et 53 tonnes de déchets détournés. Trois nouveaux sites de compostage collectif sont prévus à l’automne 2012. La marge de développement de ce moyen simple et écologique de réduire les déchets urbains est proprement gigantesque… mais la volonté de la ville reste très faible. Certes, le Grand Lyon souhaite financer une formation de son personnel afin qu’il y ait un référent compost par commune. Mais l’agglomération n’a qu’un objectif de quatre à huit nouveaux compost collectifs par an. Elle prévoit une diminution de 7% de son volume de déchets d’ici 2014… et le compost est l’aspect le plus visible par la population. De là à ce que cela serve de faire-valoir à la municipalité, il n’y a qu’un pas.
Pour le moment, les Compostiers ont ouvert une brèche dans la politique de gestion des déchets, qui ne tient qu’à s’élargir. Ils sont autant présents dans des quartiers populaires que plus riches. Ils étudient les opportunités de développer des composts avec des restaurateurs, et travaillent en lien avec le Réseau Compost Citoyen, qui regroupe des projets dans de nombreuses villes. Et vous, un petit compost près de chez vous, ça vous tente ? Gaëlle Ronsin et Guillaume Gamblin


Le compost, vu du quartier
Un lundi de fin août, 19h, devant le compost de quartier de la rue Cluzan, sur les pentes de la Croix-Rousse à Lyon. Plusieurs personnes attendent, seaux à choucroute ou sacs en plastique à la main, l’ouverture de la porte du site de compostage par le bénévole inscrit ce jour-là. Une odeur caractéristique se dégage de cet attroupement. Plusieurs ont découvert ce compost car, habitants du quartier, ils passaient devant le site. Un autre en a entendu parler par une voisine usagère. Il y a des jeunes et des têtes grises. Pour une femme, le compost est l’occasion de montrer à ses deux filles comment fonctionne le cycle organique des déchets. On râle pas mal. Certains se sentent infantilisés par des horaires d’ouverture stricts (une heure deux soirs par semaine). Des personnes aimeraient que les bacs de compostage soient accessibles comme tout autre bac à verre géré par la municipalité. A l’encontre de la volonté de l’association des Compostiers d’autonomiser la gestion de chaque compost par les habitant-e-s du quartier, ils rêvent d’une gestion et d’un service municipal, sans la participation des habitant-e-s. D’autres débattent : le site de compostage commence à être plein, faut-il cesser de communiquer dans le quartier à son sujet, ou au contraire amener le plus de gens possibles à y participer et obliger ainsi la mairie à en créer un autre ? Certains se sont inscrits et tiennent des permanences quelques fois par an, d’autres refusent de s’inscrire car ils estiment que composter leurs déchets est un droit. Sans se rendre compte que le système ne marche pour le moment que si chacun-e participe à sa gestion. A peu près personne ne sait qui gère le compostage qu’ils utilisent : régie de quartier ? municipalité ? L’association les Compostiers ? Cela reste flou.
Comme pour les paniers de légumes locaux, n’y aurait-il pas la place pour deux niveaux d’engagement : un compost autogéré et impliquant pour les plus militants, un service de bacs municipaux en libre accès pour les autres, qui ne veulent pas prendre en charge la gestion de leurs déchets ? A quelles conditions un compost ouvert sans contraintes est-il possible, sachant la marge d’erreur existant dans le tri des déchets ? G.R. et G.G.

(1) Brin d’Guill, 36, rue de la Thibaudière, 69007 Lyon, tél : 04 37 27 08 15, www.brindguill.org.
(2) Une réglementation interdit en effet de sortir le produit du compost du site s’il n’est pas « normalisé », ce qui nécessite des analyses trop coûteuses pour être réalisées. Ces normes devraient être réservées aux sites industriels, estime Mathieu.
(3) On l’ajoute à la matière organique pour compenser l’abondance de matières azotées.
(4) Les mairies et régies investissent également dans la construction et l’accompagnement des composts collectifs, à hauteur de 10 % du budget total.

Quel compost choisir ?
Les Compostiers peuvent également aider des personnes souhaitant mettre en place un lombricomposteur individuel.
Compost individuel, de quartier ou d’immeuble, que privilégier ? « Le mix des deux est une bonne chose. Le mieux est que chacun-e fasse ce qu’il sent le mieux. Et aussi ce qu’il peut réaliser selon sa situation (copropriété, etc.). Le pied d’immeuble demande moins de technique et d’investissement que le compost de quartier. Le lombricompostage est plus subtil à mettre en place. »

■■ Les Compostiers, c/o Locaux
Motiv’, 10 bis rue Jangot, 69007
Lyon, Tel. : 07 60 04 13 77,
www.lescompostiers.org.
■■ Réseau Compost Citoyen :
http://reseaucompost.blogspot.fr/.

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