Dossier Jai Jagat Paix et non-violence

Une marche non-violente pour la terre et la dignité

Altaï de Saint Albin

Le 2 octobre 2012, journée internationale de la non-violence, débute Jan Satyagraha, une marche non-violente de 100 000 personnes entre Gwalior et Delhi (350 km). Les marcheurs seront des sans-terres et de petits agriculteurs, issus pour beaucoup des communautés tribales (Adivasis) et intouchables (Dalits).

S’ils entreprennent cette longue marche, qui signifie pour eux quitter leur village pour un mois, dormir sur la route et se contenter d’un repas par jour, c’est qu’ils n’ont pas grand-chose à perdre : ces gens sont les premières victimes du « développement » de l’Inde, qui amène la croissance économique et enrichit quelques personnes, mais en plonge des millions d’autres dans la misère.

Les « développeurs » chassent les paysans de leurs terres

Environ 70 % de la population indienne habite en milieu rural et vit en majorité de l’agriculture. Les ressources naturelles, notamment la terre, l’eau et la forêt, constituent donc des ressources indispensables pour plusieurs centaines de millions de personnes. Mais à l’heure de l’industrialisation et de la mondialisation, ces richesses attirent les investisseurs publics et privés qui exploitent les minerais, construisent des barrages, installent des usines, développent le tourisme, vendent des semences OGM, etc. En raison de ces activités, les populations locales sont souvent expulsées de leurs terres, sans compensation, ou avec des compensations si faibles qu’il leur est impossible d’acheter des terres ailleurs. Le nombre de déplacés en raison de barrages, mines, industries et parcs nationaux est évalué à 21,3 millions de personnes. Ceux qui restent aux alentours des projets voient les ressources qu’ils utilisaient auparavant accaparées ou polluées, ce qui a un impact direct sur leurs moyens de subsistance. Les conséquences sont multiples : migration des populations rurales, qui viennent grossir les bidonvilles, suicides d’agriculteurs (plus de 250 000 ces 15 dernières années, souvent attribués au surendettement dû aux semences OGM chères et qui ne tiennent pas leurs promesses de rendement), accroissement de la violence, notamment par l’expansion des groupes tels que les naxalites (groupes armés révolutionnaires surtout présents dans les Etats du Chhattisgarh, du Jharkhand et de l’Orissa).

La résistance s’organise

Si les conséquences tragiques de ce modèle de développement sont connues, il continue pourtant d’être promu, appliqué et même étendu. Cependant, la résistance s’organise. En Inde, de nombreux mouvements s’opposent à l’Etat et aux multinationales qui accaparent les terres et les ressources du peuple. L’un de ces mouvements est Ekta Parishad, « la voie de l’unité » en hindi. Mouvement social populaire, appliquant la non-violence active, Ekta Parishad lutte pour l’accès à la terre et aux ressources naturelles des populations pauvres et marginalisées du pays. Fondé il y a plus de 20 ans par le leader gandhien Rajagopal P.V., le mouvement agit à plusieurs niveaux : par la formation au leadership et à la non-violence d’acteurs locaux, qui peuvent ensuite organiser leur communauté afin de faire respecter leurs droits, et par l’organisation d’actions nationales et de plaidoyers afin de pousser le gouvernement à adopter et appliquer les lois en faveur des plus pauvres. Les moyens d’actions sont directement inspirés de ceux de Gandhi : marches, rassemblements, sit-in, non-coopération, etc.

