Dossier Espace public Société

Quand la pédagogie sociale transforme l’espace public

Khaled Gaiji

L’association Intermèdes Robinson réinvestit les espaces délaissés (espaces publics interstitiels et friches périurbaines) de la ville par des activités de convivialité, sociales et éducatives. Elle est implantée dans le quartier sud de Longjumeau (91).

Ses activités peuvent être divisées en trois types : les jardins, les ateliers de rue et ceux des bidonvilles de Roms (1). Elles s’inscrivent dans la lignée de la pédagogie sociale (2) inspirée de celle de Freinet. Les notions de production et de coopération y sont très présentes.

Pourquoi faire de la pédagogie sociale ?

L’inspiration d’Intermèdes Robinson se trouve en partie dans la philosophie des milieux : Bernard Stiegler explique qu’il y a un phénomène de « prolétarisation » des espaces via un processus de perte de pouvoirs. La pédagogie sociale va permettre de reprendre en main des espaces délaissés en y retrouvant du pouvoir d’agir, de travailler, d’être et de vivre ensemble. Laurent Ott, président d’Intermèdes Robinson : « Ce qui nous marque est la désertification et l’évacuation de l’humain dans l’espace public. On veut en faire un espace de vie et de lutte contre la vision d’un espace public gentrifié, sécurisé et paysagé. Nous sommes pour un espace de vie habité, occupé et investi. On veut que ça soit un espace du public. Tout ça pour reprendre ces pouvoirs perdus. »
Le jardin est réalisé sur des friches de villes proches. « On est dans la pensée de Gilles Clément : la richesse vient de la friche et des espaces délaissés » (3). Cette logique est transposable à d’autres espaces. L’association ne fait que valoriser la richesse de l’existant. Ainsi, « pour les ateliers de rue, l’association utilise le savoir des mères pour faire à manger avec les légumes du jardin ». L’idée est de récupérer un espace délaissé qui est transformé en espace « habitable ».
« Les ateliers de rue sont le principal outil de la pédagogie sociale. » (Laurent Ott)
La logique éducative traditionnelle va enfermer les enfants dans des espaces protégés et confinés. A l’inverse, la pédagogie sociale va s’inscrire dans le milieu social des habitants d’un quartier. « Notre contact avec la réalité reste les ateliers de rue. » « On ne veut pas créer de sanctuaire, de lieu idéal, d’école merveilleuse, on s’attache à transformer notre environnement tel qu’il est, en prenant conscience de nos chaînes de nos contraintes. »
Ces ateliers sont organisés régulièrement sur les lieux de passage : au pied des immeubles, à la sortie des écoles… Les membres de l’association apportent du matériel (tapis, jeux,…), pour matérialiser l’atelier et créer le « milieu ». Ce matériel est orienté vers l’expression et la production (art, musique, jeux, cuisine, jardinage, bricolage, peinture, écriture, capoeira, fêtes,…). Le choix des activités varie selon les saisons. L’hiver, elles seront plus dynamiques et l’été, plus statiques. Régulièrement, lors d’assemblées de quartiers, les enfants décident collectivement des prochains ateliers et échangent entre eux.
A mettre en loupe : Régulièrement, lors d’assemblées de quartiers, les enfants décident collectivement des prochains ateliers et échangent entre eux.
Résultat à plus long terme 
Les enfants reviennent souvent sur les lieux des ateliers. « Ces lieux vivent encore. » Des groupes se créent, et le lien social avec. Ainsi, un enfant de 12 ans fait partie du C. A. de l’association et a créée un groupe de Batucada. Et les quartiers dits « sensibles » sont moins déserts.

