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Gorleben-Bure, luttes fraternelles

Du 4 au 9 avril 2012 un groupe de 30 personnes venues de tous les coins de la France, et en majorité des alentours de Bure, s’est rendu à Gorleben, dans la région du Wendland, en Allemagne, en solidarité avec les opposants au projet d’enfouissement de déchets radioactifs haute et moyenne activité à vie longue.

A Bure, en Lorraine, comme à Gorleben, au nord de l’Allemagne, on nous promet les mêmes merveilles : sûreté des installations pour les travailleurs, les riverains et l’environnement, absence de faille, préservation des générations futures, création d’emplois, re-dynamisation économique de la région...
Pourtant là-bas comme ici l’argent coule à flot pour faire passer la pilule...
Là bas, comme ici, la police surveille et fiche les opposants.
Là-bas comme ici le site n’a pas été choisi pour les caractéristiques de son sous-sol, mais pour des raisons politiques, sociales et économiques.

La mine "exploratoire" de Gorleben

Qu’est-ce que le projet de Gorleben ? Des centaines de kilomètres de galeries en cours de creusement à 933 mètres sous terre dans un gisement de sel inexploité jusqu’à maintenant, destiné à accueillir des milliers de tonnes de déchets radioactifs haute et moyenne activité à vie longue.
Le site de Gorleben est choisi dès 1977 pour des raisons purement politiques : le village est situé en Allemagne de l’Ouest dans une petite enclave dans l’Allemagne de l’Est, à seulement 2 kilomètres de la frontière. En cas d’accident, plus de 70% de la population touchée par les radiations aurait été ressortissante de l’ancienne république communiste...
Si aucun type de sous-sol ne peut être adapté pour l’enfouissement de matières restant radioactives pour des centaines de milliers d’années, celui de Gorleben bat des records de dangerosité.

Le précédent des mines d’Asse

En effet l’expérience de Asse, site d’enfouissement allemand situé à une centaine de kilomètres de Gorleben, montre que le milieu salin est catastrophique pour l’enfouissement. Dès 1970 des fuites radioactives y ont été diagnostiquées par l’exploitant dans le plus grand secret. Dans cette ancienne mine de sel, quelques 126 000 fûts contenant des déchets faiblement ou moyennement radioactifs ainsi que 11 kg de plutonium sont « entreposés » à plus de 700 mètres de profondeur.
Il aura fallu attendre juin 2008 pour que l’affaire soit révélée au grand jour. Un peu tard, hélas, puisque à cette époque ce ne sont pas moins de 12 000 litres d’eau par jour qui s’infiltrent dans la mine.
Malgré cette expérience dramatique et le fait que l’enfouissement en milieu salin à Gorleben soit au programme depuis une trentaine d’années, aucune étude n’a été faite sur l’effet des rayonnements sur le sel... Signalons au passage qu’à son ouverture Asse n’était officiellement qu’un site d’expérimentation ! Aujourd’hui les déchets d’Asse doivent être évacués en urgence et en totalité car la structure géologique ne tiendra plus longtemps. La facture estimative est de 4 milliards d’euros, ce qui donne le vertige mais ne pèse pourtant pas bien lourd à côté des risques humains qui seront pris pour évacuer ces déchets.
Un détail « amusant » concernant ce site : l’ANDRA (l’agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, qui gère le projet d’enfouissement à Bure), se gargarise sur son site web d’avoir participé aux recherches à Asse dans les années 70... Il est vrai que si la catastrophe d’Asse a fait la une des journaux allemands, les médias nucléophiles français ne se sont pas pressés de relayer l’info.
Autre particularité du site de Gorleben, une poche de gaz a été découverte sous le gisement de sel en 2011.

