Dossier Actions pour la paix Paix et non-violence

Non-violence : quelques repères pour agir

Guillaume Gamblin

Il n’existe aucun critère au monde qui soit la garantie de la non-violence d’une action. Il ne s’agit donc pas d’en donner une vision statique, définition à l’appui. Mais les quelques repères qui suivent devraient nous aider à orienter notre action en direction de la non-violence. Comment se situent les actions que j’entreprends par rapport aux différents
repères identifiés ici ?

Le dialogue (ou sa tentative) précède le rapport de force et en constitue l’horizon. Sans naïveté envers les intérêts qui lient l’adversaire à l’injustice qu’il engendre, la tentative de dialoguer avec lui doit permettre, selon le rapport de forces, soit de négocier avec le pouvoir des mesures allant dans le sens que l’on cherche, soit de négocier une sortie honorable à l’adversaire, s’il y a renversement de son hégémonie.

La réversibilité de l’action est un élément essentiel, analysé dans l’article « Les zones grises de la non-violence », p. 5.

Attitude physique et non-violence
Cela peut sembler à première vue dérisoire, mais le fait de courir durant une action n’est pas anodin. Alors que les imaginaires et les pratiques émeutières se font sous le signe de la course, l’action non violente se fait autant que possible dans le calme et la maîtrise de soi. A l’exception du moment de l’éventuelle installation par surprise dans un lieu à bloquer ou à occuper, la course est déconseillée dans l’action non violente. D’expérience elle est liée à une non-maîtrise et à des débordements émotionnels, et pour cela elle peut contribuer à ce que le moment soit vécu par l’autre, adversaire ou passant, comme une situation violente car déstabilisante et insécurisante. Le caractère posé de l’action n’empêche en rien la détermination ; au contraire, il peut être un synonyme de force et peut avoir des effets impressionnants.

En démocratie, le caractère public et assumé de l’action peut jouer un rôle dans sa dimension non violente. En effet, dès lors que les protagonistes sont libérés de la peur des conséquences juridiques de leur acte, cette libération est susceptible de faire baisser considérablement le niveau de tension qui est le leur. A l’inverse, une personne sous l’emprise de la peur est capable de tous les débordements. Assumer son action n’empêche évidemment pas de ressentir de la peur, mais limite déjà fortement le risque de panique et le degré de violence irraisonnée qui peut s’immiscer dans son comportement pour « sauver sa peau ».

Proposer des alternatives à l’état de fait qui est dénoncé participe également fortement de la dynamique non violente de l’action. Expliquer à l’adversaire, PDG ou ministre, mais aussi et surtout fonctionnaires et employés multiples insérés dans les rouages du système que l’on combat, qu’ils ont une place dans la société que l’on cherche à construire, qu’ils peuvent trouver intérêt, confort, sécurité dans le changement que l’on cherche à faire advenir, permet stratégiquement de faire baisser leur défiance mais aussi humainement de calmer leurs angoisses et leur détresse parfois légitimes (perte d’emploi…). Ménager une porte de sortie honorable à l’adversaire est, donc l’un des éléments importants d’une action inscrite dans la logique de la non-violence.

La cohérence entre la fin et les moyens est un indicateur essentiel de la logique de non-violence. Cette réflexion évitera à un mouvement de viser la démocratie tout en ne mettant pas en oeuvre en interne un fonctionnement poussé allant dans ce sens, de revendiquer de se faire respecter tout en brandissant des slogans humiliants pour l’adversaire, de vouloir faire advenir la justice par la guerre ou la dévastation.

La proportionnalité de l’action à l’enjeu est également à prendre en compte. L’un des éléments qui font qu’une action est inscrite dans une dynamique de non-violence, c’est que la gravité de l’éventuelle dégradation occasionnée est proportionnée à celle de la nuisance. Si les Déboulonneurs  [1] brisaient des sucettes publicitaires, il leur serait peut-être retourné que leur action est disproportionnée par rapport à la puissance de nuisance de l’objet en question. A l’inverse plusieurs tribunaux ont déjà reconnu la légitimité d’arrachages collectifs de plantes OGM par le collectif des faucheurs volontaires, selon le critère de l’état de nécessité. En effet ici la situation est différente : le champ ne symbolise pas tant qu’il est l’enjeu réel de graves nuisances directes sur son environnement.

