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Internet : quelles solutions pour ne plus nuire ?

Marie-Pierre Najman

Se passer d’internet, et même d’ordinateur, est la solution idéale d’un point de vue purement écologique. Mais d’un point de vue social, cette résistance pose des problèmes administratifs et professionnels, aussi s’avère-t-elle difficile à rendre désirable. Nous entraider davantage permettrait des compensations, mais l’individualisme n’est pas facile à ébranler, surtout en ville : c’est là un enjeu politique majeur. Mais, si on ne peut se passer (momentanément ?) ni d’ordinateur, ni d’internet, on peut au moins rendre son usage aussi peu nuisible que possible...

De nombreux ami/es de Silence n’ont recours qu’aux accès publics à internet (1). Il est également possible, avec de la volonté, de restreindre son usage à domicile, en optant pour une source d’énergie locale et renouvelable : ne choisir alors qu’un petit abonnement, télécharger (le moins possible) pour lire ou visionner hors connexion (2), supprimer les images inutiles (3) et les fichiers temporaires, utiliser l’écran noir en veille (4), retirer la batterie quand on travaille sur secteur, mettre hors tension les appareils inutilisés (5), etc. et, pour mieux y parvenir, en parler et s’entraider !
L’offre de matériel à moindre empreinte écologique progresse mais reste confidentielle (6). C’est l’obsolescence programmée qui domine le marché. Aussi, minimiser les nuisances c’est, en plus de limiter au maximum notre usage, préférer des performances minimales (petite puissance, petit écran) et faire durer notre matériel.

Face à l’emballement de la mégamachine, l’alternative ne sera pas numérique

Renoncer aux « groupes » ou aux agendas par internet, c’est entre autres résister à la dictature publicitaire : pour choisir une date de réunion, on peut décider face à face d’un rendez-vous sur l’autre, aux absent/es de se tenir au courant. La diffusion large et impersonnelle des agendas ne favorise-t-elle pas une importante rotation des personnes et des groupes ? De même, ne sous-utilise-t-on pas les innombrables documents « partagés » sur la Toile ? Le cadre même de la page web, avec ses cases multiples, ses liens et ses images encourage la superficialité, la dispersion et le zapping.
De fait, rares sont les outils proposés sur la Toile qui assument encore l’inconvénient désirable de ce qui résiste à la croissance : être restés suffisamment simples et lents pour encourager l’autonomie créative. La plupart des « logiciels libres » se sentent obligés de singer les performances et la « réactivité » des stars du payant, et l’obsolescence les poursuit sans fin.
Les fournisseurs d’accès « alternatifs », si associatifs soient-ils, ou encore les blogueuses et blogueurs qui renoncent à la pub ou qui choisissent un hébergeur « militant » ou les « licences libres », ne rendent pas internet moins nuisible. Car ils n’en diminuent ni la pression d’accélération et de superficialité, ni le conformisme technophile. Au bilan, renoncer à l’utiliser et développer d’autres manières d’entrer en relation active sont des alternatives autrement plus efficaces.
L’heure est donc plutôt aux résistances concrètes, là où nous vivons et travaillons, en particulier contre les fichages et l’invasion des puces RFID (7). Si ces dernières se répandaient, les objets de notre environnement seraient reliés à internet ce qui impliquerait un contrôle accru de nos faits et gestes.
Au final, le bilan de la numérisation pour notre liberté est essentiellement négatif...

De la crise à la transition

Entre 2006 et 2008, l’enquête Ethicity de l’ADEME (8) a montré que pour 75% des interviewés, consommer responsable c’était désormais « consommer moins », et non plus « consommer mieux » ! La crise serait la raison de cette évolution. Revenu et consommation ayant toujours été en correspondance, la baisse de l’un entraîne celle de l’autre, et un changement culturel vient donner du sens à ce qui est d’abord une obligation : « consommer moins » est ainsi valorisé au nom de l’écologie et de l’épanouissement personnel. « Faut-il y voir une conséquence positive du »greenwashing« omniprésent ? » commente le rapport Ecotic. Mais peut-être aussi, plus positivement, des débats autour de la « décroissance » ?
Jusqu’à présent, à l’exception des lois, c’est le score électoral des écologistes qui a été repéré comme capable d’« infléchir » les stratégies des entreprises en France : ainsi, en 1992, lorsque il a frôlé les 15 % aux élections européennes, la plupart des grandes entreprises se sont dotées de « directions de l’environnement »...
Au final, celles et ceux qui se préoccupent d’empreinte écologique et de justice sociale ont à chercher avant tout par eux-mêmes comment se passer au maximum d’internet et d’ordinateur. Silence a commencé à engager une réflexion sur sa dépendance à cet outil.
La vie quotidienne n’est confortable et sécurisante qu’avec un grand nombre de routines accomplies au moindre effort et avec peu de réflexion. Se mettre à en démonter les rouages contredit ce principe (9). Aussi, beaucoup d’entre nous renoncent à se soucier d’écologie, à cause d’autres priorités, ou par manque d’énergie ou de soutien collectif. N’hésitez donc pas, chers lectrice et lecteur, à nous décrire (par courrier !) comment vous parvenez à déserter internet et à minimiser l’ordinateur dans votre transition vers la sobriété énergétique : sera-ce grâce à plus d’entraide locale et d’imagination ?

MPN.

(1) Déplorons au passage qu’Enercoop n’envoie pas de facture papier...
(2) Regarder un film en ligne (en streaming) engendre un trafic plusieurs milliers de fois supérieur à la consultation d’une page Web ordinaire. (source Enertech)
(3) Contre la pub, installer par exemple Adblockplus... Notons ici qu’afficher du noir ne correspond plus à une économie d’énergie avec un écran plat, et que les « moteurs de recherche éthiques », qui la plupart utilisent les résultats de Google, n’ont pas grand sens quand on a compris l’hémorragie d’énergie et de matériaux qui sous-tend internet. Sans compter que planter un arbre ou donner 100 euros pour en gagner 1000 avec la pub, est-ce éthique ?
(4) Un ordinateur ne sert en moyenne qu’un quart de son temps d’allumage (Enertech).
(5) En France, les consommations de veille (pas seulement informatiques) représentent dans le résidentiel 2% de la consommation électrique, soit ce que produit un réacteur nucléaire (Enertech).
(6) Le groupe de travail Eco-info nous propose d’exiger un label de recyclage comme EPEAT et, pour la consommation d’énergie, Energy Star ou un équivalent. Un PC standard âgé de 5 ans dissipe jusqu’à 60 % de l’électricité consommée en chaleur alors qu’un PC neuf respectant le cahier des charges d’Energy Star 4.0 ne gaspille que 20 % de l’énergie consommée. Mais à quand une évaluation simple et commune comme en électroménager ?
(7) Les puces RFID, « radio frequency identification », permettent de suivre des objets à distance, par ondes radio.
(8) Agence (nationale) de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie.
(9) Lire le bilan des groupes de parole du rapport Ecotic.

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