Article Environnement Notre-Dame-des-Landes

Une zone à défendre

Bérenger C.

Le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, près de Nantes, c’est environ 2000 hectares de terres bocagères menacées et de nombreux paysans expulsés qui ont vendu au nom d’une aberration sociale et écologique. Mais c’est aussi une résistance qui passe par l’action directe d’occupation.

En 1965 le préfet de la Loire-Atlantique lance les recherches d’un lieu pour accueillir un aéroport pour les régions de la Bretagne et du Pays De La Loire. Le site actuel est choisi deux ans plus tard. Puis avec les deux crises pétrolières et la crise économique mondiale des années 70, le projet est mis de côté. Malheureusement en octobre 2000 un avis favorable du premier ministre Lionel Jospin réactualise ce projet d’aéroport international. En février 2008 une déclaration d’utilité publique est publiée dans le Journal Officiel. En juillet 2010 Vinci « gagne » l’appel d’offre de la première concession aéroportuaire à capitaux privés : à sa charge l’élaboration, la construction et l’exploitation pendant 55 ans.

Arrivée de nouveaux occupant-e-s et réappropriation collective

La lutte est d’abord celle des paysan-ne-s et habitant-e-s des communes concernées. En 1972 les paysans locaux fondent l’ADECA (1) pour défendre la terre comme outil de travail et non comme propriété foncière, c’est l’époque des paysans-travailleurs, de la lutte du Larzac. Puis en 2000 est crée l’ACIPA (2) suivi notamment en 2007 par « les habitants qui résistent ». En 2007 des membres de l’ACIPA proposent à des personnes venues de l’extérieur d’occuper une première maison sur la ZAD (3), rebaptisée Zone A Défendre, car le Conseil Général rachète des terres et des maisons via son droit de préemption (4) pour les laisser vacantes. Début août 2009 ont lieu la « Semaine de la résistance » et le Camp Action Climat (5) qui rassemblent des centaines de personnes issues de divers horizons politiques et géographiques, au cours duquel est lancé un appel à occuper la ZAD. Le premier août une nouvelle maison est squattée. En octobre débute le chantier des Planchettes, ce sera une maison d’accueil et un lieu central pour l’organisation de la vie collective des occupant-e-s. En mai 2010 six nouveaux squats sont ouverts. En avril 2011 (de nouveau en 2012) se déroule une « semaine d’échanges de savoirs » avec au programme : constructions alternatives, cueillette de plantes sauvages, ateliers vélo….
Le 7 Mai 2011, environ un millier de personnes défrichent un hectare et demi à l’appel des occupant-e-s de la ZAD et de Reclaim The Field (RTF) (6). Depuis un collectif y fait du maraîchage avec vente à prix libre et dons pour des rencontres comme le village autogéré anti-G8/G20 de juillet 2011 (suite à un appel des convergences radicales anticapitalistes), ou les « rencontres intergalactiques des luttes de l’espace » en mars 2012 (réflexion sur les formes de contrôle spatiale auxquelles s’opposent des aires de libertés et d’expérimentations).
Ces occupations illégales mais légitimes, au côté des habitants et paysans qui refusent toujours de vendre, sont l’expression claire d’un refus et la proposition ici et maintenant d’un « vivre ensemble autre ». L’action directe place la conscience morale au-dessus des lois officielles, par conséquent l’Etat maintient la pression, criminalise grâce à des médias certain-e-s opposant-e-s (figure de l’ennemi intérieur), les désolidarise de ceux qui agissent dans la légalité. Mais ce projet est comme une épée de Damoclès au dessus de la tête de tou(te)s les opposant-e-s . Aujourd’hui environ vingt lieux sont squattés, dont certains sont concernés par un avis d’expulsion.

