Monde Paix et non-violence

Israël : femmes et féministes contre l’armée

En Israël, les hommes doivent accomplir un service militaire obligatoire de trois ans, les femmes de deux ans. Pourquoi et comment certain-e-s en viennent-ils à refuser ? C’est ce que nous avons demandé à deux objectrices de conscience, Idan Halili, 24 ans, et Sahar Vardi, 22 ans, dans le cadre d’une tournée en France (1).

Comment, dans votre parcours, en êtes-vous venues à refuser de faire votre service militaire ?

Idan Halili : Au lycée, j’ai découvert la pensée féministe et je me suis engagée contre le trafic des femmes et la prostitution, et pour la défense des enfants victimes d’abus sexuels. Je pensais jouer un rôle féministe durant mon service militaire, en aidant les femmes victimes d’abus sexuels dans l’armée. Mais je me suis rendue compte que je ne pouvais pas le faire au sein de cette organisation patriarcale basée sur la hiérarchie et la violence, qui reproduit les stéréotypes genrés, et où il y a beaucoup d’abus sexuels. Au-delà, c’est tout un « environnement » sexiste qui est créé : blagues, chansons… Cela a des répercussions sur la société civile. Les soldats reçoivent des réponses positives quand ils font preuve de violence. Ils deviennent ensuite des citoyens. On assiste à une augmentation des actes violents, envers les femmes entre autres. Régulièrement ce sont des armes de fonction qui servent à des meurtres commis dans la sphère domestique. Ces armes censées nous protéger, servent à tuer des femmes. A cause de tout cela, j’ai senti qu’il m’était impossible de servir dans l’armée. La décision a été difficile ; refuser l’armée est un acte extrême, et je n’étais pas sûre de pouvoir l’assumer.

Sahar Vardi  : L’armée est très « naturelle » pour les enfants israéliens. Nous la côtoyons dans les rues, à l’école nous envoyons des cadeaux aux soldats. L’éducation nous apprend la peur de l’autre. On nous rappelle constamment le risque d’être exterminés en tant que juifs et la nécessité d’avoir une armée qui se bat pour nous défendre. Refuser l’armée c’est être un-e traître qui ne contribue pas à la défense. Or, je voulais montrer par mon acte que l’armée nuit à notre sécurité plutôt qu’elle ne la renforce. Un check-point affecte la vie des gens et devient un motif de haine et de vengeance.
Alors qu’il y avait une série d’attentats-suicides, je suis allée dans un village palestinien pour comprendre ce qui se passait. J’y ai participé à des chantiers. Un jour que nous nous dirigions vers le mur avec un groupe composé d’Israéliens et de Palestiniens, l’armée a commencé à nous tirer dessus. J’avais appris jusque là que les Palestiniens étaient mes ennemis et que l’armée me protégeait, et là c’était exactement l’inverse. Il m’était pourtant difficile de voir l’armée comme ennemie, car j’avais des membres de ma famille, des ami-e-s qui y servaient. Petit à petit, j’ai décidé de refuser : je ne peux pas être amie avec des Palestiniens un jour, et leur tirer dessus le lendemain.
En 2008, nous sommes un groupe à avoir décidé de refuser ensemble, comme un acte politique. La prison en est un moyen de faire connaître à la société les raisons de notre refus : « Les jeunes Israéliens préfèrent croupir en prison que tirer sur les Palestiniens ». J’ai passé deux mois en prison et trois mois en détention. Puis j’ai été libérée pour des motifs psychologiques. Je suis officiellement « folle » !

Comment avez-vous justifié votre refus du service militaire auprès des institutions ?