Une radioactivité importante

A quelques mètres du futur centre d’enfouissement, une zone de stockage temporaire de surface a été créée en 1983, pour accueillir les déchets nucléaires destinés à être enfouis à Gorleben – tous les CASTOR de retour de La Hague s’y trouvent. Aujourd’hui, les valeurs limites d’émissions de radioactivité définies par la loi allemande sont dépassées à proximité de ce site. Pourtant il faut bien garder en tête que ces valeurs ne définissent pas un seuil de dangerosité mais plutôt le compromis fait par les pouvoirs publics entre l’intérêt économique et le danger infligé aux riverains. En matière d’irradiation il n’y a pas de seuil minima : toute dose de radiation a un impact sur la santé humaine.
Signalons enfin un détail sordide à propos de la surveillance des taux de radiations autour du centre de stockage : les mesures prises pour définir le niveau de la radioactivité naturelle sur le site ont été effectuées en 1986… juste après le passage du nuage de Tchernobyl.

La campagne "Gorleben 365"

Cette campagne est à l’initiative de deux groupes X-tausend mal quer et KURVE Wustrow. Elle a duré du 14 août 2011 au 13 août 2012. Le but était de bloquer de manière non violente pendant un maximum de jours l’accès au chantier, ceci afin de montrer, jour après jour, l’opposition à ce projet, avec des groupes et des thèmes différents et variés.
Chacun pouvait initier une idée de blocage et l’organiser. Ainsi certains ont fêté leur anniversaire devant les grilles ou encore tenu un marché avec ses produits maraîchers et agricoles, un ciné drive-in y a vu le jour, une chorale s’y est produite, un tournage de film y a été produit… Toutes les idées étaient les bienvenues. Une quarantaine de blocages ont ainsi eu lieu. C’est dans ce cadre qu’a eu lieu une semaine de rencontres et d’actions francophone au Wendland du 4 au 9 avril 2012.

Blocage francophone

Dring dring ! Le 7 avril 2012 à 6h du matin, les réveils sonnent. Petit-déjeuner, chargement du matériel dans les voitures et hop, en route pour le site. La relève des gardiens doit avoir lieu entre 8h30 et 9h, mais le groupe de militants français préfère être présent sur le site vers 7h au cas où ils auraient choisi d’avancer leurs horaires... Aucun policier n’est présent.
À 7h10 les groupes et les banderoles sont en place. Nous avons bien fait d’arriver plus tôt car les premières voitures arrivent devant une porte secondaire à 7h30. Ils tentent de nous parler, nous ne comprenons pas l’allemand, ils font donc demi-tour. Des feux de camps sont allumés, le groupe des Stop Bure Brothers passe de porte en porte pour réchauffer l’ambiance, nous sommes prêts pour l’évacuation. La police passe et repasse, quelle porte décideront-ils d’évacuer ? Étant peu nombreux à chaque porte nous savons que le blocage ne durera pas des heures, mais l’important dans la campagne Gorleben365 n’est pas la durée des blocages mais leur répétition dans le temps. 9h15 : ils choisissent d’évacuer la porte numéro 6. A 9h30, l’ensemble de la relève est entrée dans le site et leurs collègues sont sortis. Messieurs les policiers, nous vous disons à ce soir !
Un débriefing de l’action autour d’un café chaud se tient non loin du site. Tout le monde est ravi et pressé d’être à ce soir. Il est remarqué que l’attitude des policiers allemands est bien différente de celle de leurs collègues français. Ici, aujourd’hui, pas de menace, pas de violence, pas de gaz lacrymogène, simplement une évacuation dans les règles de l’art, en respectant les personnes.

