Dossier Espace public Femmes, hommes, etc. Société

Quand les féministes prennent la rue

C’était le 26 novembre 2011 : le départ avait été fixé place du Pont, à la Guillotière (Lyon). La dernière marche de nuit non-mixte à Lyon datait de 1999.

Venue_es d’horizons divers (1) (mais avec une grande majorité de blanc_hes quand même), meufs, gouines, trans mais pas que (2), pauvres aussi, chômeur_ses, travailleur_ses, féministes, en baskets, en jupe, en salopette, en hijab, avec une casquette, nous étions trois cent réuni_es avec en tête et en fin de cortège ces banderoles : « fières, solidaires et en colère », « meufs, gouines, trans, libres de nos existences ».

L’espace public n’appartient pas aux hommes

La marche avait pour objectif la réappropriation de l’espace urbain, de jour comme de nuit, et la dénonciation des violences sexistes. Dénoncer les violences sexistes, cela n’implique pas pour autant d’entrer dans le discours victimaire ni de suivre au pas cadencé les envolées des pratiques sécuritaires, autant de manières par lesquelles s’exerce le contrôle social. C’est en marquant notre présence dans les rues par le nombre, les tracts, les pancartes, les chansons et les slogans que nous avons choisi de signifier que l’espace public est notre espace aussi, et pas seulement celui des hommes, des pères, des amants, des maris, des flics et des amis.
Petit échantillon d’agressions verbales pouvant être collectées dans la rue au quotidien : « Pardon mademoiselle, vous êtes seule ? », « C’est il ou elle ? », « Tu suces, salope ? », « Sale gouine ! » Entre ce type de violences sexistes et celles qui s’exercent dans les autres espaces de l’existence, la vie familiale, amicale, professionnelle, pas de rupture mais un continuum. Faut-il le rappeler ? Les violences sexistes ne commencent pas avec les violences physiques et ne se résument pas aux violences faites aux femmes : les violences sexistes sont les violences qui s’appuient sur le genre comme rapport social (3).

Dans la rue, tout le monde est légitime

La marche de nuit de novembre a donc visé à affirmer la légitimité de notre présence et de nos usages de la rue, tel_les que nous sommes, à dénoncer les violences sexistes mais pas seulement. Les agressions issues d’un système sexiste ne sont pas les seules, en effet, auxquelles nous sommes confronté_es : xénophobie, homophobie, transphobie, islamophobie, handiphobie, entre autres, se conjuguent avec exploitation domestique, harcèlement au travail et éviction des postes à responsabilité, stigmatisation et répression du travail du sexe, dégradation des conditions d’avortement, etc.
Nous avons donc marché pour dénoncer, et pour affirmer notre résistance à un système hétérosexiste binaire, raciste, classiste et capitaliste (la liste n’étant malheureusement pas exhaustive). Occuper la rue, c’est occuper un espace renvoyant symboliquement au politique et c’est l’une des manières par lesquelles nous nous constituons sujets politiques actifs contre les logiques visant à faire de nous des objets : objets d’agressions, objets de politiques publiques de gestion, objets de discriminations, objets de dominations. Prendre la rue, c’est dire que l’on prend part au politique, qu’on agit et qu’on en est, que nous sommes mobilisé_es pour la reconnaissance de nos existences, et plus largement contre toutes les formes d’exclusion, d’assignation, d’instrumentalisation, de précarisation, de stigmatisation et de constitution de groupes de personnes comme indésirables.

Des féministes à la rue

(1) La règle de grammaire française qui implique que « le masculin l’emporte sur le féminin » est une application du système hétérosexiste : invisibilisation et assignation des meufs, gouines, trans à une place de dominé_e. Nous pratiquons donc la féminisation des écrits.

(2) Nous positionner comme des meufs, des gouines et des trans, c’est une manière de nous réapproprier des façons de nous nommer qui sont historiquement des insultes, des manières de nous catégoriser pour nous disqualifier.

(3) Le « genre » est un concept qui renvoie au rapport social divisant l’humanité en deux classes liées par un principe hiérarchique. D’un côté il créé les hommes, de l’autre les femmes ; entre les deux, des rapports de pouvoir structurés en faveur des premiers et qui se traduisent par une répartition inégale des biens matériels et symboliques.

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