Contre l’aéroport et son monde, expérimentation d’un mode de vie alternatif

Dans un contexte de guerre économique entre les métropoles, Jean-Marc Ayrault (député-maire de Nantes Métropoles, et président du groupe socialiste à l’assemblée nationale) a souhaité que sa ville soit, pour ne pas être un cul-de-sac, une interface attractive pour capter les différents flux mondialisés. L’aéroport serait une porte d’entrée dans l’arène internationale car il faut rayonner à tout prix. Le transfert au nord de Nantes de l’actuel aéroport, permettrait de libérer des terres proches du centre-ville, d’attirer une clientèle aisée, de niveler socialement la population urbaine par le haut (gentrification) en s’aidant de la spéculation immobilière et d’une hausse élevée des loyers pour repousser toujours plus loin ceux qui ne peuvent suivre financièrement. Pour une « belle » image certain-e-s sont désirables d’autres non. Cet aéroport HQE aura son AMAP pour ses salariés, et une « ferme de démonstration » avec tout ce qui aura été détruit à l’intérieur : Vinci sait être éco-responsable ! Face à cela les occupant-e-s luttent plus globalement contre le réchauffement climatique, la bétonisation, l’autoritarisme politique, les inégalités sociales, la destruction de la nature et de sa diversité, l’obsession de la vitesse qui atomise et pollue, le contrôle de nos vies, le capitalisme, en somme contre un modèle de société dont cet aéroport est un symptôme.
La ZAD est un espace de lutte internationale et cosmopolite où se croisent des personnes de nombreuses nationalités et de langues différentes. Certain-e-s ont posé une caravane, une yourte, un tipi, un camion, construit une cabane en haut des arbres ou une maison à base de matériaux de récup’. Une vie collective s’est recréée sur ces terres vouées à être bétonnées : on se croise souvent en vélo ou à pied sur les chemins, chez le boulanger, on se rend visite pour manger ensemble ou boire un coup. A chaque fois c’est l’occasion de papoter, de faire circuler les infos ou de demander un coup de main. On peut assister à des projections de films, participer à des débats. C’est un lieu ouvert sur l’extérieur et en contact avec d’autres luttes contre des mégaprojets tant au niveau national qu’international, notamment au nord de l’Italie dans le Val De Susa contre la ligne de TGV Lyon-Turin (7) et en Russie où Vinci construit une autoroute entre Moscou et Saint-Pétersbourg, qui doit traverser la forêt millénaire de Khimki. Et puisque la lutte ne vaut pas le coup d’être vécue si elle n’était pas joyeuse, il y a souvent la fête quelque part. On peut y trouver aussi une chèvrerie, des potagers collectifs, des free-shops (8), des bike-shops (9), un journal intitulé Lèse-béton, un bibliobus. La ZAD est un espace où action directe et organisation horizontale vont de pair : ce n’est pas facile tous les jours, c’est un travail quotidien. En 2012 les travaux pour le barreau routier débutent, il délimitera une zone à l’intérieur de laquelle se situera le futur aéroport. C’est une étape important et nécessaire, elle permet aux gros engins d’avoir un accès-chantier et ainsi commencer à préparer le terrain. La mise en service de l’aéroport est prévue pour 2017. Rien n’est joué !

Bérenger C.

(1) Association d’exploitants agricole concernés par l’aéroport.
(2) Association citoyenne intercommunale des populations concernées par le projet d’Aéroport de Notre-Dame-des-Landes.
(3) Zone d’aménagement différé (1974 -88), aujourd’hui appelée Zone de délaissement (ZDD).
(4) Droit d’acquérir un bien par priorité à toute autre personne, lorsque le propriétaire manifeste sa volonté de le vendre.
(5) Camp Action Climat : rassemblement des « résistances aux crimes climatiques par l’action directe créative et non-violente et le développement d’alternatives concrètes pour un mode de vie soutenable ici et maintenant ».
(6) Bulletin n°4 de RTF.
(7) http://notavfrance.noblogs.org/
(8) Dépôt pour la nourriture et les habits de récup’…
(9) Lieux où on peut emprunter et/ou réparer des vélos.


Pour aller plus loin

http://zad.nadir.org/ : site des occupants de la ZAD et de leur journal téléchargeable Lèse-béton.
http://nantes.indymedia.org/.
• revue Z, n°4, 176 pages, 10 €.
• Journal Nantes-Nécropoles, du comité Nantais contre le nouvel aéroport, n°1 Printemps 2011. • Bulletin de Reclaim the fields, n°3, 4 (récit de manifestation et du défrichage du Sabot le 7 mai 2011) et 5 (présentation du potager collectif du Sabot).
• Collectif SUDAV, C’est quoi c’tarmac ? Projet d’aéroport au nord de Nantes. Profits, mensonges et résistances, éditions No Pasaran, Automne 2011, 168 p, 10 €.

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