Un tripode imprenable

Le recul sur l’action du matin et le temps qui nous est imparti dans l’après-midi nous permet de peaufiner l’action du soir. Premièrement nous serons plus nombreux car rejoints par des amis-es allemands-es, ce qui nous permet de créer des équipes mobiles équipées de talkies-walkies. Cela nous permettra de mieux nous tenir au courant de ce qui se passera au niveau des autres portes.
Un petit groupe se charge de fabriquer un tripode (le matériel est disponible non loin du gîte) afin de condamner l’accès d’une porte avec très peu de personnes. Un autre groupe prépare différents jeux. Tout le monde est prêt à repartir.
18h30, c’est avec un tripode chargé sur le toit et 6 personnes cachées dans le coffre bâché que la camionnette arrive au niveau de la porte 6. Un fourgon de police est déjà en place devant la grille... Arriverons-nous à mettre en place notre installation ? La camionnette s’arrête, tout le monde sort du coffre, descend le tripode et commence à le déployer. La police reste là impuissante, disons plutôt inefficace... Au bout de 5 minutes le tripode est mis en place et une personne perchée à 4m de haut. Au moins cette porte-là ils ne l’évacueront pas.
Au même moment, au niveau de la porte principale se tient une cérémonie organisée par des personnes de la BI (Bürgerinitiative = Initiative Citoyenne) afin de nous remettre une banderole actant les liens franco-allemands tissés lors de ce séjour. Puis chaque groupe s’en va bloquer sa porte. De nombreux Allemands nous ont rejoints et d’autres passent durant le temps de l’action pour nous soutenir. L’ambiance est décontractée, car après l’action du matin tout le monde sait à quoi s’en tenir de la part des forces de l’ordre. Nous remarquons la présence d’une journaliste de la presse écrite locale, celle-ci a l’air ravie que l’on soit là.

Cordiales interpellations

Après plus de 2h de présence, l’évacuation de la porte 2 se fait pressentir. Grâce aux équipes mobiles et aux talkies-walkies, un soutien massif arrive de part et d’autre. Trop tard pour empêcher la relève de rentrer, il faut maintenant réfléchir à empêcher leurs collègues de sortir. En passant par les bois environnants, une petite équipe arrive à se repositionner et à s’asseoir sur le chemin emprunté. La victoire n’est que de courte durée car celle-ci est tout de suite entourée d’une dizaine de policiers qui ne tardent pas à évacuer. Les voitures peuvent désormais sortir du site, le jeu du chat et de la souris s’arrête ici.

Ni ici, ni là-bas, ni ailleurs !

Le combat contre l’enfouissement des déchets radioactifs, et contre l’industrie nucléaire en général, n’a de sens que s’il possède une dimension internationale. L’enfouissement ne se fera ni ici, ni là-bas, ni ailleurs ! Nous devons être solidaires de tous ceux qui subissent au quotidien l’agression nucléaire : les centrales, les sites d’extraction d’uranium, les centres d’enfouissement et les stockages de surface, les complexes d’armement atomique et les usines de « retraitement » colonisent depuis trop longtemps notre planète, nous menacent et nous exterminent où que nous nous trouvions sur terre. Plus nous nous rencontrerons et plus nous serons efficaces dans la lutte contre le lobby nucléaire.
De ces échanges naissent déjà des idées et des espoirs. En effet, la découverte de l’historique du projet d’enfouissement et de la lutte antinucléaire au Wendland ouvre aussi de nouvelles perspectives sur l’avenir du projet de Bure. Le projet de Gorleben date de 1976 et les luttes locales n’ont pas toujours été aussi virulentes qu’elles le sont aujourd’hui. A nous de nous inspirer de l’histoire du Wendland pour créer en Meuse une opposition forte, radicale et imaginative au projet de Bure. Si les CASTOR arrivent à Bure dans quelques années nous serons peut-être, comme en Allemagne, des dizaines de milliers à leur barrer la route. Ce n’est pas un fantasme, ce n’est pas impossible : les premiers opposants au centre d’enfouissement de Gorleben n’étaient pas légion et la région n’attirait pas encore des foules décidées à y vivre !

Les habitants de la maison de résistance de Bure

Pour aller plus loin
Plus d’informations sur la lutte à Gorleben : castor.divergences.be / bi-luechow-dannenberg.de

Pour d’autres infos sur ces quelques jours d’échanges (bilan et actu de l’arrêt du nucléaire en Allemagne, énergies renouvelables au Wendland, projets nés de ces rencontres, etc) rendez-vous sur http://burezoneblog.over-blog.com/

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