Prendre des risques pour soi sans mettre autrui en danger contre sa volonté semble également déterminant dans la dynamique de la non-violence. A l’opposé de certaines manifestations mêlant pacifistes et adeptes de l’émeute urbaine, où l’on a vu les émeutiers mettre en grave danger les manifestants de tous âges et de toutes conditions qui les entouraient, tout en se cachant eux-mêmes de la répression. Cette attitude inacceptable met en relief, à l’inverse, l’importance de savoir prendre des risques pour soi-même sans en faire prendre contre son gré à autrui. Il semble que ce soit là une question de respect minimal.

Et n’est-ce pas au final l’attitude de respect qui constitue le fond commun des repères que nous avons tenté de tracer ici ? L’action non violente pourrait alors être décrite simplement comme l’action de personnes qui cherchent à se faire respecter tout en respectant autrui.

Non-violence et sacrifice

Parmi les « zones grises de la non-violence », il nous semble important de revenir sur la question du sacrifice. Agir en non-violence, est-ce se sacrifier pour une cause ? Se sacrifier, est-ce non-violent ? Qu’en est-il de la grève de la faim ? Cette dernière n’est-elle pas une violence infligée à soi-même ? Voici quelques extraits de la réponse de Jean-Marie Muller à nos questions.
« Le choix de la non-violence implique-t-il de se sacrifier ? Les différentes morales — tout particulièrement celles d’inspiration religieuse — ont souvent exalté ’l’esprit de sacrifice’. Parfois, cela a donné lieu à de regrettables déviations qui ont conduit à valoriser la souffrance pour elle-même. »
« Il est vrai que celui qui s’engage dans l’action non violente prend des risques qui le conduiront peut-être à affronter la souffrance et la mort. Pour autant le risque de la non-violence ne doit pas être pris dans une quelconque ’volonté de sacrifice’. Celui qui encourt le risque de la non-violence ne veut pas souffrir et ne veut pas mourir ». Cependant « celui qui s’engage dans l’action non violente s’expose à la souffrance et à la mort avec la conviction que ce risque donne sens à sa vie et, le cas échéant, à sa mort. Sa vie, il ne la donne pas, il la met en jeu ; il la risque en ayant conscience qu’il peut la perdre, mais dans l’espérance qu’elle ne lui sera pas ôtée. Non seulement il n’entend pas ’aller au devant de la mort’, mais il veut résister jusqu’au bout » à la logique de mort qui est celle de la violence.

La grève de la faim illimitée
« Si une grève de la faim illimitée était entreprise pour un objectif hors de portée, elle ne serait qu’un geste de protestation désespérée et désespérante. Deux issues seulement seraient alors possibles : ou bien les grévistes mettraient un terme à leur entreprise avant que n’arrive l’irréparable et devraient reconnaître leur échec, ou bien ils seraient les victimes de leur obstination, peut-être admirable mais certainement déraisonnable. Ils deviendraient certes des ’martyrs’ qui seraient morts pour une cause juste et, en ce sens, on peut penser qu’ils ne seraient pas morts en vain. Mais ce doit être une règle de l’action non violente de rechercher la victoire et non pas de se sacrifier ».
Pour cela, il est nécessaire de fonder son action sur une stratégie claire, avec des objectifs réalistes politiquement. N’est-ce pas là le meilleur moyen d’éviter le sacrifice et de garantir ainsi la non-violence d’une action ?

-  Jean-Marie Muller,
porte-parole national du Mouvement pour une alternative non violente (MAN, man@nonviolence.fr - www.nonviolence.fr)
Philosophe et écrivain, il a écrit de nombreux ouvrages sur la non-violence dont le
Dictionnaire de la non-violence, Le Relié Poche, 2005.

Silence existe grâce à vous !

Cet article a été initialement publié dans la revue papier. C'est grâce à vos abonnements et à la vente de la revue que nous pouvons continuer à proposer des alternatives à la société consumériste et destructrice actuelle. Sans publicité, sous forme associative, notre indépendance et notre pérennité dépendent de votre engagement humain et financier !

S'abonner Faire un don Participer

Notes

[1Mouvement qui demande une baisse de la taille des panneaux publicitaires au même niveau que les panneaux de libre expression. Voir par exemple article dans Silence n° 379, p. 37.

[2Mouvement qui demande une baisse de la taille des panneaux publicitaires au même niveau que les panneaux de libre expression. Voir par exemple article dans Silence n° 379, p. 37.

[3Mouvement qui demande une baisse de la taille des panneaux publicitaires au même niveau que les panneaux de libre expression. Voir par exemple article dans Silence n° 379, p. 37.