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Les Jardins d’utopie

Guillaume Gamblin

Un potager, des épouvantails, une serre,… Bienvenue sur le campus de l’université de Grenoble, où, depuis six ans, des étudiant-e-s occupent, cultivent et animent un jardin partagé. Parce que « l’utopie n’est pas nulle part : elle est partout où on s’active à la faire vivre ».

Pierre sort de la bibliothèque universitaire de lettres… deux arrosoirs pleins à la main (1). En quelques pas, il est sur le terrain des Jardins d’utopie, où poussent du tournesol, des choux, salades, panais, petits pois, lentilles, épinards, carottes, courges, blettes, pommes de terre,… Avec Rémi et Léonore, il me fait visiter la serre d’une douzaine de mètres de longueur, tendue sur des bambous, sous laquelle poussent courgettes, melons, basilic… ainsi que quelques plants destinés à la guérilla jardinière. Une autre parcelle héberge des framboisiers ainsi que des légumes.

Occupation et autonomie

C’est en 2006, alors que l’université est occupée par les étudiant-e-s opposé-e-s au CPE, que, durant une AG, l’un d’eux propose de créer une fac rurale où l’on pourrait apprendre à cultiver la terre en même temps que faire ses études. Il s’agit de « prendre l’outil et de sortir de son enclos de classe et de travailleur intellectuel », mais surtout de cultiver l’autonomie et de lutter contre la précarité étudiante. L’idée de réaliser un jardin directement dans l’université est lancée. Ils demandent un terrain à l’administration, qui le leur refuse, et s’approprient alors sans autorisation deux parcelles situées au cœur du campus. Un acte « politique », qui réunit des personnes proches du socialisme, de l’anarchisme et de la décroissance. Ils mettent en place une activité maraîchère qui s’inscrit dans la durée : depuis six ans, il y a une poignée de personnes très présentes — qui a évolué au fil du temps —, et une vingtaine d’autres qui participent aux travaux du jardin « entre deux cours ».

Jardin-école et repas gratuits

Dès le départ, ils soutiennent le lancement d’une Amap dans le campus et invitent qui le veut à cueillir et consommer les récoltes, voire alimenter le compost qui a été mis en place plus loin. Il n’y a pas de planification pour la culture des parcelles, mais une organisation relativement spontanée. BRF et permaculture sont parfois expérimentés. Il n’y a aucun produit chimique.
Quelques fleurs poussent ici et là. Le lieu fait office de jardin-école où les apprentis jardiniers, néophytes pour la plupart, s’essaient à la culture et expérimentent in vivo. D’autres grenoblois-e-s non-étudiant-e-s participent aussi, comme cette jeune retraitée de la commune. Des repas collectifs gratuits sont organisés sur place à partir des fruits et légumes cultivés, grâce à un vélo à carriole équipé d’un four à gaz. Ainsi, des frites 100% locales et sans pétrole ont été distribuées. Cette répartition des récoltes est un fondement du projet dans une idée de lutte contre la précarité étudiante.
L’association a également réalisé des projections, des concerts de soutien et le terrain a même accueilli des cours. Il n’y a pas de réunions, mais les informations et projets s’échangent spontanément lors des rendez-vous ouverts du jeudi après-midi, où les participants se retrouvent à cultiver le jardin devant la bibliothèque de lettres et sciences humaines. En septembre 2012 est prévue une journée « Récolte ton campus », visite guidée pour voir ce qu’on peut récolter dans les Jardins d’utopie mais aussi ailleurs, dans des buissons, sur les arbres fruitiers… Une expérience fragilisée par la répression actuelle de l’université (voir encadré) mais qui incarne depuis six ans une utopie subversive et chatoyante.

Guillaume Gamblin

(1) Les toilettes de la bibliothèque sont le point d’eau le plus proche du jardin.

Coordonnées : jardins-utopie@gresille.org


Solutions après-rasage
L’administration affiche une indifférence de façade mais pratique une répression de fait : elle dérobe à plusieurs reprises les bidons de récupération des eaux de pluie, ferme leur local. En 2008, les étudiants apprennent que le rasage des jardins est en projet. Un campement est organisé sur le terrain, qui fait la une de la presse locale le lendemain. L’administration nie alors avoir étudié ce projet. Mais durant les vacances d’automne 2011, elle fait raser au bulldozer, et sans prévenir, l’une des deux parcelles, sur laquelle poussaient notamment six pommiers déjà hauts. Les étudiant-e-s organisent alors une journée « Retourne ton campus », durant laquelle ils retournent de nouveau la parcelle en l’agrandissant, et y affublent un épouvantail à l’effigie du président de l’université.

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