Idan Halili : Pour une femme, les raisons de refuser sont les suivantes : être religieuse, avoir des enfants, être mariée, avoir des problèmes médicaux ou psychologiques, ou être objectrice. Dans ce dernier cas, il faut être reconnue comme pacifiste. Un comité composé de militaires et de civils décide si tu es pacifiste. Mais leur définition du pacifisme est si étroite que Gandhi aurait échoué au test !
Personnellement, cela ne me convenait pas. J’ai décidé d’être objectrice pour des raisons féministes. J’ai écrit une lettre au comité, qui a refusé d’entendre ma demande, car le féminisme n’est pas reconnu comme une raison valable. J’ai donc été emprisonnée pour convictions féministes et ai passé deux semaines en prison militaire. Cette expérience a été éprouvante, mais m’a renforcée dans mes convictions. En effet, la prison montre comment l’armée ne sait pas s’occuper des problèmes qui touchent les femmes. Les femmes qui ont été abusées sexuellement à l’armée s’enfuient, puis elles sont emprisonnées ! J’ai donc été relâchée et le comité m’a finalement exemptée. Dans sa lettre, il me dit qu’être féministe n’est pas une raison pour être objectrice mais que faire le service militaire serait trop dur pour moi. A ma connaissance, je suis la seule femme pour le moment à avoir revendiqué le motif du féminisme pour refuser l’armée.

« J’ai été emprisonnée pour convictions féministes »
Idan Halili
Quelle place occupent les femmes dans l’armée ?

Sahar Vardi : Tous les postes leur sont officiellement ouverts, à part dans les sous-marins, mais seuls les hommes parviennent aux postes les plus hauts, et comme la société est hautement militarisée cela leur ouvre ensuite les portes pour accéder aux postes les mieux placés dans la politique, les entreprises, etc...
Une femme peut refuser une affectation au combat, pas un homme. Les femmes qui prennent des rôles « masculins » développent des codes masculins : voix, attitude, stéréotypes masculins, pour être acceptées et gagner l’égalité. En 1995, la décision de la Cour Suprême d’ouvrir le poste de pilote de chasse à une femme a été considérée comme une grande avancée féministe. Les gens ne se rendent pas compte que la militarisation touche les femmes et les blesse. Souvent, les femmes sur le terrain sont envoyées à la police des frontières, aux checks-points. Et souvent les Palestinien-ne-s les trouvent plus violentes que les hommes : pour se faire reconnaître, elles doivent dépasser les hommes dans l’échelle masculine de « valeurs ».

Quelles sont les activités de New Profile, organisation à laquelle vous participez toutes les deux ?

Idan Halili : Ce groupe féministe mixte a été créé en 1998 par un groupe de femmes souhaitant parler des effets de la militarisation sur leurs vies de femmes au quotidien, New Profile a pour but de démilitariser la société civile israélienne, très militarisée au quotidien. La présence des soldats est banalisée. Une exposition de photographies montre les différents aspects de cette militarisation de la société civile. Nous diffusons également des informations légales sur les conditions pour être exempté-e-s du service militaire.

Votre action de refus rencontre-t-elle de l’écho dans la société israélienne ?

SaharVardi : C’est difficile à évaluer. A chaque fois que les médias parlent de New Profile, nous recevons des appels et des lettres de jeunes pour nous rejoindre ou connaître les raisons légales d’être exemptés. L’existence des refuzniks est connue dans la société. Il est difficile de savoir quelle est l’évolution du mouvement. Parfois les raisons politiques sont camouflées sous des raisons médicales.

Propos recueillis par Guillaume Gamblin

Entretien réalisé à Lyon en partenariat avec l’émission « Martine, Lilith et les autres » sur Radio Canut (102.2), dans le cadre d’une tournée organisée par le Comité des objecteurs du Tarn (COT) accueillie à Lyon par l’Observatoire des armements, le Collectif 69 de soutien au peuple palestinien, l’Union juive française pour la paix, les Femmes en noir et le MAN-Lyon.

Une éducation militarisée

« Au lycée, un soldat est chargé des classes de première et terminale en tant que conseiller d’orientation militaire, aidant les étudiants à choisir quel rôle ils voudront intégrer dans l’armée, explique Sahar Vardi. En classe de première, les élèves passent une semaine dans un camp militaire, pendant laquelle ils suivent l’entraînement des soldats. Maintenant, chaque élève doit »adopter une tombe« , apprendre l’histoire d’un soldat mort au combat, s’occuper de sa tombe. Le Ministère de l’Éducation donne une prime aux professeurs qui ont les taux d’enrôlement les plus forts. »

Pour aller plus loin, deux DVD :

  • Eyal Sivan, Izkor. Les Esclaves de la mémoire, 97 min
  • Avi Mograbi, Pour un seul de mes deux yeux, 100 min

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