Dossier Espace public Société

Récit d’un voyage

Béranger C.

L’été dernier je suis parti, avec un ami, à la découverte d’une ville plutôt atypique qui répond au doux nom de Songô. Nous en avions entendu parler par hasard un jour de printemps. A ce moment nous souhaitions justement expérimenter d’autres modes de vie.

Nous sommes arrivés un soir par le train à petite vitesse, au moment où les derniers rayons du soleil éclairaient le vallon au creux duquel se situe la ville. La gare étant à l’écart du centre-ville, nous avons pris place gratuitement dans une calèche. Il n’y a aucun véhicule motorisé, exception faite des services d’urgence tels que les pompiers. Les habitant-e-s se déplacent le plus souvent à pied ou à vélo. Ce dernier existe sous une profusion de formes, certains sont équipés de voiles. Des réseaux de transports publics et gratuits ont été mis en place : tramway, chevaux… Le long du chemin, on a été agréablement surpris de voir qu’il n’y avait aucune publicité ni communication commerciale dans les rues. De plus, aucun néon n’existe, l’éclairage public est minimisé pour éviter la pollution lumineuse et faciliter l’observation des étoiles.
Les trottoirs et les places de parking ont été détournés en potager. Il y a, par-ci par-là, des poulaillers collectifs pour transformer les déchets organiques en œufs bien frais et des ruches utiles à la pollinisation des innombrables arbres fruitiers entre lesquels, parfois, un hamac a été tendu. Se côtoient dans ce vaste jardin des plantes potagères, tinctoriales, médicinales, pour la production de fibres vestimentaires telles que le lin ou le chanvre, entrecoupées de bassins de phytoépuration. Sous des abris, des métiers à tisser, des rouets et des machines à laver à pédale sont d’usage commun. L’architecture des habitations rivalise aussi de créativité : outre les multiples murs arborant des peintures aux couleurs vives et chaudes, les rues sont délimitées par des habitations de toutes sortes : troglodytes, paillourtes, tipis, yourtes, maisons en bambou, en terre, en paille, en bois.
A tous les coins de rue, il y a de la musique, des gens qui jouent à des jeux de société en libre service. Les bancs et les chaises sont très prisés. Il n’y a plus d’argent, le troc et le don sont monnaie courante. Les habitant-e-s habitent la rue, il y règne une grande liberté de mouvement. On y croise souvent des enfants à toute heure du jour et de la semaine, accompagnés d’un professeur ou non, ils et elles apprennent en papillonnant autant dans l’enceinte de l’école qu’en dehors, car l’éducation est permanente. Aucun aménagement n’exclut ni n’éloigne les habitant-e-s les un-e-s des autres, personne ne s’y sent étranger, c’est un espace ouvert, accueillant, convivial et qui forme la base de la vie politique, car il s’y tient régulièrement des assemblées de quartiers, par la suite fédérées en assemblée communale pour une gestion globale de la cité.
Rousseau disait que si les maisons font la ville, ce sont les citoyens qui font la cité. Ils et elles cherchent au quotidien un équilibre dans la tension entre le développement personnel et la liberté sociale. « Je m’approche de deux pas, elle s’éloigne de deux pas. J’avance de dix pas et l’horizon s’enfuit dix pas plus loin. J’aurai beau avancer, jamais je ne l’atteindrai. A quoi sert l’utopie ? Elle sert à cela : à cheminer. » (Eduardo Galeano)
Bérenger C.

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