Une marche d’une ampleur inédite

La marche Jan Satyagraha (« la force de la vérité du peuple »), en octobre 2012, est la plus grande action entreprise par Ekta Parishad à ce jour. En octobre 2007, une marche similaire avait eu lieu entre Gwalior et Delhi, réunissant 25 000 marcheurs et s’appelant Janadesh, (« le verdict du peuple »). Au terme de 25 jours de marches, les participants étaient arrivés à Delhi, où le gouvernement avait finalement accepté les demandes, notamment la création d’un comité national pour la réforme agraire, chargé de faire des recommandations, et d’un conseil national, chargé d’appliquer celles-ci. Le comité a bien formulé des recommandations, mais le conseil, présidé par le Premier ministre de l’Inde Manmohan Singh, ne s’est pas réuni une seule fois en 5 ans ! A l’issue de Janadesh, Ekta Parishad avait pourtant prévenu le gouvernement que, s’il ne tenait pas ses promesses, les gens marcheraient de nouveau, et seraient encore plus nombreux… Ils seront donc 100 000 pour la marche Jan Satyagraha 2012.
La préparation de cette marche a commencé dès 2009 : les travailleurs sociaux (1) mobilisent les villageois, collectent les données sur leur situation et les demandes à formuler auprès du gouvernement. Dans les villages, les futurs marcheurs mettent de côté une roupie par jour pour se rendre à la marche et une poignée de riz par jour et par marcheur, pour que leur famille ait de quoi se nourrir en leur absence. L’équipe nationale d’Ekta Parishad, soutenue par ses nombreux partenaires internationaux, s’occupe de la mobilisation internationale, du plaidoyer et de la logistique. Le 2 octobre 2011, une grande action de mobilisation a commencé : la Jan Samwad Yatra. Il s’agit d’un voyage d’un an d’une équipe d’Ekta Parishad emmenée par Rajagopal. A travers l’Inde, ils vont de villes en villages pour rencontrer les personnes qui luttent pour mener une vie digne. Ici, c’est un village qui conteste la construction d’un barrage qui inonderait sa terre, là une communauté qui refuse la mise en route d’une centrale nucléaire, ou encore des sans-terres qui réclament l’application des lois qui leur permettraient d’obtenir des titres de propriété pour un lopin de terre, et ainsi envisager le futur avec sérénité. Les situations sont diverses, les contextes différents d’un Etat à l’autre, mais partout les voyageurs voient des hommes et des femmes debout, non-violents et déterminés à faire valoir leurs droits. Sensibles aux messages d’Ekta Parishad, qui appelle à s’unir pour mener une lutte non-violente commune, les communautés rencontrées au cours de la Jan Samwad Yatra comptent bien participer à la marche d’octobre.

Des effets positifs

Il est difficile de prévoir la réaction du gouvernement à cette marche, et donc l’impact concret qu’elle pourrait avoir sur le modèle de développement qu’il promeut. Jusqu’à maintenant, le gouvernement hésite entre le dialogue et la confrontation. Pourtant, avant même d’avoir eu lieu, la marche à déjà des effets positifs : sa préparation contribue à promouvoir la non-violence et à redonner aux populations pauvres et marginalisées le pouvoir d’agir sur leurs conditions de vie, deux composantes essentielles pour un changement durable de la société. Jan Satyagraha a aussi des conséquences au niveau international : elle met sur le devant de la scène la condition paysanne et le phénomène d’accaparement des terres, qui est loin de ne toucher que l’Inde, et provoque un formidable élan de solidarité : de multiples actions de soutien sont prévues, notamment en Europe mais pas seulement, qui répondent à l’appel de Rajagopal : « Mondialisons la solidarité ! »

Altaï de Saint Albin
Ekta Parishad

(1) Les « travailleurs sociaux » (« social workers » ou « social activists ») sont des activistes qui travaillent dans les villages, soit directement pour Ekta Parishad, soit pour une organisation partenaire. Ils sont payés par l’organisation, mais leur salaire est très faible (il s’agirait plus de volontariat que de salariat).

Pour en savoir plus : www.ektaparishad.com ou www.jansatyagraha.org. En Europe : www.ektaeurope.org . Retrouvez sur ce site les mouvements de solidarité à travers le monde en soutien à la marche Jan Satyagraha. Plusieurs actions sont prévues en France, organisées notamment par Alter Eco, Gandhi International, le MAN, Peuples solidaires, Solidarité…

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