Éditorial Société

L’automobiliste, le militaire et la jardinière

Guillaume Gamblin

La rue est un espace fascinant. S’y jouent les rapports de force à l’œuvre dans notre société obsédée par le travail, l’argent, la productivité. Au centre, une voie royale pour faciliter le flux des automobiles chargées de convoyer la main-d’œuvre à son travail. Sur les côtés, en marge, les hommes et les femmes debout, aspirés par l’affolante offre de consommation des vitrines. Un espace organisé par et pour les exigences de l’économie et de la croissance. « La rue est vers l’or ».

L’oisif, lui, est suspecté de planifier quelque mauvaise blague, d’être un gêneur ou un terroriste. D’où la présence depuis des années de militaires en uniformes, mitraillettes à la main, patrouillant dans et autour des gares, en vertu d’une loi d’exception qui s’est muée en habitude acceptée socialement. Le flâneur improductif est éliminé ici par des dispositifs empêchant de s’allonger, là par des lois empêchant de se regrouper à plus de trois aux entrées d’immeubles.

On oublie parfois que tout cela se joue dans un espace « public » censé être le nôtre, organisé selon les exigences de la démocratie avant de l’être selon celles de l’économie.

Face à cette confiscation multiforme, des brèches s’ouvrent de tous côtés, heureusement. Le mouvement des graffs se réapproprie les murs gris de la ville(1). Le mouvement Reclaim the streets (Revendique la rue), né en Grande-Bretagne, organise des réappropriations temporaires politiques et subversives, dans l’esprit du manifeste pour des Zones Autonomes Temporaires(2). De nombreux collectifs militants protestent contre la logique sécuritaire et marchande qui régit l’espace public en agissant contre la présence de la publicité et de la vidéosurveillance, en organisant des fêtes de quartier et des débats de rue. D’autres créent des jardins ou organisent des activités d’éducation populaire afin de se réapproprier la rue et les friches urbaines comme des espaces légitimes pour vivre et cultiver.

Quand à l’équipe de Silence, elle rêve déjà de partir l’été prochain en reportage pour vous lecteurs/trices, sur cet autre espace public à se réapproprier : la plage !

Guillaume Gamblin

(1) Voir dossier de Silence n°376, « Les murs, médias alternatifs ».

(2) Hakim Bey, TAZ, Zones Autonomes Temporaires, ed. L’Eclat, 1997.

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