Khaled Gaiji

(1) Selon Laurent Ott, l’expression « bidonville non loin des villes » est plus adaptée que le mot « campement », qui donne un aspect trop nomade et pas assez « habitat ».
(2) Pour H. Radlinska, appliquer l’adjectif « social » à la pédagogie invite l’éducateur à mener son action « pour », « avec » et « à travers » le milieu dans lequel il intervient : façons de vivre, de travailler et d’éduquer ensemble, avec tous les âges et à partir de toutes les cultures, la pédagogie sociale repose sur des grands principes (inconditionnalité de l’accueil, recherche de l’autonomie) et se définit également par la production d’outils adaptés à ses activités (pratique d’assemblées, journal, correspondance, organisation du travail communautaire, etc.).
(3) Gilles Clément, Le Manifeste du Tiers-Paysage, 2003, Sujet/Objet.
(4) Laurent Ott, revue « N’Autre école », no 31.

Pour aller plus loin :
L’Enfant dans la rue, guide méthodologique pour travailleurs de rue, Groupe de pédagogie et d’animation sociale (GPAS).
Laurent Ott, Pédagogie sociale, une pédagogie pour tous les éducateurs, Chronique sociale, 2011, 112 pp.
http://assoc.intermedes.free.fr/ Local A1, Résidence des Arcades, rue Henri-Dunant, 91160 Longjumeau

Un atelier de rue vu du terrain   Tout d’abord, faire un choix d’atelier. Ce choix est à chaque fois assez aléatoire (climat ou choix des enfants). Une fois l’atelier choisi, il suffit d’en identifier les besoins matériels pour y répondre. Ce samedi d’avril comme la plupart des semaines, trois activités d’ateliers de rue ont lieu : jeu (sur tapis), Zumba (danse) et bricolage (construction d’un panneau d’affichage). Une vingtaine d’enfants sont présents sur les lieux. Ils connaissent déjà certains intervenants et inversement. Ils sont très motivés et prêts à agir en faisant quelque chose de leurs mains. La Zumba a démarré : les filles prennent d’assaut cet atelier. Certains garçons restent là à les regarder. On lit dans leur regard qu’ils ont envie d’y aller eux aussi, mais craignent les moqueries. Les jeux démarrent timidement. L’un des intervenants a entamé un jeu avec des filles présentes. Peu de temps après, un groupe les rejoint. Le tapis est bien rempli. Pour le bricolage, la prise d’initiative et la motivation des enfants pour travailler le bois, écrire les messages, sont impressionnantes. Les ateliers finis, commence un conseil de quartier. Les enfants et les animateurs s’assoient en cercle. Une fille, Kéliane, annonce à voix haute : « le conseil de quartier est ouvert ! ». Elle a un râteau (en plastique) à la main comme bâton de parole (2). Le débat entre les enfants et les animateurs commence. Une autre fille, Hajer, propose de créer un atelier réparation de vélos. Tout le monde est d’accord avec cette proposition (consensus). La discussion se poursuit sur le jardin d’Intermèdes Robinson. Quand tous les sujets ont été discutés, Kéliane crie : « le conseil de quartier est fermé ! ». C’est l’heure du goûter collectif. Les animateurs on apporté des boissons ainsi que des petits biscuits. Ryan fait le tour pour servir chacun de ses camarades. Le temps est assez frais. La pluie était aussi parfois au rendez-vous. « Qu’il pleuve ou qu’il vente, il y en a toujours au moins quelques-uns, toujours motivés », m’affirme Corentin, un des permanents. De retour au local, les animateurs (1) font le bilan (avec bâton de paroles). Une des propositions : les garçons devront montrer l’exemple et danser la Zumba pour que les plus jeunes n’aient pas peur de faire de même.

(1) L’association Intermède Robinsons comprend trois permanents, deux personnes en service civique et des bénévoles. Elle poursuit son activité grâce au soutien financier de la région (emplois aidés), du Conseil général, de la Caisse d’allocations familiales, de fondations (de France, Abbé-Pierre et Aéroports de Paris), de crédits politiques de la ville…
(2) Outil servant à réguler la parole au sein d’un groupe

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