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Internet : quelles alternatives à Facebook ?

Marie-Pierre Najman

Pierre-Yves Gosset, un des deux permanents de l’association Framasoft (1), a bien voulu répondre aux questions de Silence.

P.-Y. Gosset : Facebook, créé en 2004, a maintenant 500 millions d’utilisateurs, l’équivalent de la population d’un pays entre le Brésil et le Pakistan. Les gens ont envie de communiquer entre eux (2) et Facebook leur permet de partager des pages d’informations personnelles à distance, sans technique rebutante (3). Facebook n’est pas encore coté en Bourse mais on l’estime déjà à 30 milliards de dollars : plus lourd que Ford, qui est là depuis deux siècles, et que beaucoup d’entreprises qui fabriquent des choses matérielles !


Le serpent qui se mord la queue

Une campagne de Greenpeace : Facebook a entamé la construction d’un centre de traitement géant dans l’Oregon, qui serait alimenté par des centrales à charbon. Greenpeace a donc ouvert un groupe de protestation... sur Facebook. Plus de 500 000 utilisateurs ont déjà apporté leur soutien.

Qu’implique ce « succès » phénoménal à la mode capitaliste ?

D’abord, c’est une entreprise qui se paye avec la publicité. On vous fait venir, on récolte vos données et on vous transforme en réceptacle à publicité. Mais Facebook n’est pas seul à faire ça...
Le second problème est plus spécifique : lorsqu’on s’enregistre sur Facebook, tout ce qu’on y publie co-appartient à l’entreprise. Le jour où la firme veut raconter votre vie privée, elle peut le faire. Il y a déjà eu des cas où Facebook est revenu en arrière, mais sans changer les conditions d’utilisation.
Le troisième problème, c’est, comme le disait, je crois, Thomas Jefferson, que « celui qui est prêt à sacrifier un peu de liberté pour plus de sécurité, ou plus de confort, ne mérite ni l’un ni l’autre et, au final, il perdra les deux ». C’est valable pour la vidéosurveillance comme pour Facebook. Du jour au lendemain, le site peut refuser d’héberger des contenus. Il a cherché à censurer un groupe d’opposants à British Petroleum...


Des réseaux alternatifs ?
Certains projets, comme Diaspora, consistent à interconnecter plusieurs petits réseaux qui dépendent chacun d’un serveur local, domicilié chez une personne de confiance ou une association. Ce réseau a-centré utiliserait le pair à pair, une technologie bien connue qui ne sert pas qu’au piratage. « On aurait ainsi, explique P.-Y. Gosset, un Diaspora Croix-Rousse, qui pourrait être connecté à Diaspora Lyon, Diaspora France ou encore un Diaspora Revues alternatives, etc. Chacun déciderait la façon dont sont exploitées ses données. Si on n’est pas satisfait, on les récupère ! Avec un logiciel libre, on peut s’associer à des gens qui ont les compétences pour être aidé dans les manœuvres. »
Il faudra cependant être assez nombreux à rester connectés en permanence pour maintenir de tels réseaux. C’est le principe du calcul distribué, comme pour le décryptage du génome : ça évite les énormes unités polluantes mais ça ne résout qu’une partie des problèmes...
Les « ami/es » sur Facebook ne sont pas toujours des ami/es...

On peut rater une embauche pour cause de confessions faites sur Facebook. Même dans les verrouillages prévus, on découvre une faille en gros tous les trois mois. Pour moi, il ne fait aucun doute que des entreprises ou d’autres organismes récupèrent encore des informations privées sur Facebook. La seule solution est de ne rien y publier.

Est-il possible de disparaître de Facebook ?

Il y a des solutions pour « invalider son compte », non pas se désinscrire mais signifier qu’on désire que personne ne le trouve. Je crois que les responsables conservent vos données environ deux ans, au cas où vous vous voudriez vous réactiver. Et rien ne garantit qu’elles ne puissent pas être exploitées hors site, puisque Facebook en est devenu propriétaire.
J’insiste, en tant qu’informaticien : évitons de délocaliser nos données personnelles dans le « nuage informatique » : ce qui m’appartient reste chez moi et j’invite qui je veux à y accéder.

Propos recueillis par MPN.

(1) Framasoft est un ensemble de sites web créés par des personnes issues du milieu éducatif, accueillant plus d’un million de visiteurs par mois. L’association sensibilise le plus large public aux logiciels et à la culture « libres » (www.framasoft.net).
(2) Mais la plupart le font sans Facebook, dont la médiatisation est excessive : on va jusqu’à attribuer à cette entreprise le succès de la révolution tunisienne !
(3) C’est là l’avis d’un informaticien... Autres « réseaux sociaux » : les listes de diffusion (par courriel), les forums (sur site), Twitter, couchsurfing.org, etc.


Quelles réponses au désir de « réseau social » ?

Les réseaux sociaux par portable ou sur la Toile sont autant de tentatives de retrouver un entre-nous stimulant, car c’est d’humain à humain que peuvent circuler la reconnaissance, l’estime et l’amour sans lesquels la vie ne vaut pas la peine d’être vécue. C’est là un désir, pas un besoin : il augmente à mesure qu’il est nourri.
Nous pouvons essayer d’oublier ce désir de lien par des activités frénétiques, hypnotiques, aléatoires ou machinales, encouragées par la logique publicitaire (un stimulus, une réponse) et par l’accélération qu’imposent les techniques. La Toile est un outil favorable à cela. Nous pouvons y investir également dans deux manières d’être reconnu/e et apprécié/e par nos semblables qui s’y trouvent enrôlé/es au profit des flux de marchandises : produire ou posséder des denrées désirées de tous, et grimper dans les hiérarchies...
Mais nous valorisons aussi entre nous d’autres capacités : celles d’aimer et de comprendre, qui supposent l’art de cultiver les conflits, intérieurs et extérieurs, pour les traverser. Leurs plus grandes réussites se passent de choses et impliquent la présence insistante, et non occasionnelle, d’autrui. Le portable et internet y rencontrent leur limite, qui est peut-être la raison de leur succès en tant qu’échappatoires.
N’est-ce pas parce nos interactions face-à-face sont insatisfaisantes, voire souvent blessantes, que la tentation du virtuel est si grande ?
Et si nous cultivions plutôt l’art de vivre les conflits pour les traverser, l’art de la relation bienveillante et sans domination, plutôt que l’art de ne plus se rencontrer pour se parler ?

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